Barouf annoncé samedi matin devant le Delhaize de Hornu (Hainaut). Comme pour d’autres magasins en grève, la direction a tenté le forcing pour ouvrir coûte que coûte dans la perspective d’un samedi exceptionnellement rentable en ce weekend pascal !

L’enjeu était symbolique après déjà un mois de grève, et les travailleur·euses de ce magasin « intégré » (et promis à la désintégration s’il passe au statut franchisé imposé par le groupe) en étaient bien conscient·e·s. Voilà pourquoi sur les réseaux militants et syndicaux on faisait appel vendredi soir à venir soutenir et renforcer les piquets. Nous étions au rendez-vous !

Pour pouvoir ouvrir l’implantation de Hornu, la direction avait en urgence procédé depuis la veille à l’engagement de quelques étudiant·e·s afin d’obtenir pour le samedi un équilibre « étudiant·e·s – travailleur·euses réguliers » légal. La veille déjà, le ton était monté d’un cran : cette entourloupe venant s’ajouter à la guéguerre des humiliations de ces derniers jours (interdiction de s’abriter dans le hall d’entrée, interdiction pour les grévistes d’utiliser leurs toilettes de service, intimidations verbales, présence d’un vigile qui se mêlait d’intervenir quand les militant·e·s sensibilisaient les rares client·e·s qui s’obstinent malgré le piquet à venir faire leurs courses, etc.)

Samedi matin, dès 8 heures, ambiance des grands jours donc avec présence policière et arrivée d’un huissier venu constater… quoi d’ailleurs ? Que les travailleur·euses exercent leur droit de grève et distribuent dans l’espace public et devant leur entreprise un tract mais sans empêcher physiquement les clients (zéro client à cette heure !) d’y entrer ? Eh bien, non ! Figurez-vous que ce huissier admoneste les militant·e·s présent·e·s en leur expliquant que la simple adresse verbale constitue déjà en soi, sinon une violence, une pression inacceptable ! Incrédulité, hilarité… Il aurait donc fallu se contenter de déposer une pile de tracts sur un caddie puis se tenir prudemment à distance sans proférer un mot de peur d’effaroucher le pauvre consommateur pris en otage par les méchants travailleurs en colère ? L’huissier fut vite remis à sa place par un camarade qui n’avait pas sa langue dans sa poche. Concrètement, que pouvait-il faire ? S’approcher de chaque client auquel nous nous adresserions pour juger de la teneur à son avis plus ou moins virulente, menaçante ou simplement persuasive de nos propos ? On frisait le ridicule et nous lui faisions bien sentir ! Un peu décontenancé, il se retourna vers les policiers manifestement peu enclins à appuyer son excès de zèle. Ensuite il s’engouffrait dans un magasin vide de clients et aux rayons entièrement dégarnis de produits frais grâce aux blocages de camions des derniers jours pour s’entretenir longuement avec le patron excédé qui, nous dit-on, commence à perdre les nerfs… Un quart d’heure plus tard, le huissier sort visiblement satisfait du « service minimum » accompli, disparaît du parking comme un pet sur une toile cirée, rapidement suivi par la brochette de pandores restée prudemment bien à l’écart du piquet.

Il s’engouffrait dans un magasin vide de clients et aux rayons entièrement dégarnis de produits frais grâce aux blocages de camions des derniers jours…

Nous avions dès lors les mains libres pour monter la garde devant l’entrée du magasin. Nous n’avions pas beaucoup d’arguments à employer pour persuader les quelques client·e·s ignorant notre présence et se dirigeant un peu hésitant·e·s vers le sas d’entrée que la solidarité avec les travailleur·euses de « leur Delhaize » passait par un demi-tour et la lecture du tract syndical « Les deals de Delhaize, on dit non ! »

Nous sommes resté·e·s le reste de la matinée à échanger avec les délégué·e·s et travailleur·euses du site, permanent·e·s, militant·e·s syndicaux/ales d’autres entreprises du secteur (Cora, Boucheries Renmans qui nous disent être bien conscient·e·s que si ça passe chez Delhaize, leur tour viendra très vite…) et militant·e·s politiques. La fatigue commence à se faire sentir pour celleux qui assurent le piquet depuis le début du conflit, iels nous remercient du soutien d’aujourd’hui, on promet de repasser quand il faudra et quand on pourra. Plusieurs personnes (elles ont entendu parler du durcissement du conflit aux infos) passent spontanément nous dire leur révolte devant l’agressivité et le mépris du patronat, leur dégoût de la com qui pousse au défaitisme et de l’intox autour du conflit (voir par exemple l’article du Soir titré « Analyse : pourquoi le personnel et les syndicats de Delhaize risquent de perdre la grève ») qui prétend qu’une « majorité silencieuse » serait prête à reprendre le travail. Vers 13h, nous apprenons que le directeur « met les pouces », il vient d’annuler le service des étudiant·e·s prévus pour l’après-midi, le magasin ferme ses portes ! Suite au prochain épisode…

Photo : Delhaize de Hornu en grève le samedi 8 avril 2023 (Gauche anticapitaliste / CC BY-NC-SA 4.0).

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