Dans sa carte blanche du 11 janvier dernier, l’ancien parlementaire écologiste Jacques Liesenborghs pointait du doigt Ecolo (1)lalibre.be/debats/opinions/2022/12/16/ps-et-ecolo-vous-faut-il-un-mort-pour-reagir-UUVXK4SCCFG7NNP3V3E6PY6RJI/ et PS, tous deux membres de la coalition Vivaldi, quant à leur inaction face au non-respect du droit des demandeurs et demandeuses d’asile à être hébergé·e·s.

Ces partis affirment cependant être favorables à l’accueil des migrants. Ecolo a émis 10 propositions en matière de politique d’accueil, dont la fermeture des centres fermés. On attend encore. Le PS se dédouane en rejetant la responsabilité du blocage des dossiers sur les partis flamands. En pratique, on est donc encore loin du compte, les promesses d’hébergement ne sont toujours pas tenues. Par leur inaction, ces partis « de gauche » participent à une politique d’asile et de migration désastreuse et inhumaine et leurs effets de manche ne convainquent plus personne. 

Selon Benoît Mansy, porte-parole de Fedasil (2) L’Agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile., environ 3000 personnes ne sont pas prises en charge par l’agence qui en accueille 34.000. L’agence observe également une diminution des sorties des centres due à la prolongation de la durée des procédures d’asile. Ces procédures prennent, selon les cas, plusieurs mois, voire années. 

Le nombre de demandes d’hébergement excède les capacités d’accueil. Les personnes en demande d’asile n’ont alors parfois pas d’autre choix que l’occupation illégale de bâtiments désaffectés. C’est le cas avec l’occupation d’un ancien immeuble de bureaux rue des Palais depuis octobre 2022 par plusieurs centaines de personnes en demande d’asile, mais également de sans-abri et de personnes en séjour irrégulier. Les premières n’ont pas pu bénéficier de places dans les centres Fedasil. La sécurité des occupant·e·s n’est pas assurée. La police a constaté au moins une attaque au couteau et à la suite d’une rixe entre occupant·e·s, un incendie volontaire a rendu le troisième étage du bâtiment inutilisable. Des cas de diphtérie cutanée, de tuberculose et de prolifération de gale ont été signalés. La Croix-Rouge a ouvert une unité de soins fixe et deux médecins et un infirmier sont sur place durant la journée. En raison de cette insécurité et des conditions de vie déplorables, certaines personnes ont préféré retourner dormir dans la rue. Cet abandon de personnes dans des lieux insalubres est intolérable. Cécile Jodogne (DéFI), bourgmestre de Schaerbeek, a demandé à l’actuelle Secrétaire d’État à l’Asile et la Migration, Nicole de Moor (CD&V), de trouver au plus vite une solution. 

Où sont passés les « conteneurs » ? Où sont passés les millions ?
En novembre 2022, la Ligue des droits humains a déposé une plainte auprès de la Commission européenne pour non-respect de l’État de droit par la Belgique dans le cadre du non-accueil des personnes demandant la protection internationale. La réponse est venue de la DG Migration qui informe qu’elle a débloqué 204 millions d’euros le 7 novembre « afin d’aider la Belgique à trouver rapidement des solutions à la pénurie de capacités d’accueil ». La DG évoque également la livraison de « 750 conteneurs résidentiels » et le déploiement « d’environ 103 experts ». Interrogée récemment sur cette question, la Secrétaire d’État a répondu de manière un peu embarrassée. Elle prétend que les 204 millions livrés sont « un soutien structurel qui n’est pas lié à la crise de l’accueil », alors que le courrier parle bien de moyens mis à disposition pour « trouver rapidement des solutions à la pénurie de capacités d’accueil ». À propos des 750 conteneurs résidentiels, 150 seraient installés notamment à Lommel, Liège et Charleroi, mais pas à Bruxelles où le besoin est pourtant criant ! Quant aux 103 collaborateurs déployés, la réponse reste tout aussi évasive. Cet épisode prouve une fois de plus que les soi-disant crises (de la migration, de l’accueil) s’apparentent plus à une volonté délibérée du gouvernement de laisser pourrir la situation, de noircir le tableau, pour monter la population contre cette migration « incontrôlable ».

L’État ne respecte pas la loi

Fin 2022, à l’occasion d’une manifestation devant le cabinet du ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne (3)En 2022, des funérailles symboliques ont été  organisées devant le cabinet du ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne, situé dans la Tour des Finances. Des avocats du cabinet Progress Lawyers Network ont « enterré » l’État de droit belge. L’action visait à dénoncer le non-respect des droits fondamentaux des demandeurs·euses d’asile., l’avocate Marie Doutrepont rappelait que « les demandeurs d’asile ont droit à un hébergement en attendant le traitement de leur dossier, et ce, dès l’introduction de leur demande ». Elle ajoutait que « l’État belge persiste dans son refus de respecter le droit belge et la directive européenne concernant l’accueil des demandeurs d’asile ». 

Plusieurs droits fondamentaux sont régulièrement violés (4)Parmi ces droits fondamentaux, les articles 3, concernant l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants; 6 relatif au droit à un procès équitable et 8 concernant le droit au respect de la vie privée et familiale de la Cour européenne de Droits de l’Homme.. Malgré plus de 8000 condamnations judiciaires de Fedasil, auxquelles il faut ajouter plus de 150 condamnations par la Cour européenne des droits de l’Homme, la situation reste inchangée. L’État ne paie pas ses astreintes. Les requérants se retrouvent dans la rue pendant de longs mois. L’exécutif ne respecte pas la loi et ne respecte pas non plus le pouvoir judiciaire qui l’y condamne systématiquement. Ce déni des droits humains aggrave l’exclusion et la perte de l’identité sociale et individuelle, ainsi que la marginalisation de ces enfants, femmes et hommes dont certain·e·s ont choisi la Belgique comme pays d’accueil. 

Les femmes (5)par « femme », on entend ici toute personne qui se reconnaît comme telle. sont particulièrement vulnérables et subissent ici aussi une double peine. Aux grandes difficultés auxquelles sont confrontées les personnes en transit et en recherche d’un hébergement, les femmes doivent encore faire face à l’exploitation économique et sexuelle, aux agressions sexuelles, aux abus, à la traite, à une plus grande discrimination… Leurs besoins spécifiques ne sont pas pris en compte. Il y a là vraiment de quoi s’inquiéter en matière d’État de droit. 

Un manque de volonté politique

La France, qui n’est pourtant pas un modèle à suivre en matière de politique migratoire, a établi des critères clairs de régularisation des sans-papiers dès 2012. Si ceux-ci ne sont pas toujours respectés, loin s’en faut, ils existent néanmoins. En 2020 l’Italie, le Portugal et l’Espagne ont procédé à des régularisations temporaires ou assoupli les procédures en raison de la pandémie de COVID-19. Rien de tel n’a été fait en Belgique. 

En 2021, des personnes en séjour irrégulier à Bruxelles ont débuté une grève de la faim de plusieurs mois afin de dénoncer, entre autres, l’absence de critères clairs de régularisation dans la législation belge. Seul un très petit nombre de personnes sur les 475 grévistes ont pu bénéficier d’une régularisation. Lors d’une visite dans les locaux occupés par les grévistes de la faim à la VUB en juillet 2021, le directeur général de l’Office des étrangers (6)L’Office des étrangers (OE) est la plus grande direction générale du Service public fédéral Intérieur. Elle a pour mission l’exécution de la politique du ministre fédéral de la Sécurité et de l’Intérieur. Elle assure spécifiquement l’application de la politique gouvernementale belge relative à la gestion des flux migratoires., Freddy Roosemont, a pourtant déclaré que des critères de régularisation avaient bel et bien été fixés par le gouvernement. 

La plateforme In My Name, qui rassemble trois collectifs de sans-papiers et des organisations citoyennes, a présenté sa propre proposition de loi à la Chambre en 2022. Cette initiative citoyenne demande la création d’un comité de régularisation indépendant qui puisse proposer une procédure transparente et prendre des décisions sur la base de critères clairs. Un impératif qui nécessite une meilleure connaissance de la réalité de terrain de la part de nos élu·e·s ainsi qu’un dialogue et une réflexion commune afin de trouver des solutions durables à la situation des sans-papiers et demandeurs·euses d’asile. La Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés, depuis sa création en 2015, s’est faite le relais entre les demandeurs d’asile et les hébergeurs et hébergeuses volontaires. Les actions citoyennes ont toujours réduit la charge d’accueil considérable du gouvernement dont les initiatives restent trop rares. Celui-ci doit cesser sa politique de l’autruche. Nicole de Moor déclarait en décembre dernier que « le non-respect de la loi sur l’accueil n’[était] pas un choix politique ». Force est de constater que c’est pourtant bien le cas. On pouvait espérer que Madame de Moor fasse mieux que son prédécesseur. Mais pourrait-on faire pire ?

Une politique migratoire xénophobe 

En mars 2022, le collectif Pour une politique de la paix adressait une lettre ouverte à Sammy Mahdi (CD&V), alors Secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, dans laquelle il accusait le gouvernement de mener une politique migratoire raciste. Le collectif reprochait à M. Mahdi de mener la même politique que son prédécesseur Théo Francken et d’être « l’otage d’une stratégie médiatique dont l’unique objectif est de caresser l’électorat du CD&V qui pourrait voter Vlaams Belang en 2024 dans le sens du poil xénophobe (…) Le CD&V est coincé entre la ligne libérale autoritaire du VLD et la ligne d’extrême-droite du Vlaams Belang ».

Dans d’autres pays européens, la situation évolue aussi très négativement pour les droits des personnes migrantes. La droite extrême y puise ses arguments. Le Rwanda asylum plan, l’accord passé entre le Royaume-Uni et le Rwanda, permet de déporter les migrant·e·s vers le Rwanda lorsque celles et ceux-ci arrivent sur le territoire, afin de connaître la raison de leur demande d’asile et de prévoir leur réinstallation au Rwanda. Les ministres britanniques qui ont appuyé ces renvoi de demandeurs d’asile au Rwanda ont pourtant été avertis que le gouvernement rwandais torturait et tuait les opposants politiques. Cet accord controversé est, depuis peu, rendu légal à la suite d’un jugement de la Haute Cour britannique. Pour Théo Francken, ex-secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration belge, cette décision de justice a une portée bien plus grande : « Cela ouvre la porte juridique à l’introduction du modèle australien, que j’ai préconisé pendant des années et décrit dans mon livre Continent sans frontière comme la seule solution durable », affirme-t-il. Une seconde décision judiciaire importante et extrêmement dangereuse a été prise, cette fois-ci aux Pays-Bas. La Cour d’appel de La Haye a estimé nécessaire de mettre fin à l’exigence incessante des ONG de toujours fournir davantage d’accueil pour les demandeurs et demandeuses d’asile. Toujours selon Théo Francken, « C’est la première fois qu’une cour d’appel supérieure affirme haut et fort qu’il existe un frein à ce que l’on peut attendre des États membres en matière d’accueil des demandeurs d’asile ». La Cour d’appel de La Haye considère qu’il n’est plus possible de créer des places d’accueil supplémentaires. 

Le mouvement de solidarité envers les réfugié·e·s ukrainien·e·s avait pourtant fait renaître chez certain·e·s l’espoir d’une politique d’accueil plus juste, pour toutes et tous. Il apparaît, au contraire, que racisme et opportunisme politique qui sous-tendent la politique migratoire de l’Union européenne et de ses États membres ont amené à une situation conflictuelle de par la sélection effectuée lors de l’entrée dans les lieux d’hébergement. L’accueil et l’aide accordés aux réfugié·e·s ukrainien·ne·s (7)63.000 ukrainien·e·s ont obtenu un statut de protection temporaire en Belgique. n’a pas eu son équivalent lors de l’arrivée de nombreuses personnes syriennes sur notre territoire en 2015 ou celle des afghan·ne·s en 2021. Cette discrimination illustre la politique xénophobe de notre gouvernement. 

Les personnes migrantes sont encore trop régulièrement présentées comme des parasites paresseux et dangereux dont il convient, à tout le moins, de se méfier. Ces idées d’extrême-droite souvent simplistes sont accentuées par le contexte de crise économique et climatique qui contribue aux repli sur soi et alimente le sentiment de peur de l’étranger.

Les prochaines années verront des flux migratoires de plus en plus importants, il est donc urgent que cette politique de l’Europe-forteresse soit fondamentalement repensée. Il n’y a pas de crise migratoire, il y a une crise de l’accueil des étrangers. La question de l’asile est perçue comme un problème, alors qu’elle est en réalité une opportunité et le fondement de toutes les sociétés : le partage des cultures, des connaissances et savoirs, des expériences de vie. 


Sources

  • Communiqué de presse de la Coordination des Sans-papiers de Belgique, 16 janvier 2023, La politique d’asile et migration belge : rien que du laisser mourir.

Bruxelles le 16 janvier 2023COMMUNIQUE DE PRESSE DE LA COORDINATION DES SANS-PAPIERS DE BELGIQUE La politique…

Posted by Coordination des sans-papiers de Belgique on Monday, January 16, 2023
  • CIRé : Femmes migrantes: quelle protection internationale offerte par la Belgique?
https://www.cire.be/publication/femmes-migrantes-quelle-protection-internationale-offerte-par-la-belgique/
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