Nous avons récemment publié un article qui revenait sur le large mouvement de grèves qui a secoué la Belgique en 2014 (1)Lire sur notre site « De la mobilisation à la concertation, quand la montagne accouchait d’une souris… », l’enthousiasme à la base mais aussi le retour précipité des directions syndicales à la table des négociations qui a mis fin au mouvement. Mais d’autres mobilisations d’ampleur ont émaillé l’histoire sociale de notre pays, avec parfois des victoires ou la chute d’un gouvernement, comme ce fut le cas en 1977 lorsqu’un mouvement de grèves tournantes a balayé le gouvernement du Premier ministre catholique Leo Tindemans. Alors que les organisations syndicales annoncent une semaine d’actions dans les services public dans tout le pays la semaine du 6 mars (avec un appel à la grève pour le vendredi 10 mars), nous continuons notre série de publications afin de contribuer à tirer les leçons des expériences passées pour les luttes de 2023 et au-delà. L’article publié ci-dessous a été écrit en novembre-décembre 2014 pour la revue La Gauche. (La rédaction)

Au cours de l’année 1976, le gouvernement Tindemans-Declercq (catholique, libéral et Rassemblement wallon) a pris une série de mesures contre les travailleurs·euses : plan d’austérité de 23 milliards de Francs belges (570 millions €), manipulation de l’index, prolongation du stage d’attente des jeunes, coupes budgétaires (pensions, enseignement, soins de santé, chemin de fer). En janvier 1977, le gouvernement impose la « cotisation de solidarité ».

Le 25 janvier 1977, les comités nationaux de la FGTB et de la CSC se réunissent chacun de leur côté. Ils annoncent une campagne d’information commune pour la défense des acquis et la réduction hebdomadaire du temps de travail. Cette campagne étant censée déboucher sur des actions à partir du 25 février. Le 12 février l’Interrégionale flamande de la FGTB manifeste à Bruges. Le 25 février, première journée des cinq jours de grèves tournantes par province, le Hainaut et la Flandre occidentale devaient partir en grève. Mais les directions syndicales sont débordées. Les services publics ont leur propre calendrier de grèves nationales en front commun.

Le 4 mars, deuxième jour de grève tournante, il y a 370.000 grévistes dans la province de Luxembourg et en Flandre orientale. Le 8 mars le Premier ministre Tindemans court donner sa démission au roi. Les chambres sont dissoutes et des élections anticipées seront organisées. Le 9 mars, les directions syndicales décident de suspendre les actions prévues. Le 11 mars, il y a malgré tout une quinzaine d’entreprises en grève dans la région de Namur. Le 15 mars, un Comité national élargi de la FGTB décide d’organiser un congrès après les élections.

1977 : quelques leçons importantes à tirer

1. Un mouvement de grèves tournantes allant crescendo est capable de faire tomber un gouvernement. Il faut pour cela que les travailleurs·euses soient décidé·e·s non seulement à lutter, mais à dépasser leurs directions syndicales pour élargir le mouvement (voir ci-dessous) ;
2. Dès que le gouvernement cède (ou fait mine de céder) les directions syndicales multiplient les manœuvres pour mettre fin aux mouvements de grève et reprendre ainsi le contrôle de la situation ;
3. Après les élections de 1977, le PS et le SP [l’ancêtre de Vooruit] sont allés au gouvernement pour mener une politique semblable. Cela ne vous rappelle rien ?

Comment les travailleurs·euses ont débordé leurs directions syndicales en 1977

Le 25 février 1977, pas un seul train n’a roulé dans l’ensemble du pays. 100.000 travailleurs et travailleuses des services publics (cheminot·e·s, administrations communales) ont fait grève.

Dans les deux provinces concernées (Flandre occidentale et Hainaut) la grève a été un succès. Aucun bateau de la malle Ostende-Douvres n’a navigué. Meeting de 2.000 grévistes à Bruges. Grève totale dans le Hainaut avec manifestations massives (3.000 à La Louvière, 10.000 à Mons, les travailleurs de Caterpillar ont fait deux jours de grève).

Dans la province de Namur, aucune grève officielle n’était prévue. 4.000 verriers de la Basse-Sambre ont quand même fait grève. D’autres usines de la région ont connu des arrêts de travail à Andenne, Ciney, Couvin, Jemeppes (Solvay). À Namur, un cortège de 500 voitures a sillonné la ville. À Bruxelles 7.000 manifestant·e·s ont défilé (Michelin, Côte d’Or, Hôpital Brugmann, Banques et Assurances).


Article publié dans La Gauche n°70, novembre-décembre 2014.
Photo : Leo Tindemans en 1976 – Wikimedia Commons – CC0 1.0 Universal (CC0 1.0) Public Domain Dedication.

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