Cette année encore, nous avons fait le choix avec la Gauche anticapitaliste de nous rendre à la Brussels Pride, non sans pointer les limites d’une mobilisation largement dépolitisée, et dans laquelle sont pourtant présents des partis politiques ouvertement LGBTphobes comme la N-VA.

Brussels Pride : la Pride des flics et des cishétéros ?

Chaque année, la décision pour nous d’investir la Brussels Pride ne va pas de soi : entre les partis politiques qui viennent s’offrir une couche de pinkwashing(1)Procédé marketing utilisé par un État, organisation, parti politique ou entreprise pour améliorer son image en promouvant son attitude accueillante envers l’homosexualité. à moindre frais et une présence policière qui constitue une insulte aux émeutes de Stonewall en 1969, l’environnement peut sembler imperméable aux idées de gauche révolutionnaire. Dès lors, nous pouvons comprendre la démarche de certain.e.s militant.e.s de refuser de se rendre à la Pride de Bruxelles et de construire, dans ses marges, un événement alternatif, avec la Pride VNR. Nous saluons par ailleurs l’existence d’un pôle queer de gauche radicale, qui ne cède pas aux sirènes de la récupération libérale des questions LGBTI.

S’il faut évidemment critiquer l’orientation droitière des organisateur·ice·s de la Pride, et bien sûr dénoncer la présence des partis politiques de droite et de la police, nous ne pouvons simplement pas snober les 200.000 personnes qui se rendent à la Brussels Pride, qui ne peuvent pas toutes être taxées d’hétéros ou de réformistes de droite

Néanmoins, nous regrettons que cette Pride VNR se soit tenue comme chaque année en comité très restreint, et ne cherche pas à s’étendre à de multiples horizons de radicalité : l’événement repose de fait sur un faible nombre de personnes et peine à sortir d’un entre-soi militant. Par ailleurs, que cette Pride VNR se soit tenue en même temps que la Brussels Pride empêchait d’autant plus d’élargir l’événement à d’autres franges que les militant·e·s déjà convaincu·e·s. Ce choix de date est également une opportunité manquée vers la construction d’un mouvement de lutte queer qui soit actif tout au long de l’année.

S’il faut évidemment critiquer l’orientation droitière des organisateur·ice·s de la Pride, et bien sûr dénoncer la présence des partis politiques de droite et de la police, nous ne pouvons simplement pas snober les 200.000 (!) personnes qui se rendent à la Brussels Pride, qui ne peuvent pas toutes être taxées d’hétéros ou de réformistes de droite. Les différences entre la fréquentation de la Pride de Bruxelles, la manifestation annuelle la plus massive du pays, et celle de la Pride VNR, qui plafonne à quelques centaines de personnes, devraient ainsi nous éclairer sur les limites tactiques de la démarche.

L’hypocrisie des partis de gouvernement

Si la présence de la droite nationaliste et anti-LGBTI de la N-VA à la Pride constitue évidemment le sommet de l’hypocrisie et de l’abject, nous ne sommes pas dupes non plus face aux partis qui composent le gouvernement fédéral et qui paradaient fièrement au sein du cortège : à quelques semaines d’un triple scrutin électoral (sans oublier le niveau communal d’octobre qui pointe également le bout de son nez), tous les “principaux” partis francophones soutenaient tout à coup des revendications phares des luttes LGBTI(2)https://www.rtbf.be/article/elections-2024-comment-les-six-partis-francophones-se-positionnent-par-rapport-aux-droits-lgbtqia-11370548 : l’interdiction des mutilations sur les enfants intersexes ou encore la fin de la discrimination autour du don de sang envers les hommes qui ont des relations sexuelles avec des hommes (HSH) et dont le délai d’abstinence a simplement été réduit sous la Vivaldi, triste symbole de la politique gouvernementale(3)En Belgique, les HSH doivent observer un délai d’abstinence de 4 mois (auparavant 12 mois) sans aucune relation sexuelle pour donner leur sang, quand bien même ceux-ci auraient conservé le même partenaire. Un tel critère d’exclusion ne s’applique évidemment pas aux personnes hétérosexuelles et repose sur une conception homophobe.. Une telle unanimité nous fait indéniablement nous demander qu’ont fait tous ces partis ces quatre dernières années, alors qu’on observe en Belgique une montée des violences envers les personnes LGBT, qui fait de la Belgique le 3e pays européen le plus dangereux pour nos communautés(4)https://fra.europa.eu/sites/default/files/fra_uploads/fra-2020-lgbti-equality-1_en.pdf, p. 40.

Les Socialistes et les Verts ont même sorti leur token pour l’occasion, en donnant la parole à Petra de Sutter (Groen) ou Elio di Rupo (PS) avant la marche, pour des discours aussi convenus que vides, qui exaltaient la joie de voir Bruxelles couverte des couleurs de l’arc-en-ciel. Rien en revanche sur les conditions de précarité dans lesquelles vivent les LGBTI, qui sont pourtant les conséquences des politiques antisociales menées ces dernières années aussi bien par les socialistes que les écolos. Sans doute pressés par les échéances électorales de juin prochain, les deux partis vont aujourd’hui jusqu’à affirmer qu’ils veulent le remboursement des soins transspécifiques. Mais qui peut les croire alors que le gouvernement Vivaldi a laissé  le secteur de la santé complètement exsangue ? Le néolibéralisme que ces partis défendent est incompatible avec l’émancipation des LGBTI.

Construire un espace revendicatif et radical ?

Défendre un programme révolutionnaire au sein de la Pride de Bruxelles donne parfois l’impression de prêcher dans le désert. Un désert particulièrement bruyant car entre les chars qui déversent une musique assommante et les différentes sommations entendues autour de nous pour qu’on cesse de s’exprimer, c’est toujours un défi de parvenir à porter haut et fort nos revendications. Nous avons néanmoins la prétention de penser que nos efforts n’étaient pas tout à fait vains : notre bloc a en effet été rejoint par de nombreuses personnes au cours de la marche, qui reprenaient avec nous nos slogans, et qui semblaient ravies de trouver un îlot de radicalité au sein d’un cortège franchement ennuyeux.

La droite et l’extrême droite marchent main dans la main et mènent une guerre contre nos droits : c’est une nécessité vitale qu’on parvienne à faire front, ensemble, malgré nos différences politiques et organisationnelles.

Les mobilisations du 5 mai en soutien avec les mineurs trans qui subissent une attaque législative de la droite et de l’extrême droite en France ont montré la voie : les queers peuvent se réunir et s’organiser, et c’est déjà une victoire! Mais on ne peut pas rester sur la défensive, et réagir seulement dans l’urgence face aux attaques des réactionnaires. Il faut qu’on prenne l’initiative, qu’on porte nous-mêmes des revendications radicales, et ce toute l’année. Ce mouvement ne pourra se construire qu’en y incluant toutes les forces de gauche, de façon forcément plurielle et en abandonnant les querelles de chapelles qui affaiblissent nos forces. La droite et l’extrême droite marchent main dans la main et mènent une guerre contre nos droits : c’est une nécessité vitale qu’on parvienne à faire front, ensemble, malgré nos différences politiques et organisationnelles.

Rendez-vous le jeudi 23 mai à 19h30 au Pianofabriek

Cet article sur la Pride 2024 se veut moins un bilan qu’une invitation large à toutes les forces de gauche à réfléchir ensemble aux perspectives du mouvement LGBTI en Belgique. C’est dans cette optique que nous vous invitons à discuter de ces enjeux ce jeudi 23 mai au Pianofabriek. En présence de Pierre, membre des Inverti.e.s, collectif LGBT et révolutionnaire en France, qui a largement participé à faire entendre une voix queer et révolutionnaire de l’autre côté de la frontière, et de Mélodie, militante de la commission LGBTI de la Gauche anticapitaliste, nous reviendrons sur ces questions cruciales pour nos luttes.


Photo : Bloc de la Gauche anticapitaliste à la Pride 2024 (Gauche anticapitaliste, CC BY-NC-SA 4.0)

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