Les sociétés de transport avaient annoncé la reprise des activités normales dès le lundi 11 mai, avec quelques adaptations les week-ends. Cette date était évidemment choisie en fonction du calendrier de déconfinement accéléré établi par le Conseil national de sécurité, un calendrier qui donne la priorité à la production et à la consommation sur la sécurité, ainsi que nous l’avons dénoncé(1)lLire : https://www.gaucheanticapitaliste.org/deconfinement-les-patrons-ordonnent-le-gouvernement-execute/.

À la STIB (Bruxelles), un très grand nombre de travailleurs/euses ont refusé de reprendre le travail lundi et le mouvement se poursuit à ce jour, où l’on comptait encore un millier de grévistes. Dans le document qu’ils ont adressé à la direction, et qui a été reproduit par la presse, ils expliquent que les mesures de protection sont insuffisantes et que les effectifs ne permettent pas de les assurer(2)https://www.rtbf.be/info/societe/detail_coronavirus-en-belgique-action-spontanee-menee-par-le-personnel-de-la-stib-ce-lundi?id=10499109.

Défendre la santé des travailleurs/euses et usager/ères

Le Conseil national de sécurité a décrété l’obligation de porter le masque dans les transports en commun. Les chauffeurs/euses font remarquer que cette obligation n’est pas respectée et que certain.e.s d’entre elleux ont été agressé.e.s pour avoir tenté de l’imposer aux usager/ères. Des renforts en personnel sont donc nécessaires.

Conduire toute la journée avec un masque est inconfortable et réduit les capacités sensorielles, ce qui est dangereux. Toute personne ayant pris un volant dans ces conditions pourra le confirmer. Les chauffeurs/euses exigent par conséquent des cabines closes hermétiquement, leur permettant de travailler sans masque.

Les services coupés sont un autre sujet d’inquiétude et de mécontentement : « Pourquoi maintenir des centaines de travailleurs plusieurs heures dans les dépôts avec des services coupés qui nous tiendront éloignés de nos familles de 6h du matin à 19H ? Alors que les écoles sont fermées ! » font remarquer les chauffeurs/euses. La suspension des services coupés fait donc partie des revendications.

Tant pour leur santé que pour celle des usagers, les chauffeurs/euses refusent que les véhicules circulent du matin au soir sans désinfection en cours de journée. Pour cela aussi, iels demandent des renforts en personnel.

Une autre revendication importante concerne les remplacements sur ligne. Les travailleurs/euses exigent qu’ils soient reportés jusqu’à la fin du mois de mai, au moins, afin d’éviter les déplacements inutiles.

Comme toute la population de ce pays, et malgré les innombrables cafouillages ministériels, les travailleurs/euses de la STIB ont bien appris la leçon répétée par les autorités : les priorités sanitaires sont, dans l’ordre, le respect de la distanciation physique, le lavage des mains et la limitation des contacts sociaux; les masques ne viennent qu’en quatrième position, comme complément. Les chauffeurs/euses exigent par conséquent la limitation du nombre de voyageurs et le respect de la « distanciation sociale », qui n’est évidemment plus respectée aux heures de pointe selon de nombreux témoignages.

L’enjeu du droit de retrait

Les travailleurs/euses s’appuient sur l’article 1.2-26 du Code du bien-être au travail. Trop méconnu, cet article garantit aux membres des personnels un droit de retrait en cas de danger « grave et imminent ». « La poursuite du travail, constitue un danger grave et imminent pour notre santé et celle des voyageurs, la STIB doit nous permettre de nous mettre en sécurité », écrivent les chauffeurs/euses.

Les revendications du personnel de la STIB sont pleinement justifiées. Leur profession est parmi les plus exposées au danger de contamination par le COVID-19. Selon des statistiques britanniques, en effet, les travailleurs les plus touchés par la maladie sont les chauffeurs de bus, taxis, camions, etc. (chez les travailleuses, les infirmières constituent la profession la plus touchée)(3)Lire : https://www.ons.gov.uk/peoplepopulationandcommunity/healthandsocialcare/causesofdeath/bulletins/coronaviruscovid19relateddeathsbyoccupationenglandandwales/deathsregistereduptoandincluding20april2020?fbclid=IwAR2knpjJ7YikrDqN-Oc_xGVqqVyqsvRVQk0kCZjedk6RJajSgoG5kZzkqoY.

Le danger de la collaboration de classes

La réaction de la direction de la STIB est révoltante: « Nous devons augmenter notre offre. Les magasins sont à nouveau ouverts et nous avons constaté une augmentation de fréquentation du métro de 44% pour la journée d’hier. Nous ne pouvons pas rencontrer les demandes du personnel. Cela signifierait une baisse de 25% de notre offre. »(4)RTBF info 12/5 Autrement dit : le business d’abord, la santé des travailleurs/euses et de la population après !

Interrogé par le JT de la RTBF (5)lundi 11 mai, 19H30 un chauffeur a parfaitement dénoncé les flatteries hypocrites sur « les héros » en déclarant : « On a joué avec des mots: les infirmières sont des héros, les chauffeurs sont des héros. Nous, tous, on veut bien rouler. Mais héros et kamikaze c’est deux choses différentes. »

La direction de la STIB se sent forte parce qu’elle a en poche un accord de paix sociale avec les trois syndicats. Françoise Ledune, porte-parole de la société de transports : « Nous avons un accord signé avec les syndicats concernant les mesures de protection ». Mohsine Rachik, permanent CGSP à la STIB renchérit : « Nous avons conclu un accord en front commun avec la direction et nous avons fait le maximum en écoutant les conducteurs, en mettant toutes les mesures de distanciation sociale en place et en mettant les désinfectants à leur disposition. La vente de tickets est toujours interdite à bord des véhicules et les postes de conduite sont isolés et la montée à l’avant est aussi interdite. Donc nous les avons entendus et nous les comprenons, mais syndicalement on ne peut pas les soutenir ».

« Syndicalement on ne peut pas les soutenir » ? Ce permanent devrait peut-être lire et appliquer le “Guide Délégué-coronavirus” édité par son propre syndicat qui explique la procédure du droit de retrait et qui prévoit notamment la nécessité, au-delà des accords, de “concerter régulièrement et rectifier rapidement le tir”, c’est le rôle de la Délégation Syndicale “de demander des adaptations là où c’est nécessaire”(6)https://www.fgtb.be/documents/20702/376781/Guide+d%C3%A9l%C3%A9gu%C3%A9+-+coronavirus.pdf/1ccac468-e8f4-4a28-8062-63830c47487f. Le CPPT (Comité pour la prévention et la protection au travail) ou autre organe compétent devrait négocier des protocoles en les soumettant à discussion et approbation démocratique des travailleur.se.s, en mettant en place les mesures pour que tout.e.s soient inclu.e.s (conférences téléphoniques par petits groupes, vidéoconférences, etc.).

« Syndicalement on ne peut pas les soutenir » ? Mais à qui appartiennent les syndicats ? Aux affilié.e.s ou à la structure ? Et qui connaît le mieux les conditions concrètes de travail ? Les chauffeurs/euses qui font le boulot toute la journée ou les permanent.e.s qui signent des protocoles de reprise du travail sur le papier ?

Dans la vraie vie, les chauffeurs/euses dénoncent le fait de devoir conduire des véhicules contenant jusqu’à 80 ou 90 personnes. Dans la vraie vie, le port du masque n’est pas généralisé et les véhicules ne sont pas correctement désinfectés. Et les responsables syndicaux de la STIB regardent ailleurs ? C’est inacceptable et cette attitude de collaboration de classes encourage la direction de la STIB. La porte-parole de celle-ci a atteint le sommet de l’arrogance en déclarant : « Je ne vois pas bien ce qu’on peut faire de plus, c’est un bus qu’ils conduisent et pas une ambulance »(7)JT RTBF 19H30 11/5/2020. Un des enjeux est d’assurer l’effectivité du droit de retrait : la direction de la STIB refuse pour l’instant de rémunérer les travailleur.se.s. On serait tentés d’ajouter : la direction de la STIB et le gouvernement assurent la mobilité de la force de travail, de la consommation et du virus avant tout.

Solidarité avec les STIBards !

Les travailleurs et travailleuses de la STIB méritent notre solidarité. D’abord parce que leur combat spécifique est juste, et que l’affaire n’est pas finie : elle rebondira avec la reprise partielle des cours dans les écoles, le 18 mai, qui augmentera encore la fréquentation des bus et des trams.

Ensuite parce que ce combat met en pleine lumière la vraie fonction, la vraie nature de « l’unité nationale dans la lutte contre la pandémie ». En paroles, devant les caméras, on exalte « les héros ». Mais en coulisses, discrètement, on associe les bureaucraties syndicales au plus haut niveau à l’élaboration d’une politique autoritaire qui, sous couvert de protocoles sanitaires insuffisants, souvent incohérents ou impraticables, vise en fait à imposer la reprise du travail aux conditions dictées par les patrons. Une politique qui transforme les travailleurs/euses en kamikaze, obligé.e.s de se mettre en danger pour satisfaire les objectifs de profit capitalistes.

Enfin, nous devons être aux côtés des travailleur.se.s de la STIB parce que leur lutte est aussi celle des usager/ères et constitue un précédent important pour la classe travailleuse dans son ensemble. Nous devons impérativement soutenir un droit de retrait effectif, avec maintien du salaire, et préparer la solidarité financière en cas de conflits prolongé ou de bataille au tribunal du travail. Des alliances entre les secteurs “essentiels” et le reste de la société peuvent se construire à partir de ces batailles. Ce n’est que le début.

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