À l’extrême est de la Pologne, le mur-frontière découpe en deux la forêt primaire de Białowieża. Il est la fierté du gouvernement de droite réactionnaire nationaliste qui, pressé par les élections législatives, attise la haine pour se maintenir au pouvoir. 

A quelques heures de Varsovie, Hajnówka est, depuis la guerre en Ukraine, un centre névralgique des opérations sécuritaires dans la région. La forêt primaire de Białowieża accolée à la ville est un lieu de passage obligatoire pour les personnes souhaitant rejoindre l’Europe depuis la Biélorussie. À travers la forêt trône, au milieu d’une coupe rase, le mur-frontière. Long de 187 km, mesurant 5,5 mètres de haut et couvert de barbelés à lame de rasoir, il se dresse là, face aux personnes fuyant la guerre et la misère en quête d’une terre d’asile. 

Traverser la forêt

Depuis deux ans, en réaction aux sanctions de l’Union européenne, la Biélorussie organise la traite de réfugié·e·x·s vers la frontière polonaise. Les leurrant en leur proposant un accès simple à l’Europe, elle masse ainsi des jeunes et des familles le long du mur, avant de les forcer à traverser. 

Si les exilé·e·x·s franchissent la frontière, c’est ensuite dans le plus grand silence, souvent de nuit, qu’il leur faut marcher, traverser dans la forêt des kilomètres de marécages potentiellement fatals. Ici, la nuit, les températures et le courant des rivières sont mortels. Depuis 2021, 28 personnes y sont mortes et 200 y sont portées disparues. Aussi, dans la forêt, impossible de déposer une demande d’asile, la Pologne y pratique des push-backs illégaux. Les gardes-frontières polonais battent à nu les personnes migrantes, les dépouillent et les jettent démunies de l’autre côté du mur-frontière.

L’escalade rhétorique n’est pas près de s’arrêter

Obnubilé par les échéances législatives d’octobre, le premier ministre Mateusz Morawiecki et son parti d’extrême droite Droit et Justice déploient la plus grande énergie afin de faire de la «crise migratoire» à la frontière biélorusse une question majeure. Et pour cela, les boucs émissaires sont tout trouvés : les personnes migrantes qui tentent de traverser la frontière. Développant une violente rhétorique du « eux contre nous », l’Exécutif s’attaque aux réfugié·e·x·s, mais aussi à touxtes celleux qui luttent pour leur offrir un minimum de soin humanitaire, pour les accompagner dans leur démarche d’asile ou pour raconter leur histoire. 

Afin de mobiliser au maximum son électorat, le gouvernement a organisé un referendum le 15 octobre, à la même date que le scrutin législatif. Il y pose au corps électoral quatre questions volontairement rendues simplistes afin d’en orienter le vote. Une des deux questions posées concernant la migration est la suivante : « Soutenez-vous l’admission de milliers d’immigrants illégaux du Moyen-Orient et d’Afrique dans le cadre du mécanisme de relocalisation forcée imposé par la bureaucratie européenne ? »

Si la violence de la question posée peut déjà choquer, la violence de la communication du premier ministre dépasse l’entendement. Sur les réseaux sociaux, il est allé jusqu’à insérer dans ses vidéos sur le référendum des séquences de voitures en feu, de révoltes urbaines ou d’un homme noir léchant un couteau en regardant la caméra.

Les voix dissonantes évoquant la réalité de la situation à la frontière sont traitées comme des traîtres à la patrie. Leur dernière cible: le film Green Border de la réalisatrice polonaise Agnieszka Holland. Racontant le calvaire d’une famille traversant la frontière entre la Biélorussie et la Pologne, le film a été pris pour cible par le gouvernement et différents groupes d’extrême droite avant même sa sortie en salles. Le ministre de la Justice est même allé jusqu’à le comparer à de la propagande nazie. 

Droite réactionnaire ou néolibérale

Dans cet environnement nauséabond, l’opposition est portée par Donald Tusk, ex-premier ministre polonais et ancien président du Conseil européen. Tenant d’une ligne libérale décomplexée, europhile convaincu, il a réussi à agréger autour de lui les oppositions aux politiques ultraconservatrices du gouvernement, notamment en opérant un revirement en faveur de l’accès à l’IVG, quasi impossible en Pologne depuis 2020. 

Malgré une mobilisation de plus d’un million de personnes organisée le 1er octobre dernier par Tusk, le parti au pouvoir Droit et Justice restait, à la veille du scrutin, largement en tête dans les sondages. Dans cet environnement bipolarisé, les idées de la coalition La Gauche majoritairement sociale-démocrate, mais à laquelle sont associés quelques partis tenant du socialisme démocratique, ne sont que peu visibles… 

Un espoir de changement ?

Dimanche 15 octobre, c’est finalement la coalition libérale qui est sortie gagnante de ces élections grâce notamment à une large mobilisation des polonaises pour regagner un part de leur droit à l’avortement. Pour les migrant·e·x·s cependant, il y a peu d’espoir de changement et les pratiques d’hier des gardes-frontières polonais persisteront probablement demain, main dans la main avec Frontex.

Dès lors, afin de faire face aux politiques criminelles dans la Manche, la mer Méditerranée ou la forêt de Białowieża, battons-nous et continuons de crier haut et fort: «De l’air, de l’air, ouvrez les frontières!»


Article initialement publié sur le site de solidaritéS.

Photo: Barrière frontalière entre la Pologne et la Biélorussie construite en 2022-2023. Elle a été construite par la Pologne pour stopper l’immigration illégale en provenance de la Biélorussie.

Auteur image: Ministère de la Défense Nationale de Lituanie; disponible sur Wikimedia Commons.

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