Plusieurs ballons d’essai ont été lancés lors des réceptions du Nouvel An de partis politiques. Ce qui est frappant, c’est que ces ballons d’essai ne sont pas tant motivés par les élections fédérales, régionales et européennes à venir en 2024. Non, les véritables enjeux semblent plutôt tourner autour des élections locales d’octobre 2024. C’est du moins le cas du côté flamand. Pourquoi ?

Un changement drastique des règles du jeu

Avec la loi spéciale du 13 juillet 2001, les trois régions (la Région flamande, la Région wallonne et la Région de Bruxelles-Capitale) sont responsables de l’organisation des élections locales. Le gouvernement flamand a profité de ce pouvoir pour changer radicalement la loi électorale pour les gouvernements locaux. Ce changement frappe à plusieurs endroits. Premièrement, la participation obligatoire aux élections locales est supprimée. Deuxièmement, le scrutin de liste disparaîtra, de sorte que seul le nombre de votes préférentiels déterminera qui est élu. Troisièmement, la tête de liste du plus grand parti obtiendra le droit d’initiative exclusif pour former une coalition pendant quinze jours après les élections. S’il parvient effectivement à former une telle coalition, le candidat ayant obtenu le plus de votes préférentiels sur la liste du plus grand parti au sein de la coalition majoritaire deviendra automatiquement bourgmestre. Dans ce cas, donc, un partenaire de coalition plus petit ne peut plus fournir le bourgmestre. Tout cela pourrait donc produire de grandes surprises lors des élections locales d’octobre 2024.

Affiliation à un parti ou personnalités ?

Ainsi, l’abolition (uniquement dans la Région flamande !) du vote obligatoire aux élections locales apporte quelques surprises. Les citoyen.ne.s ayant le droit de vote ne seront en effet plus obligé.e.s d’aller voter. Cela signifie que les partis eux-mêmes devront mobiliser leurs électeurs. Il va sans dire que les partis disposant d’une organisation solide (et des ressources financières nécessaires) d’une part, et d’une grande loyauté envers le parti parmi leurs partisans d’autre part, auront alors un avantage. Un grand danger guette alors les partis centristes classiques (CD&V, OpenVLD et Vooruit) : pendant des décennies, ils ont compté sur le profil médiatique des… personnalités. Ils mobilisent donc de moins en moins autour de leur parti et de leur programme, mais d’autant plus en misant sur ces « personnalités ». Ils le font parce que les anciens réseaux liés aux piliers autour de ces partis n’existent pratiquement plus. Ces personnalités doivent donc s’appuyer principalement sur leur apparence médiatique. Cependant, les médias traditionnels (presse, radio et télévision) sont à leur tour soumis à une forte érosion, en raison de l’essor des différents médias « sociaux », mais aussi du visionnage en différé ou « streaming » de programmes de télévision et de radio ou podcasts. Cet aspect de la réforme électorale flamande joue donc en défaveur des partis centristes traditionnels.

Le Vlaams Belang en embuscade

L’éléphant dans la pièce électorale est donc de savoir si le Vlaams Belang se nourrit principalement de votes de rejet ou d’électeurs motivé.e.s et bien conscient.e.s, qui veulent réellement défendre les points du programme raciste et veulent activement se retourner contre « l’establishment ». S’il s’agissait principalement de votes de rejet, un paquet de ces électeurs pourrait rester à la maison lors des élections locales et donc ne pas voter. Sinon, leur poids dans le résultat final des élections sera probablement plus lourd qu’aujourd’hui, car les électeurs traditionnels du centre pourraient être plus difficiles à motiver à voter. Le poids spécifique de l’extrême droite menace alors de devenir plus important.

Tentatives de recomposition et listes locales

Les nouvelles règles sur le traitement des votes préférentiels – notamment leurs conséquences sur le droit d’initiative pour former des coalitions et devenir bourgmestre – entraînent également de nombreuses tentatives de recompositions locales et d’autres changements. Par exemple, de plus en plus de sections locales du CD&V déclarent qu’elles ne se présenteront plus sous le logo de ce parti. Il est clair que ces sections locales de la démocratie chrétienne émergeront plutôt sous la forme d’une « liste du bourgmestre ». La reconnaissance du nom du candidat au poste de bourgmestre devrait alors remplacer le vide de fond. Chez Vooruit, il est frappant de voir comment ce parti s’oriente de plus en plus vers la formation de « listes de ville » dans les grandes villes, parfois en tant que partenaires juniors des libéraux (par exemple à Gand), parfois dans d’autres constellations, mais à chaque fois sans les Verts. L’objectif semble être principalement de pouvoir ensuite former une coalition avec la N-VA (comme à Anvers). En fin de compte, cela correspond au désir des sociaux-démocrates d’entrer dans un gouvernement avec la N-VA et les libéraux au niveau de la Région flamande.

L’exemple d’Anvers

Il est important de comprendre que cette attitude de Vooruit n’est pas motivée par des opinions ou des préférences « idéologiques » profondes, mais plutôt par le changement radical de la législation électorale (flamande) pour les élections locales. Ce que cela peut signifier peut être illustré entre autres par l’exemple d’Anvers. Lors des précédentes élections locales, la coalition sortante N-VA-CD&V-OpenVLD n’a plus obtenu la majorité. De plus, il existait une grande animosité entre N-VA et CD&V. Si Bart De Wever voulait alors rester bourgmestre, il n’avait d’autre choix que de chercher un partenaire de coalition de remplacement. Les sociaux-démocrates lui ont fait une faveur à cette occasion : ils ont sauvé son maïorat. Avec la nouvelle législation électorale (flamande), un tel scénario n’est même plus nécessaire. La N-VA va très certainement reculer à nouveau à Anvers. Mais elle devrait rester le plus grand parti. Par conséquent, Bart De Wever se verrait automatiquement accorder deux semaines pour forger une nouvelle coalition autour de lui et de la N-VA. Il ne fait aucun doute que Vooruit, OpenVLD et CD&V voudront lui faire plaisir avec cela (peut-être aussi Groen, s’ils peuvent faire valoir qu’ils sont « nécessaires » contre l’extrême droite). S’ils obtiennent tous ensemble suffisamment de votes…

Les calculs de Vooruit à Gand

À Gand, là encore, Vooruit faisait partie d’un cartel avec Groen. Dans un passé lointain, Vooruit était la principale force de ce cartel et pouvait donc également prétendre à l’écharpe de bourgmestre. Lors des dernières élections communales, cependant, cela a changé. Vooruit ne pouvait plus se vanter d’un grand nombre de voix et a dû céder le premier rôle à Groen. Il y a également eu une lutte de pouvoir interne au sein de l’OpenVLD, qui a finalement conduit à une coalition des libéraux avec le cartel Groen/Vooruit, avec le libéral Matthias De Clercq comme bourgmestre. Pour les sociaux-démocrates, cependant, les prochaines élections municipales s’annoncent plutôt désagréables. S’ils ne font pas attention, ils se retrouveront carrément dans une position d’outsider. Pour éviter cela, ils hissent une fois de plus Freya Van den Bossche sur le bouclier, en tant que personnalité locale. De plus, ils veulent remplacer le cartel avec les Verts par une forme de coopération (cartel ou liste de ville) avec les Libéraux. L’espoir est que cette dernière constellation devienne la liste avec le plus de votes. Bien qu’il soit peu probable que Freya Van den Bossche obtienne le plus de votes préférentiels sur une telle liste – et qu’elle ne puisse donc pas devenir bourgmestre – cette liste de cartel ou de ville pourra plus que probablement former le noyau d’une nouvelle coalition. Avec Groen ou avec la N-VA ? L’avenir nous le dira. Cela dépendra beaucoup des accords discrets qui seront conclus plus tôt, lors de la formation du nouveau gouvernement flamand – dont Vooruit aimerait faire partie, avec… la N-VA.

L’agonie silencieuse du cordon sanitaire à Ninove

Un autre détail piquant est que cette réforme de la loi électorale flamande va faire en sorte qu’à Ninove, l’homme ayant obtenu le plus de votes de préférence sur la liste ayant obtenu le plus de voix sera automatiquement en charge pendant quinze jours pour forger une coalition autour de lui et de son parti. Cet homme est Guy D’Haeseleer, chef de liste de Forza Ninove, le nom local du Vlaams Belang. Après les dernières élections communales, l’arrivée au pouvoir de Forza Ninove (40% des votes !) – avec Guy D’Haeseleer comme bourgmestre – n’a pu être empêchée que parce qu’un membre élu de la N-VA (qui dans son ensemble a choisi de passer dans l’opposition) a rompu avec son parti pour permettre une majorité de celui-ci avec l’Open VLD et S.A.M.E.N (c’est-à-dire Vooruit et Groen). Avec la nouvelle législation électorale flamande, un tel scénario risque de devenir beaucoup plus difficile. Il y a de fortes chances que le contraire se produise maintenant, avec un ou plusieurs « transfuges » qui voudront répondre aux ouvertures de D’Haeseleer. Par conséquent, sans trop d’histoires, le « cordon sanitaire » menace simplement d’être jeté à la poubelle, sans faire trop de bruit.

Le PTB et les coalitions « progressistes »

Dans ce contexte, le plaidoyer que le PTB met en avant lors de ses réceptions du Nouvel An doit également être considéré : « pour la formation de coalitions progressistes ». Ce plaidoyer a plusieurs significations : (1) le PTB peut ainsi adopter une position « constructive » envers les partisans de Vooruit et Groen (en utilisant les coalitions progressistes déjà existantes à Borgerhout et Zelzate comme un « exemple constructif ») ; (2) le PTB peut ainsi prétendre mériter un « vote utile » (contre toute « coalition monstre néolibérale » ou – comme à Ninove – contre la conquête du pouvoir par le Vlaams Belang) ; (3) s’il ne parvient pas à former une telle « coalition progressiste » (pour autant que celle-ci soit électoralement possible !), le PTB peut en tenir Vooruit et/ou Groen pour responsable et ainsi préserver sa propre « virginité ». Vu sous cet angle, ce plaidoyer pour des coalitions progressistes est donc plutôt motivé par un calcul politique de parti – une politique politicienne, pour ainsi dire. Ce qui serait dommage. Car une autre approche est également possible autour de cette idée : l’approche de la tactique du front uni. À cette fin, il serait judicieux que le PTB étoffe son plaidoyer pour des coalitions progressistes avec des propositions ou des revendications concrètes autour desquelles le plus grand nombre de personnes possible pourrait réellement s’unir. Le PTB pourrait alors devenir le moteur d’une recomposition politique par en-bas.

Un appel à la résistance

À cette fin, nous pouvons nous référer à l’appel récent de Het Groot Verzet (« La Grande Résistance ») (1) https://hetgrootverzet.org/het-groot-verzet/oproep/ . Cet appel flamand part de quelques questions pertinentes, telles que : « Est-ce que toi aussi tu avances depuis un certain temps habité par le sentiment que « ça suffit » ? Es-tu aussi à bout de souffle dans un monde où tout est plus rapide, plus dur, plus implacable ? Es-tu indignée lorsque des gens sont jetés dehors à cause de leur âge, de leur maladie, de leur couleur, de leur religion, parce qu’ils n’ont pas de travail ou n’ont pas les bons papiers ? Es-tu préoccupée par les voix politiques qui promettent des solutions en semant la haine ? Nous aussi. » A partir de ces questions, il n’est pas difficile de proposer un programme politique concret. Nous citons à nouveau : « Avec beaucoup de gens, nous regardons inquiets et en colère nos factures qui s’accumulent, les problèmes des soins de santé et des écoles, les trains et les arrêts de bus supprimés, les files d’attente aux banques alimentaires, le fait de travailler plus et plus longtemps, jusqu’à ce qu’on craque. Nous avons le cœur serré face aux inondations et aux feux de forêt, à la haine sur les médias sociaux, à la discrimination et au racisme, à la prise d’assaut des parlements, à la guerre et à l’armement, à la déshumanisation. Nous ne pouvons pas vivre ensemble dans un monde aussi dur et injuste. Nous voulons vivre, pas survivre. (…) C’est pourquoi nous disons fermement : ce sont les actionnaires qui suppriment les emplois, pas les sans-papiers. Ce sont les allégements fiscaux pour les multinationales qui démolissent notre sécurité sociale, pas les habitants de Molenbeek. Ce sont les ministres du climat qui nous coûtent sans réelles solutions, pas les activistes. Ce sont les politiques d’austérité qui mettent en danger l’avenir des jeunes, pas les demandeurs d’asile. » C’est autour de telles approches que les « coalitions progressistes » peuvent réellement être mises en place par en-bas, dans les rues, dans les bureaux, les écoles et les entreprises, et oui : même dans les urnes.

Une réforme antidémocratique

L’ensemble de la réforme électorale flamande pour les exécutifs locaux est fondamentalement antidémocratique. C’est l’un des résultats perfides des pourparlers de six semaines pour la formation du gouvernement flamand entre la N-VA et le Vlaams Belang, après les dernières élections régionales, en 2019. C’est une énorme honte que les partis dits démocratiques soient silencieux sur la nature antidémocratique de cette réforme. C’est encore plus dommage que la plupart de ces partis n’y voient qu’une « opportunité » dans la pratique. Face à laquelle ils se contentent d’acquiescer simplement et de s’y adapter. C’est à nous tou.te.s de résister contre cette logique. Par exemple en soutenant et en diffusant l’appel de Het Groot Verzet (« La Grande Résistance ») et en rejoignant les actions de cette alliance.

Paul Van Pelt
30/01/2023

Photo : Mobilisation du secteur non-marchand le 31 janvier 2023 à Bruxelles (Dominique Botte / Gauche anticapitaliste / CC BY-NC-SA 4.0)

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