En 2019, le Comité International de la Quatrième Internationale(1)dont la Gauche anticapitaliste est la section belge a discuté d’une « Proposition pour un débat programmatique. » Elle a ensuite décidé de poursuivre de manière large et ouverte la discussion sur notre conception d’une nouvelle société. Dans cette optique, elle a demandé à trois de ses commissions de développer – en plus d’intervenir dans les mouvements sociaux existants – notre réflexion sur le type de société que nous voulons. Ces trois commissions – sur l’écologie, les questions LGBTQI+ ainsi que l’oppression des femmes et le féminisme – ont chacune rédigé une courte contribution pour développer la discussion. Nous publions ces trois contributions, ainsi que le document original, afin de promouvoir une telle discussion qui est plus que jamais nécessaire aujourd’hui. Ces contributions ont bien sûr été rédigées avant la pandémie de Covid-19.


La question de la relation entre la lutte pour la libération LGBTQI+ et notre vision du socialisme a été abordée dans une certaine mesure dans le document « Sur la libération des lesbiennes/gais » adopté lors du 15e Congrès mondial de la Quatrième Internationale en 2003, en particulier dans sa deuxième section, « Nos prises de position. »

La commission LGBTQI+ est donc partie de ce texte pour rédiger ces thèses pour le Comité International et a également tenté d’incorporer les idées clés du livre de Peter Drucker intitulé « Warped : Gay Normality and Queer Anti-Capitalism » (2015) de Peter Drucker. Nous avons essayé de rendre notre langage plus inclusif que dans le texte de 2003 et d’ajouter de nouveaux points qui, nous l’espérons, reflètent les discussions clés que nous et le mouvement avons eues plus généralement depuis lors.

Nous pensons qu’il s’agit d’une discussion importante, quoique compliquée. En ces temps sombres, il est encore plus important que d’habitude d’affirmer le principe de l’espoir.

Thèse 1

Pour développer et expliquer notre vision de la société socialiste pour laquelle nous nous battons, il faut notamment y intégrer une vision de la libération des LGBTQI+, en s’opposant aux conceptions oppressives et limitées de la masculinité, de la féminité et de la sexualité – au-delà de binarité de genre. Nous travaillons à une société dans laquelle le genre ne serait plus une catégorie centrale pour l’organisation de la vie sociale et dans laquelle les concepts d' »hétérosexualité » et d' »homosexualité », dans la mesure où ils existent, n’auront aucune conséquence juridique ou économique.

Pour réaliser cette transition, il faudrait notamment mener une campagne active contre les stéréotypes perpétrés dans toute la société – par le biais de la famille, des organisations communautaires (en particulier de nombreuses organisations religieuses), des médias de masse et des institutions étatiques – en particulier les systèmes éducatifs. Ces campagnes continueront à être menées pendant un certain temps après la révolution socialiste.

Il s’agira également de s’attaquer aux stéréotypes contre les personnes racisées qui sont souvent basés sur des images dégradantes du corps et de la sexualité des personnes racisées.

En effet, au moins dans une certaine mesure, les personnes racisées sont perçues comme « déviantes » de ce qui est promu comme la norme « civilisée. » Il faudra égalment lutter contre l’effacement du riche héritage de l’homoérotisme et des défis à la binarité de genre présentes dans de nombreuses cultures pré-impérialistes et indigènes.

Cela signifie également qu’il faut contester le fait que les personnes handicapées se voient souvent refuser le droit d’avoir une vie sexuelle ou sont ridiculisées et victimes de discrimination lorsqu’elles en revendiquent le droit.

Thèse 2

La libération des LGBTQI+ fait partie d’une libération sexuelle humaine plus large pour laquelle nous nous battons. Nous cherchons à libérer la sexualité humaine de ce que la résolution de 1979 sur la libération des femmes appelait « le cadre de la contrainte économique, de la dépendance individuelle et de la répression sexuelle » dans lequel elle est aujourd’hui trop souvent confinée. Une activité sexuelle librement consentie et agréable pour tou.te.s celles et ceux qui y prennent part est une justification qui se suffit à elle-même.

Nous travaillons à une société dans laquelle nos corps, nos désirs et nos émotions ne sont plus des choses à acheter et à vendre, dans laquelle l’éventail de choix pour tous – en tant que femmes, hommes, personnes non-binaires, personnes actives sexuellement, jeunes, personnes âgées – est considérablement élargi, et où les gens peuvent développer de nouvelles façons d’avoir des relations sexuelles, de vivre, de travailler et d’élever leurs enfants ensemble.

Nous voulons un monde dans lequel le corps et la sexualité des gens (en particulier des femmes) ne sont plus considérés comme des possessions ; dans lequel le bonheur ne dépend plus uniquement de l’acquisition du « bon » partenaire ; dans lequel la vie quotidienne est érotisée et sensuelle au lieu d’être cloisonnée dans un domaine de loisirs et de consommation sexualisés. Nous voulons une société dans laquelle toutes les personnes (notamment les femmes) jouissent d’une autonomie sexuelle, tout en faisant partie d’une communauté. Nous voulons un monde dans lequel l’amour est compris comme un fait profondément social.

Il nous est impossible, à nous qui avons été formés par la société aliénée dans laquelle nous vivons, d’envisager comment la sexualité va se développer dans ce contexte, et il est donc important d’éviter de faire des prédictions basées sur nos propres aspirations individuelles.

La lutte contre toute forme de violence sexuelle, physique et/ou psychologique, est une part essentielle de ce combat. L’explosion de mouvements tels que #NiUnaMenos et la visibilisation de l’indicible violence sexuelle et d’autres formes de violence contre les enfants et les jeunes, non seulement au sein de la famille mais aussi au sein des institutions – souvent religieuses – peuvent être des alliés importants dans cette vision. Dans le même temps, nous nous allions avec ces forces, en particulier les jeunes, qui luttent pour un horizon « sex positive. »

Thèse 3

La libération complète des LGBTQI+ implique un dépérissement de la famille capitaliste en tant qu’institution et la remise en cause de la norme hétérosexuelle imposée par l’État capitaliste. La Quatrième Internationale considère que l’égalité et la liberté totales des femmes, des personnes LGBTQI+ et des jeunes exigent des alternatives socialisées aux fonctions de la famille, ce qui ne peut être pleinement réalisé qu’avec le renversement du capitalisme. ‘

Thèse 4

Nous luttons afin d’offrir des alternatives socialisées aux différentes fonctions actuellement remplies par la famille : diverses formes de responsabilité collective et communautaire pour les soins aux enfants et aux infirmes ; une économie qui ne force pas les gens à quitter leur communauté locale ; diverses formes de foyers et de coopération au sein des communautés locales ; et diverses formes d’amitié, de solidarité et de relations érotiques.

Dans le cadre de ce plan global, nous reconnaissons que, dans l’idéal, les individus et les petits groupes devraient pouvoir exercer autant de choix que possible matériellement parlant. Par exemple, la mise en place de cantines collectives, tant sur le lieu de résidence que sur le lieu de travail, ne devrait pas empêcher un individu de préparer et de prendre son petit déjeuner seul ou de partager avec un petit groupe les plats qu’il a préparés. De même, si des services de garde d’enfants collectifs de haute qualité doivent être disponibles gratuitement dans les quartiers. De même passer du temps en petits groupes comprenant des enfants doit être possible et même valorisé.

Thèse 5

Dans la plupart des cultures, la sexualité et l’activité sexuelle sont encore des aspects de notre être humain qui sont traités comme dangereux ou comme la « propriété » de la société – souvent déléguée aux membres masculins de la famille et/ou aux institutions religieuses – et non à l’individu. Mais les progrès révolutionnaires des techniques de contraception et de procréation dans les années 1950 et 1960 ont largement contribué à l’émergence d’aspirations à la libération sexuelle et ont encore davantage séparé la sexualité de la reproduction. Une radicalisation culturelle est apparue dans les années 1950 et 1960 parmi les jeunes et les étudiant.e.s des pays impérialistes, radicalisation qui a commencé à remettre en question, entre autres, la classification traditionnelle des genres. Ces nouveaux défis à la culture traditionnelle comprenaient de nouvelles approches de la sexualité.

Thèse 6

Les luttes pour le droit à l’avortement et à un contrôle des naissances accessible, comme la lutte pour les droits des LGBTQI+, ont directement remis en question la notion traditionnelle qui assimile les relations sexuelles acceptables uniquement dans un but procréatif, au sein du mariage et de la famille. De nouvelles perspectives sur le sexe et la sexualité ont favorisé une nouvelle valorisation du plaisir sexuel en général, mais surtout pour les femmes, qui dans de nombreuses cultures n’étaient pas socialisées dans l’idée de pouvoir ressentir du plaisir sexuel. Lorsque le mouvement des femmes a fait progresser les revendications en matière de santé et d’éducation sexuelles, il l’a fait avec l’idée fondamentale que les femmes sont actives sexuellement et qu’elles ont le droit au plaisir et au contrôle de leurs relations sexuelles, plaisir et contrôle dont les hommes ont historiquement bénéficié. L’un des principaux messages véhiculés dans cette lutte pour l’autonomie sexuelle des femmes était qu’il n’y avait pas une seule bonne façon de jouir de la sexualité, mais qu’il y avait en réalité une pluralité de possibilités.

Parmi les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes, les travailleu.rs/ses du sexe et les communautés LGBTQI+ en général, le développement du VIH a changé la mesure dans laquelle les pratiques sexuelles entre personnes du même sexe sont discutées plus ouvertement qu’auparavant dans de nombreuses sociétés. Les États ont été contraints par des organisations militantes telles que Act Up dans divers pays et la Treatment Action Campaign en Afrique du Sud d’étendre l’éducation sexuelle dans les écoles et les collèges, de faire connaître la disponibilité des services de santé sexuelle (qui traitent d’un éventail de questions plus large que le VIH) et de promouvoir les pratiques sexuelles à moindre risque. Les bénéfices de cet activisme ont toutefois été inégaux dans les différentes parties du monde, dans les différentes communautés (en raison du manque de matériel dans les langues concernées par exemple) et à différents moments. Aujourd’hui, avec le renforcement des forces d’extrême droite et des forces religieuses fondamentalistes dans de nombreuses régions du monde, ce problème est plus important qu’à l’apogée de l’activisme contre le sida.

Thèse 7

Nous militions pour un monde dans lequel la démocratie à la base de la vie quotidienne est ancrée dans de multiples formes d’auto-organisation. Il faudra que les organisations qui représentent les opprimés continuent à s’organiser dans les sociétés post-révolutionnaires. Les mouvements de libération des femmes, les mouvements des personnes racisées, les mouvements des personnes handicapées devront être actifs aux côtés des organisations de quartier et de travail, car l’idéologie oppressive, répressive et discriminatoire est plus ancienne que les structures économiques qui leur ont donné naissance, tout comme la sous-représentation des plus opprimés. En même temps, nous luttons pour une représentation spécifique des personnes LGBTQI+ aux côtés d’autres groupes opprimés au sein des comités de quartier et de lieu de travail afin de donner à ces organisations les meilleures chances d’inclusivité possibles. Nous reconnaissons également que la forme de ces mouvements variera énormément dans les différentes parties du globe

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