Ayant pris connaissance des mesures prises par le gouvernement Wilmès et le Conseil National de Sécurité, la Gauche anticapitaliste appelle les classes populaires à la résistance pour empêcher que le déconfinement provoque une nouvelle aggravation de l’épidémie de Covid-19.

La charrue avant les boeufs

Le Conseil national de sécurité a décidé du déconfinement avant la réalisation des « conditions strictes » énumérées dans le rapport des experts :

  • les lits en soins intensifs sont occupés à 51% (25 avril), et non à 25%;
  • 10.000 tests environ sont réalisés chaque jour; on est loin de 25.000;
  • les 2000 personnes nécessaires pour contacter les proches des personnes positives ne sont pas embauchées, ni formées;
  • les mesures préventives dans les écoles et sur les lieux de travail ne sont pas concrétisées avec les travailleur.se.s concerné.e.s;
  • les masques obligatoires dans les transports, les écoles et sur les lieux de travail où la distanciation physique ne peut être respectée ne sont pas disponibles !

Le rapport des experts était catégorique : on ne peut pas « envisager le passage à la première phase de déconfinement » si ces « conditions strictes » ne sont pas réunies. Le gouvernement Wilmès et le conseil national de sécurité sont passés outre cette recommandation. Les grandes entreprises reprendront le 4 mai, les transports publics aussi, et tous les commerces rouvriront le 11 mai. Les cours pourraient commencer à reprendre partiellement dans les écoles le 18 mai (le 15 en Flandre), et les gens pourront peut-être avoir à cette date le droit de revoir leurs proches. Quant à la culture, on verra plus tard…

Aucune confiance dans ce gouvernement !

La première ministre promet que les « conditions strictes » seront remplies à temps. Aucune confiance ne peut être accordée aux autorités. Le vice-premier ministre Geens dit qu’il est “impossible de fournir un masque à chaque Belge d’ici le 4 mai”(1)Lire “Impossible de fournir un masque à chaque Belge d’ici le 4 mai”. Le 16 mars, le ministre De Backer promettait rapidement 10.000 tests par jour. Un mois plus tard nous y sommes à peine, et près de 4000 personnes sont mortes dans les maisons de repos (et de soins), victimes d’un crime d’Etat qui les a laissées, ainsi que les travailleur.se.s, sans protection.

L’affaire des masques montre que le gouvernement et les partis « d’opposition » qui participent à la gestion de la crise (PS, Sp.a, NVA, Ecolo, Groen!, CdH, Défi) prennent les travailleurs/euses pour des imbéciles. Il y a un mois, les politiques, Maggie De Block et Philippe De Backer en tête, répétaient que « les masques sont inutiles pour la population » (2)Lire : Coronavirus: les autorités fédérale et régionales appellent à réserver les masques aux professionnels ; aujourd’hui, on les recommande, on les rend même parfois obligatoires, et on rouvre les merceries le 4 mai pour que les gens puissent pallier aux carences de l’Etat et du « libre marché »… Et Mme Wilmès se permet d’ajouter cyniquement qu’un foulard ou un bandana peut faire l’affaire ! De qui se moque-t-on ?

Le profit avant la santé et la vie

La vérité est que ce déconfinement est dicté par le patronat. La FEB dénonce depuis le 4 mars les « mesures disproportionnées » de la lutte contre le Covid-19. Mme Wilmès lui a donné raison en affirmant que « certaines entreprises n’auraient pas dû fermer » leurs portes. Le rapport des experts était déjà un compromis entre la logique sanitaire des scientifiques et la logique du capital défendue par MM. Wunsch et Thijs au sein du GEES. Ce compromis n’était pas encore suffisant pour le patronat et ses représentants politiques.

La vérité, en deux mots, est que le profit passe avant la santé publique, avant le droit des parents de savoir leurs enfants en sécurité à l’école pendant qu’iels travaillent, et avant le droit légitime des gens à entretenir des relations sociales en respectant les conditions de sécurité. La vérité, c’est aussi que les femmes seront les principales victimes de cette situation qui alourdira les tâches du soin que le patriarcat fait peser sur leurs épaules. La vérité, c’est que la vie quotidienne deviendra encore plus intenable pour les plus pauvres, en particulier les jeunes, les personnes racisées et les personnes sans papiers. C’est inacceptable !

Un autre déconfinement est possible

“On ne peut pas rester confinés éternellement”, disent les politiciens néolibéraux et les patrons, comme si c’était ça le débat. Entretemps, nous avons déjà connu une hausse des décès de 80% en avril 2020 par rapport à avril 2019 et la part de la population immunisée contre le Covid-19 est inférieure à 6% (contre un minimum nécessaire de 60%). Il faut donc planifier des mesures énergiques pour que les « conditions strictes » soient remplies avant le déconfinement. Les politiques refusent parce qu’il faudrait prendre l’argent là où il est (c’est à dire dans les caisses des plus riches entreprises et individus), investir massivement dans le secteur des soins et les services publics, supprimer les productions inutiles et réquisitionner des entreprises pour y produire ce qui est nécessaire.

Taillé sur mesure pour les capitalistes, le déconfinement à la sauce Wilmès & co est imprudent et dangereux. Le timing trop serré ne donne pas le temps nécessaire pour juger l’impact de chaque phase. Cela risque de déboucher sur une nouvelle flambée de l’épidémie, alors que les travailleurs/euses de la santé, dont certain.e.s sont mort.e.s du virus, sont épuisé.e.s. Veut-on reproduire la tragédie qui s’est déroulée dans les maisons de repos (et de soins) ?

Stratégie du choc

Les classes populaires sont prises en otage par des fédérations patronales comme ESSENSCIA (Chimie) qui pratiquent le chantage à l’emploi et disent en substance : “on peut produire des masques et tout ce qu’il faut, mais seulement si on abolit les règles de protection de l’environnement et de la santé” (qui n‘existent pas en Chine). 85% des entreprises contrôlées ne respectent déjà pas les règles de protection et de distanciation physique(3)Lire : 85% des entreprises contrôlées ne respectent pas la distanciation sociale.

Le patronat va utiliser les mesures de pouvoirs spéciaux décidées par le gouvernement (avec le soutien de l’opposition, PTB excepté) pour imposer ses objectifs. Flexibilité à outrance, sous-statuts, mobilité et heures supplémentaires sont à l’agenda. Les patrons vont profiter de la fragmentation sociale créée par le confinement pour contourner au maximum les syndicats (ou les transformer en simples courroies de transmission). Ça a déjà commencé avec l’abus du chômage temporaire et les mesures du 11 avril : jusqu’à 220 heures supplémentaires sans sursalaire, CDD successifs, travail des réfugié.e.s dans l’agriculture sans régularisation, dérégulation du travail étudiant, etc.

Organiser la légitime défense

Les classes populaires sont en état de légitime défense. Cette crise et les pressions patronales montrent que sans travailleurs/euses, il n’y a aucune richesse qui est produite. La Gauche anticapitaliste appelle les travailleurs/euses, les exploité.e.s et les opprimé.e.s à s’organiser dans les quartiers, les bureaux, les ateliers, les écoles, sur les chantiers pour contrôler activement les conditions de travail. C’est nos vies et notre santé qui sont en jeu. Refusons l’agenda du gouvernement des patrons.

La Gauche anticapitaliste défend les propositions suivantes :

  • En entreprise : respect strict du Guide sur la sécurité du déconfinement. Deux masques par jour (minimum), fournis par le patron; idem pour les gants, le gel et les vêtements de protection. Une pause de 15 minutes toutes les deux heures pour souffler et se laver les mains au savon. Une organisation du travail qui garantit la distance physique, sans recours au travail de nuit. Le droit de retrait existe en Belgique (4)Article I.2-26 du Code du bien-être au travail : https://droit-public.ulb.ac.be/cahier-de-crise-19-du-23-avril-2020-le-covid-19-ne-suspend-pas-le-droit-de-la-sante-au-travail-il-en-renforce-les-exigences/?fbclid=IwAR2EJ8nY_18Zf2k0DQ7Z-urbq8mR26CC7tegscdHxgYCWOLIHQJi47TWzmc. Sur cette base, les travailleurs/euses et leurs syndicats peuvent imposer les mesures de dépistage et de protection collective et individuelle avant toute reprise du travail, aux frais de l’employeur. Le refus de travail collectif, c’est la grève. C’est plus que jamais l’arme essentielle d’autodéfense légitime des travailleur.se.s.
  • Environ un tiers de l’économie est actuellement en situation de confinement. En Belgique, 41 % des salarié.e.s du secteur privé sont en chômage temporaire. « Une entreprise sur cinq est obligée de licencier des employé.e.s, c’est beaucoup. Une sur quatre dit qu’elle ne le sait pas encore », selon Hans Maertens, le directeur général du Voka (patronat flamand). « Le risque est énorme que le chômage temporaire se transforme en chômage complet. Plus le confinement économique se prolonge, plus les dommages économiques se prolongent, j’oserais presque utiliser le mot  ‘massacre’ ». Les licenciements doivent être interdits pendant toute la durée de la paralysie partielle de l’économie. L’arrêt du contrôle des sans-emploi doit être définitif. Refusons le chantage patronal qui voudrait nous faire accepter des conditions de travail irresponsables et dangereuses. Celles et ceux qui sont aujourd’hui contraint.e.s au chômage temporaire doivent recevoir 100% de leur salaire, la différence étant payée par leur patron. Pas de recul social lors de la reprise du travail. Nous avons besoin d’une offensive syndicale, pour préserver les emplois et s’opposer radicalement à toute fermeture d’entreprise. La réduction du temps de travail à 30h/semaine sans perte de salaire avec embauches compensatoires doit être remise sur la table.
  • Dans la société en général : dépistages massifs, confinement des personnes positives, traçage et mise en quarantaine des contacts (sans recours aux procédures technologiques basées sur les données des smartphones); soutien par les services publics et la Sécurité sociale des personnes mises en quarantaine.
  • Les écoles ne sont pas des garderies pour les enfants des travailleurs/euses. Pas de réouverture des cours avant la fin des vacances d’été et avant que les garanties de sécurité pour les travailleurs/euses soient effectives. Des mesures spéciales sont nécessaires durant l’année scolaire prochaine pour réduire le gouffre en matière d’apprentissage et pour remédier aux explosions des inégalités sociales causées par les effets de la crise. Les enseignant.e.s devraient pouvoir co-décider au maximum les modalités permettant aux écoles de fonctionner différemment et la façon de valider le parcours des élèves à la fin de cette année scolaire et des années suivantes. Un refinancement solide de l’enseignement, ainsi que la fin du redoublement sont incontournables pour garantir des embauches et moyens de protection sanitaire en suffisance ainsi que des classes de 10 élèves à long terme.
  • Les personnes sans-papiers (entre 100 000 et 150 000 en Belgique), les 15.000 sans-abris, les détenu.e.s et tou.te.s celleux qui vivent actuellement sans aucune forme de revenu ou de soutien sont particulièrement frappé.e.s par la crise. Les détenu.e.s n’ayant pas commis de crime contre des personnes doivent être amnistié.e.s, les peines alternatives à l’enfermement doivent être favorisées. Les maisons et les bâtiments vides doivent être réquisitionnés afin de fournir un toit à tout le monde. Les centres fermés doivent être démantelés et remplacés par des structures d’accueil humaines. Les soins médicaux, les kits de test, l’hygiène doivent également être organisés et suivis par des consultations médicales régulières et gratuites pour tous ces publics. La régularisation de tous les sans-papiers et la gratuité des soins pour tou.te.s est une urgence sociale et sanitaire afin que tout le monde ait un droit effectif aux soins.
  • En raison du confinement, la violence domestique a clairement augmenté. Afin de lutter contre cette violence croissante, il faut prévoir des dispositions pour les victimes : des refuges pour les femmes et des garderies pour les enfants, une aide psychosociale et financière, et une réponse judiciaire féministe.
  • Les moratoires sur les expulsions de locataires et sur les factures d’eau et d’énergie doivent être maintenus tant que nécessaire pour garantir les besoins vitaux et les droits fondamentaux.
  • La crise du Corona nous permet de débattre sur la prise de décision démocratique : comment les scientifiques sont utilisé.e.s par les partis politiques et le gouvernement aux pouvoirs spéciaux ? Les scientifiques ne peuvent diluer leurs positions au nom des “besoins de l’économie”, c’est-à-dire ceux des capitalistes. L’ensemble de la société, le monde du travail en premier, doit pouvoir être associée à la décision sur ce qu’est une activité essentielle et sur la façon de répondre à la pandémie.
  • Les services publics, et en premier lieu le secteur de la santé, doivent à nouveau jouer un rôle central dans notre société. Pas question de déconfiner sans engagements contraignants à refinancer le secteur des soins – qui doivent devenir à 100% publics – et les services publics en général qui doivent être élargis notamment au secteur pharmaceutique, au nettoyage, aux maisons de repos et aux soins à domicile. Le refinancement des services publics et de la Sécurité sociale doivent être garantis par un impôt de crise de 10% sur les grandes fortunes, l’abolition du tax shift et autres réductions des cotisations patronales à la Sécu, ainsi que la suspension pour audit de la dette publique en vue de son annulation.
  • La priorité doit être donnée à la production locale d’équipements de protection et d’autres équipements médicaux nécessaires pour les prochaines pandémies, en réquisitionnant les entreprises concernées. La production et la distribution de médicaments sous le contrôle des professionnel.le.s de la santé (médecins, pharmaciens, maisons de repos (et de soins, …) doivent garantir que le pays dispose de suffisamment de médicaments et d’équipements de protection pour l’ensemble de la population.
  • Dans l’agriculture et l’horticulture, les producteurs/rices locaux/les doivent également recevoir un soutien pour la reconversion de leurs exploitations vers une agriculture écologique et diversifiée. Un soutien est également nécessaire pour toutes les chaînes locales de production et de distribution à court terme, directement au consommateur.

Non à la « normalité », oui à l’alternative !

Après cette crise, nous ne voulons pas revenir à la “normalité” capitaliste, parce que cette normalité était le problème. Un large débat public sur les priorités est nécessaire. L’économie ne peut plus être au service du profit mais bien au service des besoins sociaux et du bien-être de la population. Toutes les injustices doivent être combattues. Cela signifie : un refinancement massif pour le secteur de la santé, pour l’éducation, pour des transports publics de qualité et gratuits, etc. La recherche scientifique ne doit plus être dictée par l’industrie pharmaceutique mais par les besoins sociaux réels. La société doit fonctionner de manière transparente et juste. Pour une démocratie radicale, par en bas, par les travailleurs/euses et contre les pouvoirs spéciaux d’un gouvernement minoritaire. Contre la répression policière systématique qui s’attaque aux plus précaires, aux personnes racisées, aux jeunes dans les quartiers populaires : pas de racisme structurel.

Le déconfinement décidé par Wilmès et ses complices est une offensive pour approfondir encore plus sa politique de classe, raciste, sexiste,coloniale, destructrice de la planète. C’est dans la lutte à la base contre cette offensive que les classes populaires peuvent réunir les conditions pour une alternative de société, qui prend soin des humains et des non-humains : une alternative écosocialiste. L’auto-organisation des citoyen.ne.s, un syndicalisme de lutte, des scientifiques critiques et un mouvement social fort sont essentiels pour y parvenir. Ce sont les leçons que nous devons tirer de cette crise, qui a montré que des décisions radicales pouvaient être prises en très peu de temps. À nous tou.te.s d’imposer d’autres choix de société.

L’espoir est permis, organisons-nous et ensemble nous y arriverons !

Gauche anticapitaliste, le 27 avril 2020

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