Dimanche 30 octobre avait lieu à Bruxelles une marche revendicative pour les droits des personnes trans et intersexe, organisée par le Collectif Eclat. Il s’agissait de la deuxième marche de ce type, après une première édition qui avait eu lieu en 2019, juste avant la pandémie covid. Au programme des revendications, notamment la formation du personnel institutionnel, soignant, administratif, éducatif et professionnel aux questions trans et inter, pour une prise en charge adaptée et non-stigmatisante; une simplification médicale et juridique des parcours de transition; une protection financière et administrative dans l’accès au logement; un statut de protection et un droit à l’asile pour les personnes trans-inter migrantes; et un statut de protection pour les personnes trans-inter travailleur.euse.s du sexe.

Globalement, donc, les revendications portaient sur l’exigence de la prise en considération légale et juridique des personnes trans et intersexe, toujours très insuffisante aujourd’hui, bien que la Belgique se targue hypocritement d’être parmi les pays à la législation la plus favorable envers les personnes LGBT+. La marche était donc l’occasion de réclamer des mesures qui ne se limitent à des décisions symboliques et superficielles lâchées lors des mois de Pride, ni à une reconnaissance seulement formelle de nos existences, mais bien à une prise de responsabilités des autorités et de l’Etat, qui doit s’accompagner de mesures concrètes et fortes.

Points positifs

Le premier mérite de cette marche est certainement de réunir autour de revendications spécifiquement liées aux existences trans et inter, afin d’offrir l’occasion aux personnes concernées de s’exprimer et de revendiquer le droit d’une vie qui dépasse le stade de la survie, et ce alors qu’il s’agit aujourd’hui encore de deux des communautés les plus marginalisées au sein des mouvements LGBT+. Ainsi, leur donner la parole permettait de faire entendre des voix qui trop souvent se noient dans une multitudes d’autres considérations lors des mois de Pride.

Ensuite, il faut se réjouir du succès de la marche, qui a réuni plusieurs centaines de personnes (près de 600 selon les organisateur.ice.s), nombre véritablement impressionnant pour une lutte relativement ciblée et qui demeure malheureusement marginale; ce succès démontre l’importance de porter ce type de revendications aujourd’hui.

En outre, alors que l’un des grands problèmes actuels des mouvements politiques LGBT est leur difficulté à mobiliser en dehors des mois de mai et juin, périodes hors desquelles nos mouvements tendent à entrer dans une certaine léthargie, c’était incontestablement une bonne initiative d’organiser une marche en octobre, qui manifeste un certain dynamisme du mouvement en dehors du printemps, montrant aux gouvernements que les questions LGBT+ ne sont pas simplement des occasions de mesurettes symboliques adoptées en mai pour se donner une contenance progressiste de pseudo-ouverture.

Il faut aussi saluer l’important soutien affiché durant la marche aux personnes sans-papiers, notamment via une exigence de régularisation immédiate, ainsi qu’aux personnes travailleuses du sexe, qui continuent de faire l’objet d’une importante stigmatisation, a fortiori quand celles-ci sont trans ou intersexe. Ces revendications sont importantes en ce qu’elles permettent de faire le lien entre différentes luttes, et de penser la nécessité de soutien entre celles-ci.

Enfin, et même s’il est un peu amer de présenter cela comme un point positif, il faut également se réjouir que la marche se soit déroulée sans heurt ou agression trans- ou interphobe. On le sait, les existences trans et inter sont souvent l’objet de violence, qu’elles soient orchestrées par des groupuscules fascisant ou des collectifs TERF (les premiers servant bien souvent de bras armé aux secondes), et l’organisation d’une telle marche est toujours une source d’angoisse. Heureusement, donc, l’action a pu se dérouler dans les meilleures conditions, et il faut pour cela saluer le travail de sécurisation effectué par le Collectif Eclat.

Points négatifs

S’il est évident qu’il faut saluer la présence de plusieurs centaines de personnes pour une marche aux revendications plutôt ciblées, il ne faut toutefois pas pécher par excès de naïveté, et garder à l’esprit que c’est un chiffre qui demeure faible si l’on veut utiliser la force du nombre pour appeler à de réels changements. Ainsi, on ne peut qu’espérer que cette marche du 30 octobre soit un premier pas vers une mobilisation qui gagnerait à grandir avec le temps afin de produire un véritable rapport de force, notamment en parvenant à obtenir du soutien de la part d’autres mouvements de lutte.

Un autre regret, qu’il est possible de formuler en tant qu’organisation anticapitaliste, est le manque de radicalité de certaines revendications, qui s’inscrivaient pour la plupart dans l’horizon juridique libéral de la demande de droits et de reconnaissance formelle, et qui mettaient notamment peu l’accent sur des questions plus spécifiquement liées à la précarisation grandissante de nos communautés, précarisation qu’on peut largement imputer au système capitaliste, qui ne produit pas seulement une stigmatisation des identités de genres non-conformes (on pourrait même se demander si l’air du temps LGBT-friendly ne témoigne pas de la capacité du capitalisme à intégrer positivement les questions de genres et de sexualités sans renoncer à son mode de production basé sur l’exploitation), mais qui s’appuie sur une domination de classe qui place notamment les personnes trans et inter parmi les franges les plus opprimées de la population.

Ainsi, il est important de montrer que les questions de précarité économique concernent directement et particulièrement les communautés trans et inter, et que cette précarisation n’est pas le résultat d’un manque de chance, mais bien d’une organisation sociale spécifique. En effet, le capitalisme est un système qui repose intrinsèquement sur l’appauvrissement et l’exploitation des masses, a fortiori lorsque celles-ci divergent des normes morales de la classe dominante (pour le dire vite : bourgeoise, masculine, blanche et cishétéro). Les revendications trans et inter ne doivent donc pas seulement reposer sur l’exigence du respect de nos identités (bien que celles-ci demeurent importantes), mais il faut également qu’elles montrent en quoi notre marginalité est aussi économique, et que la trans- et interphobie nous inscrivent également dans une domination de classe, qu’il s’agit aujourd’hui d’abolir.

En ce sens, nos luttes, si elles veulent véritablement appeler à la libération des personnes trans et inter, doivent se revendiquer de l’anticapitalisme, et chercher à détruire ce système qui organise notre misère, qui nous renvoie aux marges de l’humanité et qui, en un mot, nous opprime : si elles veulent produire un horizon véritablement émancipateur, les luttes trans et intersexe devraient donc se colorer du rouge des luttes révolutionnaires.


Nous profitons de ce compte-rendu pour vous inviter à rejoindre le rassemblement organisé à l’initiative de Transfem Belgium avec différents collectifs, dont le Collectif Éclat, le dimanche 20 novembre à 18h30 place de l’Albertine pour le TDoR, Jour du souvenir trans, à Bruxelles. Le TDoR est une journée annuelle de mobilisation pour rendre hommage aux personnes trans tuées par la transphobie.

Crédit Image: Collectif Éclat.

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