Il y a quelques jours, la Belgique a signé un accord d’échanges d’informations avec le ministre panaméen des Affaires maritimes. En effet, le Panama est le troisième pays d’où provient la drogue saisie dans le port d’Anvers (1)https://www.lesoir.be/498582/article/2023-03-03/trafic-de-drogue-la-belgique-signe-un-accord-avec-le-panama. Cette nouvelle mesure vient faire écho à ces dernières semaines d’actualités mouvementées sur le commerce de cocaïne dans le port d’Anvers, sur fond de règlement de comptes et de violences.

Le gouvernement belge veut intensifier sa lutte contre les trafics de drogue. Le gouvernement De Croo opte pour une stratégie en 7 piliers. Le Premier ministre ne mâche pas ses mots : « Notre objectif est de tout faire et tout mettre en œuvre pour faire voler en éclat le business model des trafiquants ». (2)https://www.premier.be/fr/un-commissaire-national-aux-drogues-et-plus-de-police-dans-le-port-d’anvers-pour-lutter-contre-la Et ce au prix d’un renforcement de la criminalisation et d’une précarisation des consommateurs de drogues, comme le souligne Vincent Van Quickenborne, ministre de la Justice : « Et nous mettons également les consommateurs en face leurs responsabilités en prévoyant des amendes plus élevées. » (3)https://www.premier.be/fr/un-commissaire-national-aux-drogues-et-plus-de-police-dans-le-port-d’anvers-pour-lutter-contre-la

Toutefois, les approches concernant les drogues illégales ne se résument pas à ça. De plus en plus d’approches pragmatiques et réfléchies en matière de drogue voient le jour ou se pérennisent : réduction des risques via des salles de consommation, le traitement assisté d’héroïne, le cannabis thérapeutique ou encore la dépénalisation des drogues depuis une vingtaine d’années au Portugal. Des mesures considérées par les experts comme étant plus appropriées pour réduire la violence associée aux trafics de drogues et lutter contre les inégalités sociales qu’engendrent la répression économique (amendes) et la criminalisation (incarcération et la stigmatisation sociale).

Pourtant, ces dernières semaines, le trafic de stupéfiants en Belgique a déclenché des propositions de mesures sensationnalistes du gouvernement Vivaldi à défaut de vraies mesures structurelles. Celles-ci vont systématiquement dans le sens d’une approche répressive et stigmatisante à l’égard des usagers. Ainsi, on a par exemple pu entendre le ministre des Finances, Vincent van Peteghem déclarer que « les usagers doivent se rendre compte qu’ils menacent notre sécurité.» Et d’appuyer son propos par un très définitif : « sans demande, il n’y aurait pas d’offre ». C’est oublier qu’en la matière production et consommation sont égalent liées par une relation inverse : lorsque la production mondiale de cocaïne augmente, et donc le stock à écouler, la consommation, en ce qui concerne le crack, suit le mouvement. (4)« La grande disponibilité de la cocaïne a probablement contribué à l’augmentation des niveaux de consommation de crack en Europe occidentale et méridionale ». Rapport européen sur les drogues, 2022, p. 13 https://www.emcdda.europa.eu/system/files/publications/14644/20222419_TDAT22001FRN_PDF.pdf

Parmi les mesures plébiscitées par le gouvernement Vivaldi :

  • Augmentation de l’effectif policier et militaire au port d’Anvers : le « stroomplan » est un plan de lutte contre le trafic au port d’Anvers. À court terme, une centaine de policiers supplémentaires seront envoyés sur le terrain grâce au soutien de la réserve de la police fédérale et un déploiement possible de l’armée (proposition de la N-VA soutenue par le MR).
  • Augmentation des amendes lors de consommation de drogues dites illégales : jusqu’à 1000 euros pour actuellement 50 à 150 euros.

Cependant, ces mesures sont jugées inefficaces et discriminantes :

  • Les groupes favorisés sont moins interpellés, probablement car leur consommation est moins visible dans l’espace public. La privation de liberté se révèle être principalement préjudiciable pour les personnes racisées ou en itinérance. Les travailleur·euses du sexe sont susceptibles d’être davantage incarcéré·e·s du fait des discriminations lors des interpellations, mais même d’être poursuivi·e·s en justice et/ou condamné·e·s. (5)Ligue des droits de l’homme, 2017 ; Wacquant, 2004 ; Gautron et Rétière, 2013 cités par Eurotox, 2020
  • Les politiques de criminalisation renforcent les inégalités d’accès aux soins en éloignant les utilisateurs de drogues des services de santé et affaiblissant la prévention et la détection précoce des maladies infectieuses. (6)Tinasti, 2016 ; Stévenot et Hogge, 2022
  • Le tabou et la stigmatisation de l’usage de drogues entrainent un évitement des services de soins, de peur d’être jugés, favorisant des consommations cachées (pratiques rapides provoquant des lésions et contribuant aux surdoses) et le recours à des substances de mauvaise qualité. (7)Stévenot, et Hogge : 2022
  • L’incarcération a des conséquences socio-économiques comme une perte des aides sociales, d’emploi ou de logement et la difficulté d’en retrouver un à la sortie en raison de la stigmatisation qui l’accompagne. (8)Wacquant, 2004 ; De Lagasnerie, 2017 cités par Eurotox, 2020
  • Les impacts économiques sont inégaux entre les groupes aisés et précarisés et renforcent la précarité. Les publics consommateurs visibles dans l’espace public sont ceux qui ont le plus de chance d’être appréhendés et devoir payer une amende. Cependant, ceux-ci sont des publics plus précaires et parfois en situation irrégulière. (9)iDA asbl, février 2023
  • Les amendes immédiates peuvent être faites sans recours à la justice et sont appliquées de manières différentes d’une commune à l’autre, il y a donc pour des faits identiques des sanctions différenciées. La consommation de drogues n’est pas un méfait à sanctionner comme un délit, mais une question de santé publique qui doit être soutenue et accompagnée plutôt que pénalisés financièrement. (10)iDA asbl, février 2023
  • La surcharge des prisons belges, à moitié composée de personnes incarcérées pour des faits de drogue, favorisant une consommation au sein des murs de la prison en raison de la vulnérabilité vécue et les conditions de détention. (11)Prospective Jeunesse, 2019

Le gouvernement a raté le coche d’un réel débat sur la décriminalisation des drogues, à l’exception de celui, éternel et sans résultat véritable, de la dépénalisation du cannabis en Belgique. Aveu de l’incapacité du gouvernement à agir en amont : sur les inégalités sociales, la précarisation des usagers de drogues, l’essoufflement des structures de soins et d’accompagnement des assuétudes, le manque de soutien aux projets.

Nous recommandons :

  • L’arrêt de la criminalisation : priorité absolue aux droits humains, à la réduction des risques et à la santé avant la criminalisation des usagers.
  • L’encadrement de la consommation par une véritable politique de santé publique, axée sur l’information, le contrôle de qualité, la prévention et la réduction des risques. La loi du 21 février 1921 encadrant la politique de drogues en Belgique est actuellement obsolète et contre-productive.
  • La dépénalisation des drogues : si elles continuent d’être illégales, l’objet de sanctions est administratif et non plus pénal. Avec la mise en place comme au Portugal de Commissions de dissuasion de la toxicomanie (CDT) encourageant l’accès aux services de santé pour les personnes reconnues comme ayant un problème de consommation de substances psychoactives illicites.
  • Le développement de structures alternatives basées sur l’évaluation des besoins selon l’idée du « Nothing about us without us ».
  • Une reconnaissance du racisme systémique imprégnant nos structures policières et judiciaires, couplée à des actions de lutte contre le profilage des personnes racisées par les services de police.
  • L’ouverture d’un débat démocratique sur la légalisation des drogues et leur régularisation.
  • Davantage de moyens (ressources financières et humaines) pour des politiques de prévention, de soins et de réduction des risques. 
  • Une action politique sur les déterminants sociaux de la santé, dont l’accès au logement, l’accès aux droits sociaux et des papiers pour tou·te·s
  • La déstigmatisation des utilisateur·ices des drogues.

Sources :

Eurotox, (2020). Les peines alternatives à la prison. Bruxelles, https://eurotox.org/2020/06/26/les-peines-alternatives-a-la-prison/

Information sur les drogues et l’alcool (iDA asbl), (2023). Des amendes pour les usagers de drogues, l’éternel retour d’une fausse bonne idée. Fedito Bxl 06 février 2023. https://feditobxl.be/fr/2023/02/des-amendes-pour-les-usagers-de-drogues-leternel-retour-dune-fausse-bonne-idee/

Prospective Jeunesse. (2019). Drogues et prison : visite derrière les barreaux. La Revue n°86, juillet 2019. https://prospective-jeunesse.be/articles/drogues-et-prison-visite-derriere-les-barreaux/

Stévenot, C., Hogge, M. (2022). Tableau de bord de l’usage de drogues et ses conséquences socio-sanitaires en Région de Bruxelles-Capitale, Bruxelles : Eurotox asbl. ps://eurotox.org/wp/wp-content/uploads/Eurotox-TB-2021-Bruxelles_2tma.pdf

Tinasti, K. (2016). L’impact négligé des politiques antidrogues. Réflexions sur ses conséquences en matière de santé publique, Émulations. https://doi.org/10.14428/emulations.varia.008

Photo : port d’Anvers. Crédit photo: Alf van Beem, Wikimedia Commons.

Print Friendly, PDF & Email

Notes[+]