Cette année encore, avec les Féministes anticapitalistes (commission féministe de la Gauche anticapitaliste), nous avons mobilisé nos forces pour rejoindre les piquets de grève et visibiliser les revendications des travailleuses et étudiantes ce 8 mars. Nous y avons également défendu notre approche d’un féminisme anticapitaliste, antiraciste et écosocialiste, qui cherche à construire un large mouvement révolutionnaire.

Retour sur les actions dans plusieurs régions

Ce 8 mars 2024 comme les précédents, nous avons rejoint les actions à différents endroits de Belgique afin de renforcer les activités locales et de porter nos revendications. Voici un compte-rendu non exhaustif de la journée :

Gand

A Gand, plus d’un millier de personnes s’étaient rassemblées, parmi lesquels on comptait notamment les deux syndicats (FGTB/ABVV et CSC/ACV), ainsi que plusieurs organisations politiques : PTB/PVDA et la campagne ROSA du PSL/LSP, mais également les partis de gouvernements Vooruit et Groen. On notait également une bonne présence des femmes kurdes et iraniennes, sans incidents cette fois (l’an passé, il y avait eu des provocations de fascistes turques). Par ailleurs, les actions de grèves à l’Université de Gand ont réuni quelques centaines de personnes, ce qui est une grande réussite.

Mons

À Mons, le 8 mars prend de l’ampleur, au moins du côté des collectifs à défaut d’être totalement délaissé par la Ville et les pouvoirs locaux. En effet, pour la première fois depuis six ans, date du premier rassemblement, deux rassemblements avaient lieu : l’un à midi sur la Place du Marché-aux-Poissons où se tenait le marché local, et l’autre en fin de journée sur la Place du Marché-aux-Herbes. Ce dernier aurait dû se tenir sur la Grand Place, comme chaque année, mais la Ville de Mons (et le PS) avait décidé d’organiser ce jour-là et tout le week-end un festival de nourriture, le Festi Food, sous une tonnelle géante. Nous avons, lors des prises de paroles, souligné l’invisibilisation flagrante de nos luttes par le Parti Socialiste, à la tête du pouvoir communal, ainsi que ses discours féministes en carton. À 17h, de nombreuses associations et collectifs féministes dont celleux faisant partie du collectif 8 mars de Mons se sont retrouvés sur le Marché-aux-Herbes pour le départ de la manifestation mobile, une première également pour ce 8 mars à Mons. Parmi les collectifs présents il y avait notamment : La JOC Mons, La Mutinerie Montoise, Vie Féminine, Femmes CSC, Soralia, et les Féministes Anticapitalistes. Au plus fort de la manifestation, on comptait 300 personnes dans les rues de Mons. Les organisations ont clôturé la journée par des prises de paroles dont les revendications portaient principalement sur la nécessité d’un refinancement des secteurs publics, de la prévention et l’accompagnement pour les violences sexistes et sexuelles.

Namur

A Namur, nous avons également pu constater que la mobilisation croissait, en témoigne la présence de quelques centaines de personnes dès l’après-midi au village féministe situé Place d’Armes. Vers 16h, les participant.e.s se sont rassemblés pour défiler jusqu’au parc Louise-Marie pour une manifestation qui, malgré certains soucis techniques, fut une réussite. Malgré la dynamique générale enthousiasmante, nous regrettons cependant qu’à l’exception des forces syndicales, peu d’organisations étaient visibles dans la mobilisation, ce qui  rend compliqué le décompte des forces en présence. La mobilisation était cependant une réussite, et nous encourage à poursuivre notre travail à Namur, et à soutenir les organisations féministes locales.

Bruxelles

Cette année encore, l’action du collectif 8 mars ULB – qui rassemble plusieurs organisations féministes étudiantes, y compris les Jeunes Anticapitalistes (JAC)- sur le campus du Solbosch de l’Université Libre de Bruxelles était des plus impressionnantes et combatives. Dès 4h du matin, militantes et militants se sont mis en action, cadenas, grillages et autres mobiliers en main pour que le blocage soit une réussite. Plusieurs dizaines de personnes sont restées sur place durant toute la matinée pour maintenir le piquet et le blocage, faisant face aux réactions des personnes désireuses de rentrer sur le campus, plus ou moins réceptives ou agressives. Le micro fut ouvert à 13h aux organisations pour partager diverses prises de parole. Notre camarade Laure a pu porter notre message anticapitaliste, nos critiques face au féminisme libéral et au gouvernement Vivaldi et rappeler l’importance d’un mouvement féministe massif, unitaire, combatif et indépendant de l’Etat face à un public enthousiaste. S’en est suivi un moment fort de libération de la parole avec de nombreux témoignages poignants. 

Dès la matinée, une autre équipe s’est lancée dans un tour des piquets de grève, dont la première étape fut le planning Séverine, situé à Anderlecht. Les travailleuses, qui avaient déjà cessé le travail il y a deux ans, maintenaient cette année leur activité, mais proposaient des consultations gratuites. Parmi leurs revendications, on compte toujours l’extension du droit à l’IVG et la fin du délai de réflexion. Rappelons qu’en Belgique (comme ailleurs), la lutte pour le droit à l’avortement est une lutte actuelle : malgré une proposition de loi votée en commission parlementaire en 2019 et une large mobilisation de la société civile pour l’appuyer, le gouvernement Vivaldi a marchandé ce droit pour assurer la stabilité de la coalition. Une situation qui oblige chaque année des centaines de femmes à aller avorter aux Pays-Bas parce qu’elles sont hors délai en Belgique, ce que ne peuvent pas faire celles dont les ressources financières sont plus limitées. Par ailleurs, les travailleuses du planning dénonçaient également un manque cruel de financement du secteur, et tiraient la sonnette d’alarme quant à la précarisation de leurs conditions de travail.

Nous avons ensuite rejoint la place de l’Albertine, où se tenait une action en front commun syndical. Les travailleuses et représentantes syndicales se sont succédées sur la scène pour rappeler qu’en Belgique les inégalités de genre sont encore fortes dans le monde du travail. Dès lors, les syndicats revendiquent la fin de l’écart salarial, à travers l’augmentation des salaires bruts; la fin des temps partiels subis et la revalorisation des pensions des femmes pour un retour à la pension à 65 ans; mais également le renforcement des services publics, et la fin des violences sexistes et institutionnelles.

Vers midi, nous avons rejoint la place du Congrès pour soutenir les travailleuses de Garance, ASBL qui lutte contre les violences de genre au moyen de la prévention primaire. Celles-ci étaient en grève cette année encore, afin de dénoncer le sous-financement structurel du secteur, qui oblige les travailleuses à s’épuiser dans de constantes recherches d’appel à projet. Cette situation mène évidemment à la précarisation de leurs conditions de travail, elle-même terreau à leur épuisement. Les travailleuses de Garance revendiquent donc un véritable financement pérenne du secteur ainsi qu’une amélioration des conditions de travail. Leur grève fait par ailleurs évidemment écho à la situation que dénoncent depuis plusieurs mois le secteur associatif et non-marchand, très largement féminisés.(1)https://www.rtbf.be/article/lassociatif-et-le-non-marchand-des-secteurs-malades-a-cause-de-ressources-insuffisantes-11262263

A partir de 14h, nous tenions un stand sur le village féministe organisé par la Marche Mondiale des Femmes Place de l’Albertine. Malgré un positionnement isolé entre le PS et le PTB (!) que nous regrettons, nous avons pu échanger avec de nombreuses personnes, distribuer nos tracts et récolter des signatures pour notre campagne. 

Vers 16h, nous avons également rejoint la scène du Collecti.e.f 8 maars, située devant la Cathédrale Saints-Michel-et-Gudule, et où se sont succédées plusieurs interventions, notamment pour dénoncer les violences policières et pour revendiquer un féminisme plus inclusif des femmes sourdes. Enfin, la scène se concluait par la chorale du comité des femmes sans papiers.

Nous avons ensuite rejoint la manifestation nationale en constituant notre bloc féministe anticapitaliste qui fût dynamique et combatif ! Nous étions plus de 15.000 dans les rues de Bruxelles, un nombre bien supérieur à la manifestation de l’année dernière : c’est une victoire dont nous nous réjouissons ! Nous soulignons également l’importance de la présence de plusieurs blocs palestiniens et du bloc mené par les femmes domestiques sans papier.Sur une autre teinte, nous déplorons en revanche celle des partis dont le bilan gouvernemental n’a pourtant pas de quoi rendre fier du point de vue des luttes féministes et autres luttes sociales, à savoir PS, Ecolo, et quelques personnes du MR. Notons enfin parmi les forces en présence le bloc des colleureuses, Zelle (PTB), ROSA (PSL), le bloc du colllecti.e.f 8 maars, le comité des femmes sans papiers, la Ligue des travailleuses domestiques et le bloc de solidarité avec la Palestine.

“Nous étions plus de 15.000 dans les rues de Bruxelles, un nombre bien supérieur à la manifestation de l’année dernière : c’est une victoire dont nous nous réjouissons.”

Quelles perspectives pour le mouvement féministe ?

Chaque 8 mars cristallise de nombreux enjeux du mouvement féministe en Belgique, et constitue donc pour nous un moment important pour faire un bilan des dynamiques actuelles et des perspectives à construire.

Victoires des luttes féministes

Cette année, nous voulons en premier lieu nous réjouir que depuis 6 ans maintenant, la grève féministe continue d’exister en Belgique et que, malgré des hauts et des bas, le 8 mars est une importante journée de lutte. En témoigne notamment le fait que cette date soit inscrite à l’agenda syndical, et que les syndicats ont déposé un préavis de grève en front commun couvrant la journée. C’est une importante victoire, qu’il faut imputer aux différentes organisations féministes qui défendent depuis des années l’importance de la grève féministe, et qui continuent à le faire. C’est ainsi par exemple que nous avons pu observer cette année une importante grève à la STIB, qui a largement embarrassé tout le réseau, avec des perturbations annoncées plusieurs jours à l’avance. Par ailleurs, le 8 mars 2024 a également été l’occasion de constater que le mot d’ordre de grève commençait à s’étendre à des secteurs qui y restaient auparavant relativement étanches (la poste, notamment).

Mais le 8 mars, ce sont également des mobilisations en dehors de Bruxelles, et nos interventions dans différentes villes nous ont également permis de percevoir quelques échos positifs d’une radicalisation du mouvement féministe. Il reste néanmoins beaucoup de travail pour parvenir à diffuser le mot d’ordre de la grève au-delà de la capitale, car au-delà de quelques exemples enthousiasmant (le piquet de grève des étudiantes de l’Uliège, par exemple), il y avait peu d’actions de grève en tant que tel, sur le territoire wallon en tout cas.

Des mobilisations internationales

En 2024, le 8 mars avait lieu dans le contexte d’une remontée de l’impérialisme, qui s’exprime tragiquement par l’invasion russe de l’Ukraine et la guerre coloniale menée par Israël à  Gaza; mais la situation est également alarmante au Congo, déchiré par un conflit avec différents groupes armés, ou encore au Yemen, frappé depuis 10 ans par une guerre civile meurtrière. Cette situation renforce l’importance de faire du 8 mars une journée de grève et de mobilisation internationales. Parmi celles-ci nous pouvons mentionner cette année des actions et/ou manifestations en France, en Italie, en Turquie, en Thaïlande, en Afghanistan, au Pakistan et en République Démocratique du Congo.(2)https://www.rtbf.be/article/journee-mondiale-de-lutte-pour-les-droits-des-femmes-comment-se-mobilisent-elles-aux-quatre-coins-du-monde-11341052

Pendant la manifestation nationale belge aussi, plusieurs groupes internationaux étaient présents : plusieurs blocs palestiniens et de nombreux drapeaux et slogans de soutien (ainsi qu’un rassemblement dédié en matinée), un groupe de femmes congolaises avec plusieurs drapeaux, le bloc des travailleuses domestiques sans papiers et quelques drapeaux Ukrainiens. Pour nous, ces enjeux ont toute leur place au sein du mouvement féministe, puisque les femmes sont particulièrement vulnérabilisées en période de conflit. Nous nous réjouissons de voir la solidarité féministe internationale s’exprimer. Cette solidarité par en bas va de pair avec un mouvement féministe anti-impérialiste, anti-colonial et contre les guerres et les réactionnaires, et se nourrit par des liens concrets dans nos luttes.

Renforcer les dynamiques de lutte

Ce 8 mars 2024, la gravité de la situation et l’urgence d’en finir avec le capitalisme nous ont paru plutôt partagé parmi les manifestantes et les grévistes : face à l’augmentation des violences, l’explosion des inégalités, et à une extrême droite qui gagne du terrain dans le monde entier, il semble y avoir un accord sur l’importance de porter des revendications radicales. C’est indéniablement positif : le féminisme que nous défendons doit contribuer à la fin du capitalisme, et construire une société radicalement différente, libérée de l’exploitation et des oppressions. Cependant, les vraies questions sont : comment nous organiser pour lutter et obtenir de véritables victoires ? Qui sont nos ennemis, nos alliés et nos faux amis ? Quelle coalition mettre en place pour construire un rapport de force qui nous permette de concrétiser nos revendications ? Si nous n’avons pas de solutions clé-en-main, nous pensons qu’il est nécessaire et urgent que ces questions soient sérieusement discutées au sein de notre mouvement, et qu’une distance soit prise avec les tentations de recourir à l’État ou au capital pour nous libérer.

Depuis le début de son investiture, la coalition Vivaldi s’est en effet très largement illustrée par la construction d’une façade féministe, particulièrement visible à travers la présence du Parti socialiste et d’Ecolo dans le village et la manifestation du 8 mars. Nous devons dénoncer ici comme ailleurs l’hypocrisie de partis qui, présents à différents niveaux de pouvoir, sont responsables d’un bilan plus qu’insuffisant quant à la situation des femmes. Malgré une communication léchée mais malhonnête, la Vivaldi a en effet contribué lors de sa législature à précariser les femmes (sacrifice de la loi IVG, réforme pension et des crédits-temps, maintien du statut de cohabitant.e, entre autres choses). Il est donc important pour nous d’être claires sur le fait que ni le PS ni Ecolo ne sont pas nos alliés. 

La vraie question, c’est : comment nous organiser pour lutter et obtenir de véritables victoires ? Qui sont nos ennemis, nos alliés et nos faux amis ? Quelle coalition mettre en place pour construire un rapport de force qui nous permette de concrétiser nos revendications ?

Si la dynamique de ce 8 mars était encourageante, elle doit également nous pousser à aller plus loin encore. Bien que cette date se soit imposée comme moment clé de mobilisation et continue d’être un moteur important des luttes sociales dans le paysage belge, l’un des défis qui doit encore être rempli est de mobiliser au-delà de la manifestation en fin de journée et de multiplier les actions de grève. En effet, la grève féministe est particulièrement importante en ce qu’elle met en avant la nécessité du travail fourni par les femmes et la manière dont le système capitaliste profite de ce travail. Organiser et préparer de telles actions demande un vrai travail en amont. Pour un 8 mars combatif et massif, nous appelons à soutenir et rejoindre les organisations qui coordonnent les mobilisations autour de nos lieux de vie et de travail, tel que le Collecti.e.f 8 maars, présent dans de nombreuses villes du pays. De plus, la grève féministe œuvre à un rapprochement entre mouvement féministe et syndical; ces liens doivent être maintenus et renforcés, y compris au sein des syndicats qui peinent encore à inclure les combats féministes dans leurs luttes en dehors du 8 mars. Enfin, le mouvement féministe doit pouvoir réussir à mobiliser en dehors des dates clés afin de maintenir la pression toute l’année !

L’un des défis qui doit encore être rempli est de mobiliser au-delà de la manifestation en fin de journée et de multiplier les actions de grève.

Ce sont en tout cas les objectifs que nous nous fixerons avec les Féministes anticapitalistes, aujourd’hui et le reste de l’année.


Photos : Dominique Botte / Gauche anticapitaliste / CC BY-NC-SA 4.0

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