Cela fait maintenant plus d’un mois qu’a débuté l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe sous les ordres de Vladimir Poutine, qui poursuit ainsi ses ambitions impérialistes grand-russes. La guerre a déjà provoqué la mort de milliers de personnes et le déplacement forcé de plus de 10 millions d’Ukrainien·nes (un quart de la population), dont plus de 4 millions ont déjà quitté le pays. Les populations et infrastructures civiles sont délibérément ciblées par l’armée russe, et des villes sont assiégées.

Malgré ce sombre bilan provisoire, la première phase de la guerre a été marquée par un échec du Kremlin en ce que l’armée russe a été incapable de triompher rapidement à l’issue d’une guerre éclair. La guerre durera plus longtemps que ce qu’espéraient vraisemblablement les stratèges du Kremlin, et le risque d’enlisement des forces russes est réel.

Un fort mouvement de résistance

Cet échec de la guerre éclair a été permis par une résistance populaire très forte des Ukrainien·nes. Cette mobilisation, qui est une donnée fondamentale pour comprendre la situation et dégager des perspectives, prend différentes formes complémentaires. D’une part, une résistance armée est menée sous commandement du gouvernement ukrainien par les forces armées régulières et par des civil·es encadré·es par des militaires au sein des forces de défense territoriale. D’autre part, une résistance et une mobilisation non-armées ont vu le jour dès le début de l’invasion, avec des manifestations pacifiques dans les régions occupées, désignant l’envahisseur comme tel et l’invitant à rentrer chez lui, et avec la mise en place de réseaux d’entraide pour les populations déplacées à l’intérieur du pays, pour celles cherchant à quitter le pays, et pour celles qui ont pu fuir à l’étranger. Loin de parvenir à fracturer la société ukrainienne, l’invasion de Vladimir Poutine semble avoir renforcé le sentiment de « faire peuple » des Ukrainien·nes. Ainsi, les populations russophones d’Ukraine manifestent elles aussi contre l’occupant russe.

En conséquence, l’installation d’un régime fantoche aux ordres de Moscou à Kiev, qui était vraisemblablement une option envisagée par Vladimir Poutine, semble aujourd’hui impossible. Cette impossibilité semble d’ailleurs désormais reconnue par l’armée russe elle-même, le ministère de la Défense ayant réorganisé l’offensive depuis le 25 mars afin de concentrer ses forces dans les régions du Donbass revendiquées par les séparatistes à l’Est du pays, et dans le Sud occupé par l’armée russe afin d’assurer une continuité territoriale entre le Donbass et la Crimée et le contrôle total de la mer d’Azov (cette réorganisation ne garantissant cependant nullement que les offensives ne continueront pas dans d’autres régions du pays). Dans le même temps, les forces ukrainiennes ont lancé des contre-offensives permettant de reprendre du terrain sur les forces russes. De plus, l’ampleur de la mobilisation populaire et le discrédit d’une agression impériale perçue pour ce qu’elle est font que même la recherche d’une partition du pays, objectif plus « modeste » que la mise sous tutelle coloniale de l’ensemble du territoire, risquerait de se heurter à une résistance continue dans les régions qui n’étaient pas sous le contrôle de la Russie ou des forces séparatistes avant le 24 février dernier, comme en témoigne la résistance des villes russophones de Kharkiv et de Marioupol.

Face à une résistance impressionnante et imprévue, l’agression russe s’engage malheureusement dans une dramatique fuite en avant (qui n’est pas sans rappeler l’action militaire russe en Syrie aux côtés du régime sanguinaire de Bachar Al-Assad), en intensifiant les bombardements des villes ukrainiennes, les attaques délibérées de populations civiles, et en assiégeant Marioupol.

Pas de paix sans justice

Nous soutenons le droit à l’autodétermination de l’ensemble des populations d’Ukraine, ce qui implique le rejet de toute occupation militaire étrangère du pays. Nous exigeons le retrait immédiat des forces russes du territoire ukrainien. L’autodétermination des populations russophones de Crimée et du Donbass ne pourra s’exprimer que par des processus réellement démocratiques et ne saurait être légitimée par des processus de séparation marqués par la menace, le recours à la force et la contrainte d’un impérialisme « parrain ».

Cette guerre est celle d’une des principales puissances militaires au monde face à un État périphérique ; une victoire militaire de l’Ukraine à court terme semble exclue, et l’issue à la guerre sera vraisemblablement à chercher du côté des négociations. Mais ces dernières dépendront largement du rapport de forces établi sur le terrain. C’est pourquoi il est important de soutenir la résistance ukrainienne, en ce compris la résistance armée.

La résistance armée en Ukraine est principalement incarnée par le gouvernement ukrainien et son armée, et par les groupes de défense territoriale sous commandement militaire. Le gouvernement ukrainien est évidemment un gouvernement bourgeois ; nous ne saurions le soutenir politiquement. Mais, dans notre tradition marxiste révolutionnaire, nous avons toujours défendu le droit à un peuple de mener une lutte de libération nationale même si cette lutte est dirigée par des forces bourgeoises – l’indépendance nationale étant une condition nécessaire (mais non suffisante) pour l’essor des luttes d’émancipation. C’est cette même approche qu’il faut privilégier dans le conflit présent. En outre, la mise en difficulté militaire de l’armée russe en Ukraine pourrait aider à renforcer le mouvement anti-guerre en Russie.

Puisque nous soutenons la résistance ukrainienne armée, nous soutenons le droit à celle-ci de recevoir des armes anti-aériennes et anti-char qui doivent lui permettre de contrer la supériorité technologique de l’armée russe.

Nous réaffirmons notre soutien au mouvement anti-guerre en Russie. Malgré une forte répression, des milliers de Russes sortent dans la rue pour s’opposer à la guerre, défiant l’autoritarisme de Vladimir Poutine. Le musèlement des médias et de toute voix dissonante par le Kremlin d’une part, et les sanctions d’autre part, rendent compliquée la solidarité concrète. Nous continuerons de faire connaître les initiatives et prises de position contre la guerre en Russie.

Nous exigeons que la classe dominante russe soit réellement sanctionnée pour cette guerre. Les sanctions visant seulement un cercle restreint de proches du pouvoir d’une part, et l’ensemble de l’économie russe (et donc les millions de Russes appartenant aux classes populaires) d’autre part, ne sont manifestement pas de nature à faire reculer Vladimir Poutine. Nous exigeons l’expropriation de tous les millionnaires russes ayant leurs actifs à l’étranger et la saisie de leurs fortunes. Les sommes récupérées devront servir à financer l’aide humanitaire et la reconstruction de l’Ukraine. Comme l’indique Thomas Piketty, cela implique de créer un registre public des grandes fortunes. Ce registre permettra également d’appliquer un impôt sur les fortunes belges et occidentales afin de payer la crise économique et sociale encore aggravée par la guerre en Ukraine avec la hausse supplémentaire des prix de l’énergie et des matières premières.

Nous exigeons en outre l’annulation de la dette de l’Ukraine, contractée notamment auprès du FMI, de la Banque mondiale et de l’Union européenne et adossée à des conditions de libéralisation de l’économie qui ont conduit à la détérioration des conditions de vie des Ukrainien·nes et n’ont bénéficié qu’à la classe dominante du pays. Sans annulation de cette dette et des conditions qui y sont attachées, toute autre mesure d’aide ne sera qu’un pansement sur une plaie béante – ou, pire, une occasion supplémentaire d’inféoder l’Ukraine à des « parrains » occidentaux, compromettant ainsi le droit des Ukrainien·nes à leur autodétermination.

Nous nous félicitons de la facilitation du « parcours d’immigration » pour les Ukrainien·nes arrivant en Belgique. Cela démontre que l’on peut se passer des obstacles posés par l’Office des étrangers et par le CGRA ; nous revendiquons l’application de cette procédure facilitée pour tou·tes les migrant·es, quel que soit leur pays d’origine. Nous exigeons en outre le renforcement des capacités d’accueil : la Belgique disposerait de 30 000 places alors que plusieurs centaines de milliers d’Ukrainien·nes sont attendu·es dans le pays. Cela nécessite de renverser les politiques poursuivies ces dernières années, qui ont honteusement diminué les capacités et détérioré les conditions d’accueil.

Écosocialisme ou barbarie

En déclenchant une guerre dont il est le seul responsable, Vladimir Poutine renforce l’alliance militaire impérialiste qu’est l’OTAN. En effet, dans les pays de l’Est de l’Europe comme la Pologne ou les républiques baltes, l’OTAN apparaît comme un rempart face aux velléités expansionnistes du Kremlin. Dans un mouvement empruntant à la « stratégie du choc », l’Union européenne (UE) profite déjà de la guerre et des demandes légitimes d’aide de l’Ukraine pour se renforcer militairement. Le Parlement européen a réaffirmé avec vigueur que l’OTAN était le principal pilier de la défense de l’UE. Plusieurs États membres, dont l’Allemagne, annoncent augmenter leurs dépenses militaires afin de se rapprocher ou d’atteindre les 2 % du PIB comme l’encourage l’OTAN. En Belgique, c’est déjà un milliard d’euros supplémentaire d’ici 2024 qui a été promis aux dépenses militaires. L’adhésion à l’OTAN d’États tels que la Suède ou la Finlande est brusquement devenue une perspective concrète.

Quelle que soit l’issue de la guerre en cours, le risque est que le monde entre dans une nouvelle ère de tensions inter-impérialistes exacerbées, dans laquelle se multiplieraient les conflits et les crises humanitaires. L’ensemble des classes populaires en souffrirait, en particulier celles et ceux occupant les positions les plus subalternes dans nos sociétés profondément inégalitaires – femmes, transgenres, immigré·es, racisé·es, par exemple. On peut d’ores et déjà observer ces impacts différenciés de la guerre dans le traitement réservé aux femmes transgenre, interdites de quitter l’Ukraine au même titre que les hommes de 18 à 60 ans, ou dans l’accueil réservé aux non-Ukrainien·nes parvenant à quitter l’Ukraine, sommé·es de quitter le plus rapidement possible des pays d’accueil qui n’en sont pas. Les luttes féministes sont mises entre parenthèses en Pologne du fait de la situation de crise actuelle. L’état de guerre généraliserait la mise à l’arrêt des luttes d’émancipation et reporterait la lutte contre le changement climatique (incompatible avec la hausse des dépenses d’armement et la multiplication des conflits) sine die. Réciproquement, l’état de guerre renforce déjà les perspectives d’accumulation capitaliste des marchands de canons et des entreprises capables d’investir à l’étranger rattachées aux États impérialistes.

La dissolution immédiate de l’OTAN ne résoudrait en rien le conflit ukrainien. Mais il nous faut combattre cette logique des blocs militaires qui refait surface de façon aigüe, et revendiquer le démantèlement de l’OTAN et de l’OTSC (Organisation du traité de sécurité collective, qui rassemble plusieurs anciennes républiques soviétiques autour de la Russie). Ces organisations militaires devront laisser la place à de nouveaux cadres de coopération internationale incluant la Russie et basés sur la paix, la solidarité, l’égalité et la démocratie réelle. Derrière l’agression de Vladimir Poutine, c’est l’ensemble des classes dominantes mondiales qu’il faut combattre afin de renverser le capitalisme mortifère qui sème la guerre, répand la misère et menace d’extinction nos écosystèmes.

Pour toutes ces raisons, nous soutenons l’initiative du réseau européen de solidarité avec l’Ukraine.

Bruxelles, le 4 avril 2022.


Pour aller plus loin: l’appel des socialistes démocratiques d’Ukraine traduit et publié également sur notre site et le billet de Gilbert Achcar sur le site alencontre.org


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