Le 9 mars dernier, le gouvernement s’est réuni en comité restreint afin de tenter de résoudre ce qu’on appelle depuis 2015 la crise de l’accueil. Sur Twitter, Nicole de Moor (CD&V), actuelle secrétaire d’État à l’Asile et à la migration, annonce qu’un pas important vers une politique de migration contrôlée et juste a été fait. Après de longues négociations, un compromis a été trouvé, les différents partis de la Vivaldi s’en félicitent. Toutefois, aucune mesure valable sur le long terme ne s’en dégage réellement, la ligne du gouvernement reste à peu près la même depuis le mandat de Maggie De Block (OpenVLD, secrétaire d’État à l’Asile et la Migration de 2011 à 2014). Certaines mesures seront inscrites dans la loi, comme l’interdiction de l’enfermement des enfants, mais cet accord contient surtout des mesures coercitives. La question migratoire est loin d’être résolue.

L’objectif annoncé par le gouvernement De Croo est que le droit à l’accueil soit respecté pour toutes et tous les demandeurs et demandeuses d’asile d’ici l’hiver 2023-2024, afin de ne plus voir se reproduire des situations telles que celles de la rue des Palais et devant le Petit Château. L’objectif réel est évidemment autre. Depuis 2015 (gouvernement Michel I), le respect du droit à l’accueil n’a jamais été la préoccupation des gouvernements qui se sont succédé. Le gouvernement souhaite décourager les personnes réfugiées de faire une demande d’asile sur le territoire belge. En avançant des chiffres, en faisant en sorte que les personnes vivant dans la rue ou dans des lieux insalubres ne soient plus visibles, celui-ci souhaite redorer son image en vue des élections de 2024. Il veut montrer qu’il est un bon élève en matière d’accueil, ce qu’il n’est pas. 

En Belgique, plus de 7000 personnes se retrouvent en centre fermé chaque année où elles attendent leur expulsion. Des enfants, femmes et hommes en demande d’asile dépendent d’une politique migratoire que l’on sait inhumaine. Plusieurs associations, dont le CIRÉ (1)La Coordination et Initiative pour réfugiés et étrangers (CIRÉ) est une asbl qui s’emploie à défendre les droits des personnes exilées, avec ou sans titre de séjour. dénoncent une mauvaise gestion du réseau d’accueil depuis des années. Chaque jour, le droit à l’accueil est refusé à de nombreuses personnes, quelque 2400 demandeurs et demandeuses sont toujours sans logement et survivent dans le plus grand dénuement. Une fois de plus, des personnes en détresse sont victimes de l’incurie de l’État. Le 19 janvier 2022, l’État belge et l’agence Fedasil (2)Fedasil est l’Agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile. Elle est sous la tutelle de la Secrétaire d’État à l’Asile, à la Migration, Nicole De Moor. ont pourtant été condamnés par le Tribunal de Première Instance de Bruxelles pour leur gestion de l’accueil des personnes migrantes.

Les personnes qui arrivent en Belgique ne sont pas toutes traitées de manière égale. L’accueil se fait à deux vitesses, l’accès à une place d’accueil dépend de la couleur de peau, du pays ou de la région d’origine. La distinction entre réfugié·e·s ukrainien·ne·s et les autres est toujours d’actualité. 

Aujourd’hui, quelque 100 personnes logent dans un bâtiment rue de la Loi, proche du siège du CD&V à Bruxelles. Le choix de ce bâtiment n’est évidemment pas dû au hasard. Nombre de ces personnes se trouvaient dans un précédent bâtiment, le futur centre de crise national, à proximité de la gare du nord. Parmi elles, certaines s’étaient retrouvées dans le squat de la rue des Palais. Nicole de Moor avait communiqué que ces dernières avaient toutes été prises en charge. Un mensonge de plus. Les bénévoles et associations présent·e·s rue de la Loi ont alerté les autorités sur l’état de santé physique et psychologique de certains occupant·e·s. Avec l’action “Toc Toc Nicole”, le collectif citoyen demande à Madame de Moor de trouver une solution définitive à ce qu’on appelle la crise de l’accueil. 

Ce que prévoit le nouvel accord

  • La création de 2000 places supplémentaires, 34.000 places sont déjà disponibles, 8000 places ont été créées ces derniers mois et 4000 places supplémentaires devraient l’être d’ici 2024. 
  • La création d’un village d’unités de logement, probablement dans le Brabant Flamand. Ce village, qui pourra abriter environ 700 personnes, est un ensemble de conteneurs dits habitables. Il en existe déjà depuis 2021, il est question d’en installer de nouveaux. Il s’agit d’une solution à moindre frais. En effet, rénover des logements inhabités ou transformer des bâtiments publics pour qu’ils soient habitables serait plus onéreux. 
  • L’accélération des procédures de demande d’asile afin de libérer des places dans les centres d’accueil : celles et ceux qui auront reçu un avis négatif recevront un avis de quitter le centre dans les 30 jours, ce qui signifie plus d’expulsions. Certaines personnes demandeuses d’asile sont dans l’incapacité de rentrer dans leur pays d’origine, voire dans le premier pays européen par lequel elles ont transité (Règlement Dublin (3)Le Règlement Dublin est un texte qui s’applique à tous les États européens. Le principe est qu’un seul État soit responsable de l’examen d’une demande d’asile si la personne  demandeuse circule ou se déplace d’un État vers un autre. L’objectif  : permettre un accès rapide à une procédure d’asile, déterminer un État chargé de cet examen et ainsi éviter les demandes d’asile multiples. Les États européens doivent enregistrer dans une base de données commune, appelée EURODAC, les empreintes du ou de la personne migrante qui entre « irrégulièrement » dans l’espace Schengen ou qui y dépose une demande d’asile. Ce système Dublin est décrié pour son inefficacité. D’une part, il ne tient pas compte du parcours ou des intentions du demandeur d’asile ; il ne tient pas compte non plus des disparités existantes entre les différents systèmes d’asile nationaux, au risque de porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne demandeuse d’asile. D’autre part, il fait peser une charge plus importante sur les pays à la périphérie de l’Europe, les pays d’entrée qui ont déjà en charge le contrôle des frontières extérieures. Enfin, il ne concerne environ que 15% des demandes d’asile en Europe et les transferts effectifs sont proches de 5%. La ‘réinstallation’ consiste à transférer des réfugiés d’un pays d’asile à un autre État qui a accepté de les admettre et de leur accorder à terme une résidence permanente. ). Il est donc plus que probable qu’elles rejoignent nombre de personnes sans-papiers, qu’elles aillent travailler au noir avec le risque de se faire exploiter, de ne pas être couvertes en cas d’accident. 
  • Des mesures plus strictes pour le regroupement familial, dont une évaluation de la prise en charge effective des enfants. Concernant le regroupement familial avec des enfants belges, il sera possible pour la/le parent qui peut prouver qu’iel s’occupe de l’enfant au quotidien de manière effective de faire la demande d’un regroupement. Cette mesure veut réduire le nombre de reconnaissances d’enfants dits « de complaisance », celleux conçus pour « faciliter » l’obtention d’un titre de séjour légal, celleux que l’on appelle de façon assez ignoble les « bébés papier ». Un droit de séjour particulier sera créé pour les parents dont les enfants auront obtenu le statut de réfugié. 
  • Le retour « volontaire » : le gouvernement attend beaucoup de la coopération des personnes déboutées quant à leur expulsion. Il souhaite l’inscrire dans la loi. Cela concernerait quelque 1000 personnes demandeuses d’asile. 
  • En première lecture, quatre textes ont été adoptés. Ceux-ci prévoient un nouveau droit de séjour pour les apatrides (de cinq ans dans un premier temps, éventuellement illimité ensuite) et un nouveau droit de séjour pour les parents d’enfants reconnus réfugiés (enfant pour qui le retour au pays d’origine constitue un danger).
  • L’augmentation des subsides avec des crédits européens et la prolongation de la convention avec la Région bruxelloise. Un financement plus élevé est prévu pour la relocalisation des mineurs non accompagnés.
  • L’amélioration des ILA (Initiatives locales d’Accueil). Il s’agit d’un hébergement organisé par un CPAS (Centre public d’Action sociale) qui travaille en collaboration avec Fedasil. Cet hébergement concerne la première phase de la procédure de demande du statut de réfugié. Les ILA sont le plus souvent des logements privés qui sont meublés et équipés afin que les personnes puissent subvenir à leurs besoins. Il existe un modèle d’accueil en deux étapes. Celui-ci prévoit que les demandeuses/eurs d’asile soient d’abord logé·e·s dans une structure d’accueil collective, puis dans un logement individuel. La Belgique dispose de 18.500 places d’accueil.
  • Un ‘devoir de coopération’ sera mis en place afin d’assurer un meilleur suivi des retours dans le pays d’origine des personnes déboutées. Des coachs qui dépendent du bureau régional de retour de l’Office des étrangers – ICAM, pour Individual Case Management Support – auront pour mission d’accompagner les personnes concernées. Dans le cas où celles-ci ne respecteraient pas cette obligation, elles pourraient être sanctionnées par la mise en œuvre plus rapide d’une procédure de retour forcé. Afin d’accélérer les expulsions forcées, le pool d’escorteurs (il s’agit d’une autre fonction) sera élargi de façon à ce que l’opération d’expulsion puisse être exercée par du personnel de l’Office des Étrangers conjointement avec la police et du personnel de Frontex. “Coachs”, “individual Case Management Support”, sympathiques et inoffensifs termes managériaux fussent-ils, s’il ne s’agissait pas de renvoyer des milliers des personnes vers leur pays d’origine où leur intégrité est menacée. 
  • Le durcissement du Règlement de Dublin par son application plus rapide et plus stricte. 

Le seul point réellement positif de cet accord est l’interdiction de l’enfermement des enfants. En ce qui concerne les nouvelles places d’accueil qui seront créées, celles-ci le seront au compte-goutte, ce qui suppose qu’un grand nombre de personnes ne pourront se loger rapidement. 

Ce qui ressort de manière évidente est qu’aucune régularisation massive n’est prévue, ceci montre encore une fois le cynisme et le caractère xénophobe du gouvernement. La régularisation fait pourtant partie des solutions, mais le gouvernement ne veut tout simplement pas en entendre parler. Ecolo se réjouit des nouvelles mesures : « Après le relogement des occupants du village de tentes en face du Petit Château, nous disposons enfin de perspectives claires en matière de rétablissement de l’État de droit”. Encore faut-il voir ce qui se trouve derrière ces “perspectives claires”…

Le Pacte européen sur la migration et l’asile

Le Parlement européen s’est prononcé le 28 mars dernier en faveur du Pacte européen sur la migration et l’asile. La Commission des Libertés civiles, de la Justice et des Affaires intérieures (LIBE) a adopté les volets législatifs proposés par la commission en 2020. Ce pacte “définit des procédures qui ont été améliorées et accélérées pour l’ensemble du système d’asile et de migration” peut-on lire dans les publications de la Commission européenne. Il y aura plus d’expulsions et également plus de personnes détenues en centre fermé. Ce pacte vient confirmer une politique migratoire répressive européenne qui va à l’encontre du Pacte global des migrations des Nations Unies (4)Le Pacte mondial est le premier accord négocié au niveau intergouvernemental, préparé sous les auspices des Nations Unies, qui couvre toutes les dimensions des migrations internationales de manière globale et exhaustive.. Il ne garantit pas les droits fondamentaux. 

La présidence française de Conseil de l’Union européenne a présenté ce pacte comme prioritaire en 2022, celui-ci a été retardé faute d’un accord entre les États membres. L’actuelle présidence thèque, quant à elle, n’en fait pas une priorité, préférant porter son attention sur les réfugié·e·s ukrainien·ne·s. Le Parlement et le Conseil européen souhaitent toutefois faire aboutir les négociations du Pacte avant février 2024 afin qu’il entre en vigueur au plus tard en avril 2024. Les États membres se sont accordés partiellement à propos de son contenu à la suite de la réunion du Conseil justice et affaires intérieures du 10 juin 2022. La présidence française souhaitait protéger les frontières extérieures, soit les pays du ‘5 MED’ (Grèce, Italie, Espagne, Chypre et Malte), pays que l’Union européenne a placé en première ligne afin de préserver l’Europe du nord des flux migratoires en adoptant les Règlements Dublin. 

Ce nouveau pacte européen prévoit le renforcement de l’externalisation des politiques migratoires ; un plus grand nombre de détentions ; des expulsions plus rapides et plus nombreuses ; l’enfermement d’enfants dès 12 ans qui pourront être détenus aux frontières ; des moyens supplémentaires alloués à Frontex ; l’absence d’opérations de sauvetage financées par des fonds européens et la criminalisation des ONG qui viennent en aide aux personnes migrantes. Les personnes migrantes en attente aux frontières lors de leur demande d’asile ne seront pas autorisées à entrer sur le territoire de l’État membre, bien que de fait elles y soient déjà. Elles risquent d’être expulsées en voyant leurs droits encore un peu plus réduits. Celles qui ont déjà été détenues dans le cadre de cette même procédure puis libérées seront à nouveau enfermées en attendant leur expulsion. Il n’y aura plus de personnes attendant une décision de l’État membre en liberté durant la durée de la procédure. Elles disposeront d’un délai de sept jours ouvrables pour faire appel d’une décision négative. Ce délai extrêmement court vise de façon assez évidente à rendre ce type de démarche très difficile, voire impossible. L’objectif de ce pacte européen est double : dissuader et empêcher toute personne en demande d’asile d’entrer sur le territoire européen. 

La politique migratoire européenne se montre impitoyable envers les personnes migrantes. Celles-ci sont violentées, abusées, déshumanisées car il n’y a pas de prise en charge digne de ce nom par les États. 

Le Ruanda Asylum Plan, un accord dangereux

Si la politique d’accueil en Belgique est désastreuse, au Royaume-Uni la situation pour les demandeuses/eurs d’asile est pire encore. Tous les accords internationaux en matière d’asile sont transgressés. Par ce ‘memorandum of understanding’,  le gouvernement tente de limiter les traversées clandestines par la Manche sur le territoire anglais. Le nombre de traversées sur des embarcations de fortune s’est multiplié ces dernières années, elles dépassaient 40 000 en 2022. Londres prévoit le renvoi de chaque demandeuses/eurs d’asile au Rwanda. Cette mesure qui doit s’étaler sur cinq ans suscite évidemment une vive polémique. En contrepartie, Londres a signé avec Kigali un chèque de 140 millions de livres sterling, somme conséquente pour un pays dont la part de la population vivant sous le seuil de pauvreté se situe juste en dessous des 40%. Le gouvernement britannique entend montrer à ses électeurs que la maîtrise des frontières promise lors du Brexit est à son agenda et que  lors des prochaines élections, il y a de bonnes raisons de voter pour le parti conservateur.

Après un examen sommaire de leur situation, si ces personnes demandeuses d’asile entrent dans le champ d’application de l’accord – peu importe leur vécu et leur nationalité – toutes sont susceptibles d’être expulsées vers le Rwanda qui se situe à plus de 6 500 kilomètres, sans retour possible. La plupart de celles qui ont traversé la Manche en 2022 sont originaires d’Iran, d’Albanie ou d’Afghanistan (5)https://www.gov.uk/government/statistics/factsheet-small-boat-crossings-since-july-2022/factsheet-small-boat-crossings-since-july-2022. Une fois arrivées au Rwanda, pays marqué par la guerre civile et l’exil, elles devront à nouveau faire une demande d’asile qui peut leur être refusée, un cauchemar pour ces personnes déjà fragilisées. 

Le sort réservé aux réfugié·e·s sur le territoire rwandais est par ailleurs incertain. En 2013, un accord similaire signé avec Israël avait été abandonné suite à des violences et à l’emprisonnement de personnes migrantes. Selon des ONG présentes, certaines personnes avaient payé des passeurs pour quitter le Rwanda. Au Royaume-Uni, certain·e·s migrant·e·s ont tenté de se suicider lors de l’annonce de leur expulsion du pays vers le Rwanda. On sait que cette menace ne dissuade toutefois pas les migrant·e·s de traverser la Manche, beaucoup de migrant·e·s disent ne plus rien avoir à perdre.

Des organisations caritatives et des avocat·e·s représentant des demandeurs d’asile ont lancé une série de recours juridiques contre cette politique en affirmant qu’elle enfreint la Convention européenne des droits humains. La légalité de ce plan a été plusieurs fois portée devant la justice britannique. Le Danemark négocie la mise en place de la même procédure avec le Rwanda. Une façon pour le président Kagamé de gagner en notoriété et en légitimité au plan international. Dans les pays occidentaux, cette sous-traitance des réfugié·e·s – ce que les ONG appellent ‘’l’externalisation de l’asile » – s’est accrue depuis 2015. 

Une politique migratoire inhumaine, raciste et coûteuse

Vincent Van Quickenborne (Open VLD), ministre de la Justice, avance qu’en plus des 35 000 places que la Belgique possède et des 65 000 places pour les Ukrainiens, le gouvernement “fera encore plus d’efforts » et il ajoute : « En même temps, on a décidé de fermer le robinet, donc d’expulser plus facilement les demandeurs d’asile qui sont déboutés ». Tout est dit. 

Mme De Moor avait exposé le fait que les demandeuses/eurs d’asile débouté·e·s restaient trop souvent dans les centres d’accueil, ce qui empêchait d’autres personnes de pouvoir bénéficier d’une place. Certaines personnes intentent aussi plusieurs actions en justice l’une à la suite de l’autre, ce que Mme De Moor souhaite empêcher. Cette possibilité est néanmoins prévue par la loi. Désormais, un refus de la demande d’asile signifiera la fin de la procédure d’asile dans un délai de 30 jours. La création de nouvelles places d’accueil est bien entendu un leurre, certaines personnes s’y trouvant déjà seront expulsées afin de libérer leur place pour d’autres personnes qui seront à leur tour expulsées du pays. 

L’objectif du gouvernement actuel est de placer 1145 personnes en centre fermé et d’en expulser 10 000 par an. Les centres fermés sont des prisons qui ne disent pas leur nom. Des tentatives de suicide et des décès pour cause de manque de soins y ont lieu. Les chiffres ne rendent pas compte de la réalité du quotidien des personnes en attente d’une décision, ils déshumanisent et invisibilisent des milliers de personnes. La durée officielle de la procédure de demande d’asile est de six mois, mais dans bien des cas, celle-ci est beaucoup plus longue. Certaines personnes attendent parfois des années en centre fermé. 

La mise en place des centres fermés est directement liée à la montée de l’extrême droite dans le pays. Mettre les personnes en demande d’asile dans des centres fermés est une manière de les criminaliser. La question migratoire fait l’objet d’une instrumentalisation politique dans un contexte de crise économique. Nous serions confrontés à une crise migratoire majeure qui menacerait notre économie et notre société. Ce discours, initialement propagé par l’extrême droite, est à présent repris par tous les partis politiques. Selon France Arets (6)Lire aussi notre interview de France Arets « 24 ans, Vottem, je ne l’accepte toujours pas » !, du Collectif de Résistance Aux Centres Pour Étrangers (7)cracpe.domainepublic.net, “les partis traditionnels se sont alignés sur le discours de l’extrême droite. Les détenus sont criminalisés. De l’extérieur, la population se dit que s’ils sont à cet endroit, c’est qu’il doit y avoir une raison.” Alain Grosjean, de l’asbl Point d’Appui Aide aux personnes sans papiers, avance que “l’objectif n’est pas d’expulser le plus possible, mais de travailler l’opinion publique dans le sens des idéaux de droite et d’extrême droite. On dit au peuple que les personnes en situation de séjour illégal sont criminelles. Ce message est passé à des fins électoralistes. On omet pourtant de mentionner combien coûtent les centres fermés à l’État pour le nombre de personnes qui y passe.”

Frank Casteleyn (CD&V), bourgmestre de Jabbeke en Flandre Occidentale, ou devrait se construire un nouveau centre fermé devant ‘accueillir’ 500 personnes, avait interdit l’accueil de demandeuses/eurs d’asile au sein de sa commune, interdiction rapidement suspendue par le conseil d’État. Selon le bourgmestre, le site concerné serait contaminé par des PFAS (substances chimiques synthétiques perfluoroalkylées que l’on retrouve fréquemment dans l’environnement). Un avis de l’Agence des soins et de la santé a contredit cela. Cet automne, on pouvait voir des messages dans les jardins de Jabbeke avec le message NIMBY (Not In My BackYard), après l’annonce de l’interdiction de Frank Casteleyn. Les motivations de ce dernier sont sans équivoque. 

Selon De Stemming (le ‘vote’ ou ‘l’humeur’), un sondage réalisé en 2022 auprès de quelque 2.000 personnes en Flandre par l’Université d’Anvers et la VUB pour le compte de De Standaard et de la VRT, plus de la moitié des personnes interrogées (55%) estiment que le fait d’être né en Belgique est une condition pour se dire Belge ou Flamand. Les personnes migrantes ne pourraient donc pas être considérées comme telles. 

Ces derniers mois, des témoignages font état de violences de plus en plus graves lors de tentatives d’expulsions depuis les centres fermés. Certains de ces témoignages sont disponibles sur les sites de Getting The Voice Out, un collectif qui soutient les luttes à l’intérieur des centres fermés. On se souvient également du décès de Semira Adamu il y a 21 ans, étouffée à l’aide d’un oreiller par deux policiers lors de son expulsion. Suite à cet assassinat et à l’indignation qu’il avait suscité au sein de la population, la Belgique avait établi certaines règles concernant l’usage de la force. Ces règles ne sont toutefois pas appliquées. Menaces ; insultes sexistes et racistes ; utilisation de sédatifs ; entraves par l’usage de menottes et de sangles afin de maintenir les membres supérieurs et inférieurs ; coups et blessures, voilà ce qu’endurent certaines personnes qui sont conduites à l’aéroport. 

Au centre fermé de Merksplas, dans la province d’Anvers, des détenu·e·s se sont révolté·e·s en exigeant des conditions de détention dignes. Une trentaine de personnes a refusé de réintégrer sa cellule. La police a été appelée et s’est montrée très violente envers les personnes dont certaines ont été placées en cellule d’isolement. La prison date du 19ème siècle, elle ne répond pas aux normes des prisons modernes. Les détenu·e·s réclament notamment des toilettes dans leur cellules. Deux mois avant ces faits, une homme est décédé après avoir entamé une grève de la faim. Des conditions de détention exécrables, un manque d’écoute de la part de la direction, l’absence de certains soins médicaux et psychiatriques, la violence des gardiens et l’isolement sont le quotidien de centaines des personnes qui n’ont commis aucun crime. C’est une des conséquences directes d’une politique migratoire raciste. 

L’enfermement des enfants 

En Belgique, l’interdiction de l’enfermement des enfants du fait de leur statut de migrant·e·s devrait être inscrite dans la loi prochainement, mais dans d’autres pays européens, les enfants de plus de douze ans pourront être détenu·e·s aux frontières selon certaines circonstances. Cette mesure avait déjà été discutée en septembre 2020 par la coalition Vivaldi, elle a donc mis du temps à être concrétisée. Marco Martiniello, sociologue et politologue italo-belge, spécialiste de la sociologie des migrations, approuve cette mesure, mais dit s’inquiéter d’une “politique court-termiste”. Ce nouvel accord gouvernemental serait, selon lui, plutôt une solution d’urgence qu’à long terme. Les associations de défense des droits humains seront attentives au fait que le gouvernement tienne bel et bien sa promesse. 

L’ancien secrétaire d’État à l’asile et à la migration, Theo Francken (N-VA) craint que l’interdiction de l’enfermement des enfants ait pour conséquence d’attirer plus de familles migrantes avec enfants sur le territoire belge. La Belgique est “le seul pays d’Europe occidentale à inscrire cette interdiction dans la loi”, ajoute-t-il. Pour rappel, Théo Francken souhaitait, en 2018 déjà, contourner l’article 3 de Convention européenne des Droits de l’Homme (8)L’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme interdit aux États de pratiquer la torture, ou de soumettre une personne relevant de leur juridiction à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants. afin de permettre le refoulement des bateaux de migrant·e·s. 

De nombreux expert·e·s s’accordent sur le fait que l’enfermement des enfants a des conséquences néfastes, profondes et durables sur leur santé psychique et physique. Un enfermement, même court, peut perturber leur développement cognitif. D’après des expert·e·s en psychologie, la détention peut provoquer un mutisme, de l’anxiété, de l’automutilation et des tentatives de suicide dues au stress post-traumatique et ce, quel que soit leur âge. 

En 2018, Bernard De Vos, alors Délégué Général aux droits de l’enfant, s’était rendu auprès d’une famille de quatre enfants né·e·s en Belgique et ensuite expulsé·e·s vers la Serbie après leur détention en centre fermé. Il s’est exprimé en ces termes : « Pendant notre présence là-bas, on parlait de la Serbie avec un enfant de trois ans qui faisait le signe avec la tranche de la main sur son cou en disant : ‘Serbie’. Voilà, et ça à trois ans. C’est insupportable ».

Actuellement, des enfants sont toujours détenu·e·s dans des ‘maisons de retour’ (9)Les maisons de retour, aussi appelées maisons ‘FITT’, ‘Turtelboom’ ou ‘unités d’habitation ouvertes’ sont des maisons unifamiliales dites ouvertes où sont détenues des familles avec enfants mineurs. Il est possible pour les enfants de poursuivre leur scolarité. Les adultes peuvent quitter l’habitation pour faire des courses, consulter un avocat, se rendre chez le médecin, etc. Néanmoins, un membre adulte de la famille adulte doit toujours être présent dans l’habitation, afin d’éviter que d’autres membres de la famille ne puissent fuir. Ces maisons sont gérées par l’Office des Étrangers. Les familles détenues dans des maisons de retour peuvent introduire une demande de libération devant la Chambre du Conseil. La durée d’enfermement dans les maisons de retour peut varier, il s’agit de quelques jours, de quelques semaines et parfois de plusieurs mois.. Il existe 29 de ces maisons en Belgique. Elles sont moins connues que les centres fermés, mais ce sont aussi des lieux de privation de liberté. Après un itinéraire souvent long et dangereux, les enfants subissent un premier traumatisme lors de leur arrestation. Elles et ils se voient interdire leurs droits à l’éducation, aux loisirs avant d’être expulsé·e·s vers un pays qu’elles et ils ne connaissent pas. Ces maisons de retour doivent être prises en compte dans la loi interdisant l’enfermement des enfants. 

Plusieurs questions subsistent et parmi elles, ce que deviendront les enfants dont les parents seront placés en centre de détention une fois la loi appliquée.  

Qu’en est-il de la lutte contre les violences faites aux femmes migrantes ?

La moitié des personnes migrantes sont des femmes, celles-ci sont toutefois largement invisibilisées. De nombreuses femmes fuient leur pays d’origine à la suite de violences de genre qu’elles ont subies ou pourraient subir, dont les violences conjugales, sexuelles et sexistes ; le mariage forcé ; l’exploitation sexuelle ; la stérilisation forcée ; les mutilations génitales et les crimes « d’honneur ». 

Durant leur fuite, rendue plus difficile lorsqu’elles sont accompagnées de leur(s) enfant(s), elles doivent faire face à de nombreuses violences. Elles sont victimes de séquestration, d’exploitation, de viols, contraintes à la prostitution…

En centre fermé, les femmes ne bénéficient pas toujours d’espaces privés et non mixtes. Elles n’y sont pas toujours en sécurité non plus car elles subissent là aussi des agressions de la part des hommes. Lorsqu’elles doivent se rendre à des entretiens, à des rendez-vous médicaux ou autres, elles n’ont pas toujours la possibilité de faire garder leurs enfants. Celles qui ne sont pas détenues sont parfois tentées de faire un mariage blanc pour régulariser leur situation, de travailler au noir avec ce que cela comporte comme risques ou encore de se prostituer. Lorsqu’une femme, avec ou sans enfants est expulsée, la procédure ne tient nullement compte de son statut et de ses besoins spécifiques, pas plus du fait qu’elle peut être exposée à un danger supplémentaire en ayant parfois enfreint des normes religieuses et sociales dans son pays d’origine. 

La CIRÉ propose depuis mars 2021 ses recommandations concernant l’asile, la migration et l’égalité des genres aux autorités belges. La Coordination et Initiative pour réfugiés et étrangers souhaite que le gouvernement respecte la Convention d’Istanbul concernant la protection des femmes migrantes signée par la Belgique le 14 mars 2016. Cette Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, a été ratifiée par 36 pays. Elle constitue le premier instrument juridique européen en matière de lutte contre la violence faite aux femmes. 

Ni les murs, ni les frontières ne retiendront jamais les personnes qui fuient leur pays d’origine, quels que soient les motifs qui les poussent à partir. L’Europe dois cesser sa politique migratoire xénophobe et court-termiste en adoptant des réelles mesures d’accueil. Les expulsions et les emprisonnements ne sont pas des solutions et ne le seront jamais. Il est urgent de modifier nos politiques de migration pour arriver à plus d’égalité et combattre le racisme.


Ressources

  • Le collectif Y’En A Marre (YEAM), propose une formation afin d’accompagner une personne sans papier dans ses démarches administratives > vspenamarre@gmail.com 
  • L’asbl CIRÉ (Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers) défend les droits des personnes exilées, avec ou sans titre de séjour depuis plus de 65 ans. Elle propose des idées concrètes afin d’aider les personnes migrantes (communication@cire.be).
  • Getting the Voice Out. https://www.gettingthevoiceout.org. Les objectifs du site consistent de permettre de faire sortir la voix des détenu-e-s concernant leurs conditions d’enfermement et d’expulsion, ainsi que de témoigner des  résistances qu’ils et elles mènent dans ces prisons.
  • Collectif de Résistance Aux Centres Pour Étrangers, https://www.cracpe.be.

    Sources utilisées pour l’article :

Photo : Rassemblement au Steenrock festival, contre le centre fermé de Steenokkerzeel en 2018 (Sébastien Brulez, Gauche anticapitaliste, CC BY-NC-SA 4.0)

Print Friendly, PDF & Email

Notes[+]