Un élu de la N-VA, un certain Gilles Verstraeten, a décidé de publier sur le site Doorbrak (journal flamingant ayant de forts liens avec le Vlaamse Volksbeweging) une carte blanche nommée “Leve de regenboog ! Weg met woke !”(1)“Vive l’arc-en-ciel ! À bas les wokes”

Cette carte blanche a le mérite de présenter publiquement les conceptions politiques qu’a la N-VA sur les luttes LGBTQIA+(2)Lesbiennes, Gays, Bisexuel.le.s, Transgenres, Queer, Intersexes et Asexuel.le.s, pour plus d’infos sur les définitions voir : https://cestcommeca.net/lgbt-def/ et comment elle envisage le combat pour l’égalité des droits.

Il est à noter que Gilles Verstraeten qui se revendique comme un homme gay au début de cette carte blanche n’a pas réellement l’air de se préoccuper des oppressions de la communauté arc-en-ciel comme il l’appelle. En effet, sur son site, seuls deux articles parlent de ce sujet, les deux ayant été écrits en juillet 2021. Sa fiche sur le site du parti ne fait pas mention de son orientation et rien dans ses missions parlementaires ne semble indiquer la moindre participation aux luttes pour les droits des personnes LGBTQIA+.

Un texte hors sol : la double-pensée de la N-VA

Le texte sera par ailleurs éloquent à ce sujet : pas une seule fois on ne parlera des oppressions et des situations concrètes auxquelles les personnes LGBTQIA+ sont confrontées. On ne parlera donc pas de l’isolement social ou du manque d’appuis économiques des personnes qui ont coupé les ponts avec leur famille, les risques plus élevés de suicide ou de sans-abrisme, le chômage, les violences médicales ou l’invisibilisation de nos existences.

De même, l’article sort le 14 juillet : jour de la visibilité des personnes non-binaires. Pas une seule mention de cette journée dans cette carte blanche qui, par certaines formulations, semble sous-entendre une opposition aux droits des personnes non-binaires. Cette opposition serait d’ailleurs cohérente avec les prises de position de la N-VA lorsque la nouvelle loi trans de 2017 ne prévoyait pas de droits spécifiques aux personnes non-binaires.

Le texte témoigne d’un propos totalement hors sol qui est le propre du pinkwashing(3)Pinkwashing est un mot-valise anglais, formé sur le modèle de whitewashing (« blanchiment », au sens moral), en remplaçant l’adjectif white (« blanc ») par pink (« rose »). C’est le procédé de propagande utilisé par une organisation dans le but de se donner une image progressiste et engagée pour les droits LGBTQIA+. dont le texte fait un étalage grandiose au service de la N-VA, déjà épinglée à plusieurs reprises pour des faits d’homophobie : nous rappellerons en vrac que la N-VA

Le texte démarre alors sur la Hongrie(9)voir ici pour plus d’informations : https://www.gaucheanticapitaliste.org/jolies-loupiotes-pour-les-lgbtqi/ et l’hypocrisie de l’UEFA ainsi que sur la solidarité qu’ont témoigné les footballeurs. En effet, Gilles Verstraeten s’y connaît en hypocrisie sur le sujet, lui qui signait une carte blanche intitulée “Wij zijn conservatief” déplorant que “l’identité culturelle nationale, les traditions, la langue, la famille, l’esprit communautaire, la moralité publique,etc. ont été systématiquement démolis au cours des dernières décennies” et que les “années 1960 n’ont fait que la remplacer par un idéalisme abstrait, l’égocentrisme, le relativisme et l’hédonisme.”

L’auteur, fier de ses convictions conservatrices, est donc porteur d’un double discours.

Nul doute en effet que les années 1960 ont été le berceau d’un mouvement de masse d’émancipation des personnes LGBTQIA+ : sans “l’égocentrisme, le relativisme et l’hédonisme” de personnes comme Marsha P. Johnson, Sylvia Rivera ou de toutes les autres personnes qui ont lutté pour leurs droits et la libération sexuelle, on ne célébrerait pas de Pride aujourd’hui, cette Pride qui commémore les nuits d’émeute contre les brutalités policières à New York.

La N-VA a d’ailleurs profité des dernières contestations contre les brutalités policières pour rappeler son soutien à la police, à rebours complet de l’histoire du mouvement LGBTQIA+. En effet, la N-VA a bénéficié de la brutalité policière pour pouvoir écarter ses opposant.e.s de la Pride en 2018 et 2019 : on ne mord pas la main qui nous nourrit !(10)pour plus d’informations, voir ici : http://rainbowhouse.be/fr/article/violences-policieres-a-la-pride/ et là : https://www.gaucheanticapitaliste.org/violences-policieres-deni-de-democratie-fichage-militant-belgian-shame/

On ne célèbre pas à la fois victimes et bourreaux si on a un minimum de cohérence politique : la N-VA démontre une nouvelle fois son pinkwashing, Pinkwashing que les “wokes”(11)Woke, littéralement “éveillé”, c’est-à-dire les personnes qui seraient conscientes des oppressions systémiques qui traversent nos sociétés verraient partout selon Gilles Verstraeten.

Le bon et le mauvais LGBTQIA+

L’auteur va ensuite pointer deux “extrêmes”, à savoir les deux camps qui sont objectivement, selon lui, les ennemis du mouvement LGBTQIA+.

D’un côté les gens qui en ont marre d’entendre parler du sujet (alimentés par l’extrême-droite et les religieux conservateurs) et de l’autre, les militants “woke” qui “brûlent impitoyablement” les gens qui posent des questions sincères ou qui utilisent les mauvais mots.

On observe clairement dans la rhétorique un emploi des mots très éloquents : les conservateurs en ont simplement marre du sujet tandis que les progressistes brûlent les gens à coups de commentaires pas sympas.

Il y a certainement des critiques à formuler aux postures radicools(12)Mot-valise qui associe le mot “radical” à celui de “cool.” C’est une critique de comportements performatifs qui cherchent à prouver leur radicalité politique uniquement par une posture intransigeante. qui ne sont pas rares dans le mouvement LGBTQIA+.

Néanmoins, ce texte pose très clairement la division : d’un côté l’extrême-droite, les religieux conservateurs et les woke qui seraient les allié.e.s objecti.fs/ves des premiers, de l’autre des personnes qui ne seront pas définies mais qui ont raison de par leur modération.

On reconnaîtra ici le sophisme de l’appel au juste milieu qui sert d’argument massue contre tout ce qui serait un peu trop progressiste en le mettant au même niveau que les pires réactionnaires. Plus besoin de nuance ou d’analyse critique des actes et des discours : il suffit de qualifier “d’extrémiste” quiconque est en désaccord trop profond avec une position dominante.

La nullité du texte en arrive à des moments de ridicule éloquents, quand un militant d’un parti séparatiste conclut tristement son paragraphe : “les extrêmes divisent.”

Ainsi, Verstraeten continue sa pénible démonstration en rajoutant à ses “extrémistes” de papier un maquillage d’obscurantistes, en dénonçant leurs déclarations “non scientifiques et idéologiques autour du le genre, de la sexualité et du sexe.”

Lesquelles ? On ne le saura pas car ce genre d’attaque tire sa force du fait qu’on ne sait pas qui elle tape. Ici, Verstraeten s’attaque à des positions et des adversaires indéfinis et donc incapables de répondre, lui donnant automatiquement raison puisque personne ne contestera cette remarque, tout le monde étant bien entendu persuadé d’être du bon côté de la science.

Cette “dénonciation” semble néanmoins faire écho aux dix dernières années de propagande enbyphobe(13)Prononcer à l’anglaise “NB”-phobie, c’est-à-dire qui discrimine les personnes non-binaires, voire aux discours justifiant la mutilation des enfants intersexes. Le mantra, à rebours de toute la littérature en anthropologie, en sociologie et même en biologie, qui répète “qu’il n’y a que deux sexes” au nom de La Science™, sert encore aujourd’hui d’excuse pour s’en prendre aux personnes qui se situent en dehors de la binarité homme/femme (pour les personnes non-binaires) ou mâle/femelle (pour les personnes intersexes).

“Le problème n’est pas l’oppression, c’est la victimisation”

Vient ensuite le reproche aux mauvai.se.s LGBTQIA+ qui “prônent l’apartheid auto-imposé et la victimisation permanente.” Il est évidemment très facile de reprocher à quiconque de se victimiser quand on tait dans le même texte les raisons qui poussent les personnes LGBTQIA+ à se mobiliser pour leurs droits !

De même, faire un parallèle historique aussi immonde entre apartheid et création d’espaces communautaires temporaires réservées aux gens qui en ont besoin résume à merveille la vision du monde qu’essaie de nous faire passer Gilles Verstraeten : militant.e.s “woke” et colons afrikaners sont issu.e.s du même tonneau et doivent donc être mis au même niveau d’ignominie.

Vient ensuite la litanie des gentil.le.s cis-hétéros(14)Personne cisgenre (cis) : Dont le genre correspond à celui attribué à la naissance qui seraient nos allié.e.s et qui mériteraient même leur place dans le sigle LGBTQIA+ (sigle qu’il décrédibilise juste après pour lui préférer un très flou “communauté arc-en-ciel” qui cache tout ce qu’il faut cacher aux yeux du grand public) en tant qu’allié.e.s. Et avec la même logique, les hommes alliés au féminisme seraient des femmes.

Il est évident que nous devons compter sur nos allié.e.s, parce que nous sommes une minorité très petite comparée à d’autres groupes opprimés, parce que nos luttes ouvrent du même coup des droits aux personnes cis-hétéros (par exemple, la suppression de l’interdiction de certaines pratiques sexuelles aux USA ou la mise en place de mesures pour changer de nom) et parce que nous visons, in fine, à faire en sorte que la sexualité et le genre ne soient pas imposées mais émancipatrices et que chacun.e ait le choix sans se confiner dans des cases.

Néanmoins, il reste que nous devons aussi faire face à une opposition parfois extrêmement violente qui peut aller jusqu’à l’extermination pure et simple comme dans les 10 pays dans le monde qui condamnent les personnes homosexuelles à la peine de mort mais également tous ceux qui s’attaquent à notre liberté d’expression, à notre vie privée ou à nos familles.

Nous ne pouvons pas toujours nous contenter de convaincre chaque individu de la société que notre existence et nos amours doivent être respectées : nous nous défendrons pour cela et tant pis si nous froissons la sensibilité des braves gens qui régurgitent les idées que certains ministres de la N-VA continuent encore à répandre.

Mais quels exemples héroïques nous offre donc Verstraeten pour illustrer la grandeur de nos allié.e.s et de leur abnégation ? Les grandes entreprises qui font flotter un drapeau arc-en-ciel. Tout est dit.

Suite à cet édifiant exemple, Verstraeten cherche ensuite à vider le drapeau arc-en-ciel de sa radicalité en déclarant qu’il n’est plus un étendard de bataille mais “un symbole d’inclusion plutôt qu’un symbole de notre exclusion historique.”

Il est certain qu’avec une inculture historique aussi abyssale, caractéristique de nombreux nationalistes qui ne s’intéressent pas à grand-chose d’autres qu’aux épisodes de leur mythe national, il est incapable de voir toutes les exclusions dont nous sommes toujours victimes étant donné qu’il participe de par ce texte à les invisibiliser.

Relents nationalistes : pour la LGBTQie indépendante !

Après avoir craché sur les militant.e.s “wokes” pendant l’intégralité de son texte, Verstraeten fait la leçon aux réactionnaires avec un parallèle correct mais assez risible, surtout quand on sait qui a pu se trouver derrière l’organisme en charge de la publication de Doorbrak.

“Toutefois, ceux qui s’en prennent à l’arc-en-ciel (…) en raison des absurdités des militants woke, devraient se rendre compte qu’ils font preuve d’à peu près la même subtilité intellectuelle que lorsqu’ils s’en prennent au lion flamand en tant que symbole ou qu’ils ne veulent pas s’appeler flamands parce que des personnes détournent ce symbole”

Cet aspect nationaliste en demi-teinte dans le texte prend un sens éclairant quand il conclut son intervention à destination de la communauté LGBTQIA+ :

“Pour ceux de la communauté arc-en-ciel qui craignent de nous perdre dans la foule et de perdre notre caractère unique, soyez assurés que nos propres lieux et notre culture nés de l’oppression historique survivront”

Ce passage est éclairant à plus d’un titre : il pense donc que les personnes LGBTQIA+, à l’instar des nationalistes conservateurs obsédés par la pureté de leur héritage et de leurs traditions, ont peur pour leurs saunas et leurs boîtes de nuit qui seraient envahies par les cis-hétéros à cause de leur inclusion dans la société.

Verstraeten confirme une nouvelle fois son statut hors-sol, à 1000 kilomètres des préoccupations des personnes LGBTQIA+ : nous n’avons pas peur pour notre culture, nous avons peur pour nos droits, nous avons peur de nous retrouver sans famille, nous avons peur de retrouver nos compagnes et nos compagnons suicidé.e.s, nous avons peur de finir à la rue, nous avons peur de subir des viols correctifs !

Verstraeten est incapable de sortir de son paradigme nationaliste pour aller à la rencontre de la réalité matérielle et de l’oppression que nous subissons. Pour lui, les personnes LGBTQIA+ voient les cis-hétéros comme le nationaliste conservateur voit les migrant.e.s (il suffit de lire son texte “Wij zijn conservatief” pour s’en convaincre) : des menaces contre leur mode de vie.

Verstraeten est incapable de penser au-delà du présent et du statu quo : étant un conservateur assumé, le monde tel qu’il est ne peut être amélioré sans prendre de risques. En résulte alors une satisfaction médiocre du sous-bourgeois pétri de ses privilèges de politicien.

Cette satisfaction entraîne par conséquent une peur de perdre ce qu’il y a déjà : c’est donc pour cela que ce qui doit être défendu pour Verstraeten, ce n’est pas tant l’acquisition de nouveaux droits que la conservation des anciens, forcément mis en danger par une quelconque menace allogène que l’auteur pense que la communauté LGBTQIA+ identifie chez les personnes cisgenres et hétérosexuelles (alors que pour lui, la bonne réponse doit pointer les étranger.e.s du doigt).

Évidemment, contrairement au migrant, la personne cisgenre et hétérosexuelle a le luxe d’être identifiée comme une humaine avec sa propre individualité et non pas comme une substance toxique qui corrode tout ce qui entre en contact avec. Pour Verstraeten, ces gens sont donc sans danger pour son mode de vie et il a donc l’impression qu’il est nécessaire de démontrer à ses contemporain.e.s qu’il ne faut pas prendre les cis-hétéros pour des migrant.e.s.

Nullité politique de la N-VA sur les questions LGBTQIA+

La N-VA a démontré à de nombreux égards que son logiciel idéologique conservateur va régulièrement à l’encontre des intérêts des luttes des personnes LGBTQIA+ : l’article de Gilles Verstraeten illustre à merveille la double pensée nécessaire à ces gens pour justifier à la fois leur attachement au statu quo et leur défense des droits des personnes LGBTQIA+ (mais on devine qu’en réalité toutes ne sont pas concernées).

Pour pouvoir ignorer la nécessité urgente de mesures politiques structurelles pour lutter contre les discriminations et leurs effets, la N-VA est obligée d’imaginer une menace morale qui ne serait jamais la responsabilité des politiques (les conservateurs détestent l’idée que la collectivité puisse défendre les minorités). Pour défendre les droits des personnes LGBTQIA+, il suffit alors de pondre des plans anti-discrimination qui, en plus d’être bâclé, instrumentalisent et sont soigneusement composés d’études prouvant des soi-disant liens entre homophobie et islam, sans s’arrêter par exemple sur le fait que les hommes ou les personnes de droite sont également plus homophobes que la moyenne(15)pour plus d’informations, voir la prise de position de l’asbl Garance sur le plan de Zuhal Demir : https://www.rtbf.be/info/belgique/detail_la-n-va-veut-bien-proteger-les-homos-qui-lui-conviennent-pas-les-autres?id=9921219.

Cette menace morale comme épouvantail s’accompagne en même temps d’une véritable négation des problèmes réels qui touchent les personnes LGBTQIA+, négation qui peut parfois même aller jusqu’à aggraver la souffrance que partagent les victimes de ces oppressions. Ainsi, en 2019, le secteur de la prévention en matière de santé va être privé de 2,3 millions d’euros par le gouvernement flamand, dirigé par Jan Jambon. Le numéro de prévention suicide a été épargné in extremis après une coupe de 55.000 euros dans le budget.(16)https://www.rtbf.be/info/article/detail_prevention-du-suicide-en-flandre-la-coupe-budgetaire-de-trop?id=10391357

La N-VA veut individualiser les oppressions systémiques que les personnes LGBTQIA+ subissent, qui plus est en les reportant sur des isolé.e.s extérieur.e.s ou extrémistes (qu’ils soient “woke” ou religieux), en gardant un silence complet sur les discriminations institutionnelles et ordinaires qui ont un impact souvent bien plus important sur toutes les personnes LGBTQIA+.

Reste donc que pour la N-VA, la réponse reste la bonne vieille morale conservatrice : ce n’est pas une réponse politique mais bien un constat d’impuissance qui, en plus de laisser les opprimé.e.s sans réponse à leurs problèmes, les pousse à blâmer les personnes musulmanes comme seules responsables de leurs problèmes.

Gilles Verstraeten démontre donc dans son texte la nullité politique complète de son parti sur les problèmes quotidiens des LGBTQIA+ en mettant toute la responsabilité sur des individus, notamment les militant.e.s les plus conscient.e.s et les musulman.e.s. La N-VA prend des mesures qui nous mettent en danger et s’oppose à la conquête de nouveaux droits.

Nous le répétons depuis des années et ce texte démontre encore notre constat avec un brio tragicomique : la N-VA n’a pas sa place à la Pride !

Photo : Penn State

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