Depuis quelques jours, la Hongrie subit un feu nourri de critiques de toute la classe politique européenne pour avoir introduit l’interdiction de montrer des médias qui “propagent ou dépeignent l’homosexualité” au moins de 18 ans dans un projet de loi contre la pédocriminalité.

C’est également l’exigence que les publicités qui montreraient “une déviation par rapport au sexe biologique d’une personne, un changement de genre ou qui propagent ou dépeignent l’homosexualité” soient inaccessibles au moins de 18 ans et ne soient alors diffusées qu’entre 22h et 5h du matin.

La loi prévoit également que les cours d’éducation sexuelle devront désormais être assurés par des organisations agréées par l’Etat hongrois.

Cette loi est bien évidemment dégueulasse en ce qu’elle est la descendante directe de la loi de Poutine contre “la propagande gay”, qu’elle cherche encore et toujours à associer les LGBTQI+ à un danger contre les enfants, qu’elle met l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle sous la tutelle de l’Etat, qu’elle menace la liberté d’expression (les ados pourront-iels regarder une série comme Friends qui dépeint des personnages homosexuel.le.s dans certains épisodes ?), qu’elle isole les jeunes LGBTQI+ en les privant de représentation ou d’éducation adaptée à leurs besoins et est une attaque violente aux droits de l’enfant.

Nous ne pouvons qu’approuver un rejet si massif de cette loi, rejet qui prend place dans une campagne internationale de pression sur les institutions autour d’un loisir populaire qui a pourtant la réputation d’être un repaire d’homophobes. La tradition antifasciste du football arrive même à émerger dans une aussi grosse structure que l’Euro et le rejet unanime témoigne d’un enracinement solide du travail politique des personnes LGBTQI+ qui a réussi à devenir hégémonique en Europe.

Il serait néanmoins nécessaire de remettre les points sur les i.

La Hongrie bafoue régulièrement les droits humains depuis des années : la dernière radio d’opposition sur la bande FM a été fermée en février, les personnes transgenres n’ont pas le droit de transitionner, les couples LGBT ou non-mariés ont été privés du droit d’adopter, etc.

Il aura pourtant fallu attendre plusieurs années d’opposition aux droits fondamentaux pour que la question de l’expulsion soit évoquée. On se souvient pourtant de l’exemple grec qui, avec le soutien de sa population, souhaitait sortir des mécanismes d’austérité : Syriza n’a pas eu à attendre des années avant que l’Union européenne mette une pression incomparable à celle que subit aujourd’hui la Hongrie.

Si une telle attention médiatique éclate aujourd’hui, c’est d’abord dû au travail de pression qui a été fait sur l’UEFA(1)Union des associations européennes de football qui botte en touche en considérant que prendre position sur le sujet serait trop politique… tout en reconnaissant que les droits des personnes LGBTQI+ n’étaient pas une question politique !

C’est grâce à cette déclaration, typique de la double-pensée de l’idéologie dominante qui dicte ce qui est ou non politique en fonction des intérêts du moment, qu’une évidence depuis longtemps répétée par les activistes du monde entier a été incarnée dans toute sa force : on ne peut pas être neutre dans une situation d’oppression !

L’UEFA a essayé de rattraper le coup mais force est de constater qu’on ne peut pas jouer sur les deux tableaux : vous êtes avec nous ou avec les LGTBQI+phobes !

Depuis, c’est la surenchère de toute la classe politique européenne qui semble d’un coup se réveiller face aux violations répétées des droits humains en Hongrie.

Ursula von der Leyen a taclé le texte hongrois en déclarant qu’il allait à l’encontre des valeurs de l’Union européenne. Dans le même temps, Frontex, l’agence de contrôle des frontières européennes, régulièrement filmée en train de brutaliser des migrant.e.s et accusée de crimes contre l’humanité(2)https://www.gauchebdo.ch/2020/01/31/leurope-passible-de-crime-contre-lhumanite/, arborait son plus beau drapeau arc-en-ciel. Combien de personnes LGBTQI+ reposent au fond de la Méditerranée suite aux pushbacks(3)Renvois illégaux de migrant.e.s avant qu’iels n’entrent en Europe de ce paradis qu’est l’Europe ?

16 signataires ont publié une lettre à destination des hautes instances européennes rappelant l’importance de la tolérance et de la lutte contre la discrimination. Mais qui sont les signataires exactement ?

  • Arturs Krišjānis Kariņš, premier ministre letton, dont le pays n’autorise aucune union légale de quelque nature que ce soit pour les couples de même genre.
  • Kaja Kallas, première ministre estonienne, n’a toujours pas mis en place une législation protégeant les personnes transgenres des crimes de haine.
  • Mette Frederiksen, première ministre danoise dont le pays psychiatrise toujours les personnes transgenres.
  • Angela Merkel, chancelière fédérale d’Allemagne, qui ne reconnaît pas les parents transgenres.
  • Mario Draghi, président du Conseil des ministres d’Italie, pays qui n’a aucune législation reconnaissant les crimes de haine vis-à-vis des personnes LGBTQI+.
  • Alexander de Croo, premier ministre belge dont le pays a été réprimandé en 2018 par l’ONU pour continuer la mutilation des enfants intersexes, ce qui s’apparente à la pratique de l’excision.

La liste est encore très longue : nous ne tolérons pas que des politicard.e.s qui se satisfont de violations des droits humains fondamentaux répétés dans leur pays se fassent passer pour des chantres du combat pour nos droits quand bien même certains des représentants des pays signataires ont, si l’on se fie à la carte interactive de Rainbow Europe(4)https://rainbow-europe.org/, une législation qui protège moins les personnes LGBTQI+ que la Hongrie elle-même !

Cette hypocrisie est encore pire quand on sait bien qu’une grande partie des signataires de cette liste sont les camarades d’Orban, membres du même parti européen.

Ce petit spectacle de marionnette pose question quand on sait que parmi les victimes de cette loi, outre les jeunes LGBTQI+, figurent l’industrie du divertissement et de la publicité qui a souvent construit une stratégie marketing visant à vider les luttes de toute radicalité pour passer un beau coup de pinceau rose sur leur communication : en un mot, le pinkwashing(5)littéralement, rosiment, c’est à dire les stratégies marketing déployées par les états, les organisations, les partis politiques ou les entreprises pour se donner une image progressiste et engagée pour les droits LGBTQI+.

Ce à quoi nous assistons est une grande opération de pinkwashing opérée par l’Union européenne dans une optique homonationaliste visant à opposer l’Europe comme bastion des libertés individuelles contre le reste du monde qui serait un repaire de barbares arriéré.e.s.

Ne comptons pas sur les logos arc-en-ciel de Coca-Cola et de Frontex pour nous libérer : c’est à nous d’envahir le terrain pour prendre nos affaires en main !

Source Illustration: Hayden Schiff, The Bailey (FC Cincinnati’s fan section) waving rainbow flags and holding colored banners in tribute to the Orlando shooting. Non modifié.

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