Suite à l’annonce du déconfinement par le gouvernement Wilmès, de nombreuses voix se sont faites entendre dans l’enseignement pour protester contre les mesures souvent absurdes et en décalage total avec la réalité du terrain. Nous avons cependant moins eu l’occasion d’entendre l’avis des étudiant.e.s qui sont également impacté.e.s par les mesures, notamment dans leurs modalités d’apprentissage. Nous avons donc interviewé une jeune militante, Nina M., pour avoir un éclairage sur la situation et le ressenti des élèves de secondaire sur le (dé)confinement.

Goto Teddy Van Kern : Comment tu vis le confinement ?

Nina M. : Personnellement, le confinement me déstabilise et j’ai eu du mal à m’adapter à la forme de privation de liberté – à mon échelle évidemment – que celui-ci implique. C’est quelque chose que personne n’était préparé à vivre et auquel nous avons été contraint.e.s de nous accoutumer du jour au lendemain. Mais au-delà de ce point de vue psychologique, qui n’est pas à négliger (mais très personnel), je n’ai pas à me plaindre du tout quant aux conditions au sein desquelles je vis ce confinement.

Le plus dur pour moi a été, je pense, une certaine prise de conscience. Celle de devoir obéir pour le bien de tou.te.s à un gouvernement mensonger et manipulateur, agissant dans son intérêt propre et en dépit de toute cohérence ou justice, en dernier recours face à une crise mal gérée dès le début. Rentrer dans les mailles d’un système qui tente de nous faire croire que nous sommes tou.te.s ensemble face à une crise qui nous dépasse, en agissant aux dépens des plus atteint.e.s et de toute humanité.

GT : Vous êtes combien à la maison ?

NM : Nous sommes 3.

GT : Tes parents sont présent.e.s ?

NM : Mon père habite à Paris mais je vis avec ma mère et ma grande soeur. Ma mère est musicienne indépendante/freelance, pour le moment sans statut.

GT : Quel est l’impact du (dé)confinement sur tes cours et tes évaluations ?

NM : Étant étudiante en 5ème secondaire, un potentiel retour à l’école n’a pas encore été annoncé pour mon année. Les examens initialement prévus au mois de juin sont annulés. Pendant toute la période de confinement, une plateforme en ligne est mise à disposition des élèves que les professeurs alimentent chaque semaine. Les exercices que l’on peut y trouver sont facultatifs et les enseignant.e.s ne sont pas autorisé.e.s à fournir de la nouvelle matière, ce qui me parait plus juste compte tenu des inégalités potentielles entre élèves par rapport au travail à domicile. Il n’y a donc pas d’obligation, et par conséquent aucune évaluation.

GT : Éprouves-tu des difficultés supplémentaires avec le confinement ? Qu’en est-il de tes camarades de classe ?

NM : Bien qu’il soit vivement conseillé par nos professeurs de travailler chaque jour, je pense qu’il manque à la plupart des élèves la structure scolaire qui rend le travail coercitif en temps normal.

J’ai la chance de ne pas rencontrer de difficultés particulières à l’école, ce qui réduit au confinement l’impact que celui-ci pourrait avoir sur la fin de mon année scolaire. Mais quand je constate mon attitude face au travail et mes difficultés à m’y atteler en dehors des matières auxquelles je porte un réel intérêt, je pense que le problème doit être le même pour la plupart de mes camarades de classe.

Là réside pour moi l’ambiguïté de ce confinement du point de vue de mon école. Il y a d’une part la tension entre les inégalités du travail à domicile qui impliquent de ne rien donner d’obligatoire ni d’évaluatif (ce qui pour moi est tout à fait normal). D’autre part, l’appel à l’autonomie – rencontré avec difficulté – et à la mise au travail individuel de chacun.e, sans cadre externe et en ignorant tout des conditions dans lesquelles les élèves peuvent travailler. Il y a également un risque d’une potentielle accumulation de lacunes pour les mois à venir lors du retour à l’école prochain (cette année ou en septembre).

GT : Via quel canal communiquez-vous avec tes camarades de classe ?

NM : Avec ma classe, nous communiquons essentiellement via Messenger. C’est aussi là que nous contactons le plus facilement notre titulaire et nos professeurs, la plateforme de travail en ligne n’étant pas interactive. Des appels vidéos sont parfois proposés par certains professeurs, facultatifs, en cas de questions (à propos d’exercices, de doutes concernant la suite de l’année,…).

GT : Quelle a été la réaction de tes parents/enseignant.e.s/direction/toi à l’annonce du déconfinement ?

NM : Je n’ai pas eu de retour du corps enseignant ou de la direction de mon école concernant l’annonce du déconfinement. Pour ma part (je ne me permettrais pas de parler au nom de ma famille, mais dans les discussions que nous avons pu avoir sur le sujet, elle semblait du même avis), il s’agit encore d’un discours incohérent et empreint d’hypocrisie de la part de notre gouvernement, reflet d’un système éminemment capitaliste. Si j’ai pu entendre certains autour de moi se réjouir de retrouver enfin une « vie normale », de voir que le gouvernement après tout « pensait à notre bien-être mental ou à notre éducation », il s’agit pour moi d’un vaste leurre. Que ce soit dans le secteur des études ou de manière générale, les mesures de déconfinement annoncées par Mme Wilmès ne m’inspirent aucune confiance.

GT : Qu’est-ce que cette crise nous dit du monde dans lequel on voudrait vivre ?

NM : De mon point de vue, la crise que nous vivons actuellement a fait tomber les masques et dévoile encore une fois le visage d’un système capitaliste rongé de l’intérieur par les tensions intrinsèques qu’il perpétue. Le retour à la « normale » ne peut être attendu, encore moins préconisé. Il serait comme fermer les yeux et couvrir d’un voile la vérité d’un système qui incarne l’injustice et met la vie en danger.

Ce mécanisme de production sans limites et oppressif , faisant fi de la santé, de la sécurité, des enjeux climatiques, de toute personne en situation précaire, ne pourra plus perdurer. La crise du Covid-19 n’est qu’un symptôme du virus inhérent au système dans lequel nous vivons, un cri d’alerte pour une transition vers un monde où la vie passe avant le profit. Une société égalitaire, un rétablissement vers une démocratie juste et une vision de l’économie et de la production adaptée à celle des besoins humains.

Refaire fonctionner à l’identique, à l’issue de cette crise, la société qui a déclenché cette dernière serait d’une incohérence troublante. N’étouffons pas les voix qui résonnent enfin, dont les cris restés bien trop longtemps tacites dépeignent le tableau d’un système qui court à sa perte. Perpétuons ces voix, et utilisons-les pour lutter à mener notre société en crise vers un système plus juste.

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