Ces dernières années, le renouveau du mouvement féministe international s’est accompagné d’un regain de dynamisme également en Belgique. Nous voulons ici revenir en profondeur sur les différentes stratégies féministes : dresser un constat des méthodes à éviter pour dessiner les perspectives d’un renforcement de nos luttes. Dans cet article, le premier d’une série de trois, nous revenons en détail sur le bilan du gouvernement Vivaldi d’un point de vue féministe. Les deux suivants aborderont les impasses des illusions électoralistes dans le mouvement féministe pour finir sur les potentialités d’un mouvement féministe organisé et réellement indépendant de l’État et du capital

Après les élections fédérales belges de mai 2019, une longue période de négociations inter-partis s’est ouverte afin de former un gouvernement en Belgique, aboutissant à la constitution le 1er octobre 2020 d’une coalition « Vivaldi » qui succède à la coalition orange-bleu formée en urgence par les libéraux et les chrétiens-démocrates flamands afin de lutter contre la pandémie Covid. La Vivaldi est une coalition de sept partis : les libéraux (MR et Open-VLD), les écologistes (Ecolo et Groen), les socialistes (PS et Vooruit) et les chrétiens-démocrates flamands (CD&V).

Dès le début de son mandat, le gouvernement a opté pour une communication « progressiste », notamment pour se distinguer de la coalition suédoise, au pouvoir en Belgique de 2014 à 2018 et fortement droitière puisque constituée par les libéraux (francophones et néerlandophones), le CD&V, et surtout les nationalistes flamands de la N-VA. En raison de sa constitution plus « centriste » (de la gauche modérée du PS-Vooruit au libéralisme du MR-OpenVLD) mais aussi poussé par la montée en force du mouvement féministe indépendant, le mouvement metoo et les grèves féministes, le gouvernement s’est rapidement présenté comme soucieux de mener une politique sociale, et notamment, c’est ce qui nous intéressera ici, d’être à l’écoute des revendications féministes.

Le gouvernement Vivaldi s’est rapidement présenté comme soucieux de mener une politique sociale, et notamment, c’est ce qui nous intéressera ici, d’être à l’écoute des revendications féministes.

Sur ce thème, c’est Sarah Schlitz (Ecolo), secrétaire d’Etat « à l’égalité des genres, des chances et à la diversité » qui a incarné cette ambition gouvernementale féministe. Sans nier les quelques résultats obtenus lors de son mandat (notamment l’ouverture de nouveaux Centres de Prise en charge des Violences Sexuelles et la loi Stop Féminicide), ces avancées sont tout-à-fait superficielles face aux nombreuses mesures prises par la Vivaldi et qui ont au contraire participé à précariser l’existence des femmes et des associations de défense des droits des femmes notamment en renforçant la casse néolibérale des services publics.

Sarah Shlitz a été forcée de démissionner de son poste pour avoir obligé des associations bénéficiant de subventions publiques à utiliser son logo personnel dans le cadre d’appels à projets du fédéral. Nous avons refusé la polarisation(1)https://www.gaucheanticapitaliste.org/entre-reactionnaires-et-vivaldi-laffaire-du-cabinet-schlitz-rappelle-la-necessite-dun-mouvement-autonome-des-femmes-et-lgbt/ entre d’une part la droite réactionnaire (N-VA) à l’origine de la plainte qui faisait tomber la secrétaire d’Etat pour favoriser un agenda antiféministe et d’autre part le soutien inconditionnel et a-critique dont ont pu faire preuve certains soutiens de Sarah Shlitz et d’Ecolo. La cabale honteuse dont elle a été victime ne doit pas nous empêcher de produire un regard critique sur les politiques néfastes pour les femmes mises en place par la Vivaldi depuis le début de son investiture et sur la gravité de la stratégie de communication adoptée par le cabinet Shlitz/Leroy.

Il faut mettre en avant les impasses d’une politique gouvernementale dont le féminisme consiste à parier sur la charité d’un Etat qui n’a fait qu’adopter une posture progressiste de façade sous la pression des mouvements féministes.

Sommaire

Pour former le gouvernement, Ecolo et le PS ont sacrifié une loi importante sur le droit à l’avortement. En effet, si la loi qui régule aujourd’hui l’accès à l’interruption volontaire de grossesse est encore celle de 1990, légèrement modifiée en 2018, un projet de loi avait été déposé à la chambre en 2019(2)https://www.sofelia.be/lavortement-en-belgique-en-route-vers-une-reelle-depenalisation/, et proposait plusieurs avancées sur la question.

D’abord la fin de la pénalisation, puisqu’aujourd’hui encore en Belgique, l’avortement est un acte pénalement répréhensible s’il n’est pas effectué selon les conditions de la loi de 1990, qui n’avait permis qu’une dépénalisation partielle; ensuite l’allongement du délai de recours à l’IVG, aujourd’hui fixé à 12 semaines de grossesse. Le délai actuel est très limité (à titre de comparaison, les Pays-Bas sont à 24 semaines) et le projet de loi envisageait donc de le prolonger à 18 semaines, ce qui, sans être suffisant, était déjà une avancée; enfin, la réduction du délai de réflexion de 6 à 2 jours : aujourd’hui la loi impose à la femme un délai de six jours de réflexion après sa demande d’IVG, ce qui peut être intenable dans certaines situations et renforce le stéréotype paternaliste jugeant les femmes incapables de réfléchir avant d’agir. La perspective d’une réduction de ce délai était en soi une bonne chose, bien qu’un délai de 48h soit toujours 48h de trop.

Ce texte de loi avait été proposé en lecture à la Chambre, et avait été signé par l’ensemble des partis en commission, à l’exception de la N-VA, du Vlaams Belang et des chrétiens-démocrates (cdH et CD&V)(3)https://www.lesoir.be/268242/article/2019-12-20/depenalisation-de-lavortement-la-proposition-de-loi-approuvee-en-commission. Cette proposition de loi n’a pourtant jamais pu passer le cap de la plénière, notamment en raison d’alliances politiciennes : en 2020, après les élections fédérales, la Belgique cherche à se doter d’un gouvernement, et c’est dans ce cadre que, pour satisfaire le CD&V réfractaire, les autres partis, pourtant favorables au projet de loi, ont fini par accepter de mettre la proposition de côté, afin de former la coalition Vivaldi. Le droit à l’IVG a ainsi été l’objet d’une basse négociation politicienne, et a été mis au frigo depuis le début de la législature, malgré les importantes revendications portées sur le sujet au sein des centres de planning familial, des services de promotion de la santé et du mouvement féministe.

Le droit à l’IVG a ainsi été l’objet d’une basse négociation politicienne, et a été mis au frigo depuis le début de la législature, malgré les importantes revendications portées sur le sujet au sein des centres de planning familial, des services de promotion de la santé et du mouvement féministe.

Le « compromis » proposé alors était de constituer en 2022 un comité inter-universitaire d’experts, la plupart médecins, pour évaluer « de façon dépassionnée » les questions liées à l’extension de l’IVG « afin que les gouvernants puissent poser un nouveau regard sur le sujet ». Or, après un an de travail, ce comité a rendu son rapport en mars 2023, et il faut noter que celui-ci propose globalement de nombreux avancements sur la question de l’avortement, allant notamment plus loin que le projet de loi de 2019 sur certains points, puisqu’outre la dépénalisation complète et l’extension du délai de recours à 18 semaines, il propose de supprimer complètement le délai de réflexion, mais également de mettre en place des mesures d’accès à l’avortement pour les femmes les plus précaires, notamment sans-papiers(4)https://www.lesoir.be/500147/article/2023-03-10/ivg-le-comite-dexperts-favorable-lunanimite-lextension-18-semaines.

Si ce rapport avait initialement servi à botter en touche sur la question de l’avortement, le gouvernement se trouve donc maintenant en possession d’un document qui l’encourage à aller dans la voie d’une extension. Or, comme il fallait s’y attendre, malgré les résultats du rapport, le CD&V ne consent qu’à de minimes concessions sur la question de l’avortement, puisque le parti a simplement suggéré qu’il était envisageable d’étendre le délais à 14 semaines, mais pas au-delà(5)https://www.rtbf.be/article/avortement-le-cdv-d-accord-pour-une-extension-de-12-a-14-semaines-11184400. Nous avons signé la carte blanche publiée récemment par la plateforme Abortion Right(6)https://www.abortionright.eu/avortement-en-belgique-laissons-les-femmes-decider/, pour étendre et renforcer l’accès à l’IVG, et nous appelons à ce que ces signatures prennent corps par des manifestations.

Lors de la confection du budget 2023-2024, la coalition Vivaldi a procédé à un certain nombre d’offensives envers les conditions de vie des travailleur·euse·s, parmi lesquels on retrouve la réforme du crédit-temps(7)https://www.rtbf.be/article/limitation-du-credit-temps-les-femmes-poussees-hors-du-travail-11090852, appliquée depuis le 1er janvier 2023. Le système du crédit-temps s’applique aux travailleur·euse·s du secteur privé (son équivalent public est l’interruption de carrière), et permet de suspendre temporairement sa carrière, sans rompre son contrat de travail, et en recevant une petite allocation compensatoire. Il s’agit d’une période assimilée, comme le chômage ou l’incapacité de travail, c’est-à-dire qu’elle était prise en compte dans le calcul des pensions (du moins avant la nouvelle réforme que nous évoquerons juste après ce point).

Concrètement, si une personne remplit certaines conditions, il est possible pour elle de bénéficier d’un revenu de remplacement mensuel durant le crédit-temps. En plus de la formation, les motifs qui octroyaient l’accès à ce système concernaient globalement les soins : auparavant, il était possible d’interrompre sa carrière pendant 51 mois maximum  afin de s’occuper des enfants jusque l’âge de 8 ans, des enfants handicapées jusque 21 ans, ou encore de malades en soins palliatifs; en outre, les crédit-temps étaient alors accessibles aussi bien pour les personnes à temps plein qu’à temps partiel.

Les travailleur·euse·s à temps partiel n’auront plus accès à cette interruption de carrière, puisqu’il faudra avoir travaillé à temps plein pendant au moins 1 an pour pouvoir bénéficier d’une allocation, ce qui est impossible pour beaucoup de femmes.

La nouvelle réforme modifie cependant certains aspects qui vont participer à précariser les personnes qui y ont recours (particulièrement les femmes, majoritaires dans les tâches dites de care) : d’abord, ces interruptions ne pourront être accordées que pour s’occuper d’un enfant jusque 5 ans, pendant au maximum 48 mois; ensuite, le montant de l’allocation reste identique (516,63€/mois) malgré l’inflation et l’élévation générale du coût de la vie; enfin, et peut-être surtout, les travailleur·euse·s à temps partiel n’auront plus accès à cette interruption de carrière, puisqu’il faudra avoir travaillé à temps plein pendant au moins 1 an pour pouvoir bénéficier d’une allocation, ce qui est impossible pour beaucoup de femmes.

Or, dans la majorité des cas, le crédit-temps pour motif de soin n’est pas un choix mais une nécessité face à l’insuffisance, au désinvestissement et au coût des structures d’accueil pour personnes dépendantes : crèches, maisons de repos, maisons de soin, habitations protégées. De nombreuses femmes seront donc de toute façon contraintes d’interrompre leur carrière (voire de renoncer à un emploi tout court) sans pouvoir bénéficier d’une compensation, ce qui peut facilement représenter une perte de 2000€ par an.

Disclaimer : la rédaction de ce chapitre précède le vote de la loi à la Chambre le 4 avril. Certains passages de notre texte demandent donc à être actualisés, notamment à propos du calcul des pensions en termes de jours de travail effectif, qui semble prendre en compte la question des carrières plus irrégulières(8)https://www.rtbf.be/article/la-reforme-des-pensions-adoptee-a-la-chambre-le-bonus-pension-de-retour-le-temps-partiel-mieux-pris-en-compte-11354408. En l’absence de données empiriques plus précises, il est à ce stade difficile de faire une analyse poussée des effets réels qu’aura cette loi pour les femmes. C’est la raison pour laquelle nous décidons tout de même de publier tel quel ce chapitre.

Dans la même veine que la réforme des crédits-temps, lors de l’été 2022, la coalition Vivaldi a adopté un accord dans le dossier de la réforme des pensions. Annoncé en grande pompe pour sa prise en considération de la situation des femmes et pour ses prétendues avancées en termes de réduction des inégalités hommes-femmes, cette nouvelle réforme est pourtant profondément sexiste et s’inscrit dans la parfaite continuité des précédentes qui, rappelons-le, ont notamment allongé l’âge de la pension à 67 ans ! Le gouvernement détruit les pensions au nom de les sauver. Il va chercher l’argent chez les personnes âgées et les pauvres plutôt que dans les cotisations sociales dont les patrons sont de plus en plus exemptés

L’aspect qui pénalise le plus les femmes, c’est certainement l’introduction de la notion de « travail effectif ». Auparavant, pour bénéficier d’une pension complète, il était nécessaire d’avoir une carrière de 45 ans environ, mais celle-ci pouvait être interrompue, en raison par exemple de chômage, de maladie, d’invalidité, etc., des périodes dites « assimilées », qui rentraient dans le calcul de la pension. Avec la nouvelle réforme, seul un nombre suffisant de jours de travail effectivement prestés comptera pour déterminer le montant de la pension. La conséquence de cette mesure est que les personnes qui ont des difficultés à s’insérer ou à rester insérées sur le marché du travail auront moins de jours de travail effectif à faire valoir, et bénéficieront ainsi d’une plus faible pension.

La carrière des femmes est beaucoup plus susceptible d’être morcelée, ce qui implique que le comptage en terme de « jour de travail effectif » entérine et renforce les disparités de pension

Or, le nombre de jours de travail effectif est bien plus faible chez les femmes que chez les hommes, pour de nombreuses raisons : les interruptions de carrière pour s’occuper d’enfants; les discriminations sexistes sur le marché du travail (harcèlement sexiste et sexuel, …) ; la pénibilité de certains emplois dans lesquels les femmes sont surreprésentés et dont les conditions physiques ne permettent pas de travailler jusqu’à l’âge de la retraite (titre-service, caissière, etc.)(9)https://www.rtbf.be/article/comment-faire-face-aux-inegalites-de-genre-sur-le-marche-de-lemploi-11262331.

En bref, parce que la société est toujours structurée par l’oppression patriarcale, la carrière des femmes est beaucoup plus susceptible d’être morcelée, ce qui implique que le comptage en terme de « jour de travail effectif » entérine et renforce les disparités de pension. La moyenne des pensions en 2021 était de 1586€ pour les femmes, contre 1989€ pour les hommes(10)https://www.pensionstat.be/fr/chiffres-cles/genre-pension/ecart-de-pension-pour-la-pension-legale et on note, toujours en 2021, que plus d’une femme sur cinq gagne moins que 1000€ par mois de pension(11)https://www.rtbf.be/article/la-pension-des-femmes-moindre-que-celle-des-hommes-le-taux-menage-est-une-des-raisons-mais-qu-est-ce-que-c-est-11169568.

Les mobilisations syndicales de la fin de l’année 2022 ont régulièrement revendiqué la suppression de la loi salariale dite « loi de 1996 ». Cette loi établit un plafond que ne pourront pas dépasser les augmentations de salaires, fixé en prévision de l’augmentation des salaires dans les pays voisins (France, Pays-Bas, Allemagne). L’effet de cette loi est qu’alors que la productivité du pays augmente, les salaires, eux, ne suivent pas. Elle s’est révélée particulièrement injuste en 2021-2022, puisqu’alors que le pays connaissait une croissance importante (8%), la marge d’augmentation des salaires a été fixée à… 0,4%(12)https://www.lecho.be/economie-politique/belgique/federal/les-salaires-n-augmenteront-pas-les-deux-prochaines-annees/10423268.html.

Ces attaques envers les salaires trouvent également un écho au niveau européen : après avoir suspendu les règles budgétaires en 2020 pour faire face à la pandémie Covid, les Etats de l’UE ont validé un nouveau pacte budgétaire européen en décembre 2023. Ce pacte impose aux états membres de nouvelles mesures d’austérité, parmi lesquelles l’habituelle réduction des dépenses publiques mais également de possibles attaques contre l’indexation automatique des salaires.

Dans une période où le coût de la vie a beaucoup augmenté, bloquer les salaires participe à précariser de plus en plus de personnes, qui se retrouvent avec des factures impayables, ne peuvent plus se nourrir ou se loger correctement. A Bruxelles, chaque jour on peut constater l’explosion du nombre de personnes sans abris, parmi lesquels un nombre croissant de femmes et de familles.

Pour comprendre en quoi cette loi pénalisent particulièrement les femmes(13)Voir : https://www.lacsc.be/docs/default-source/acv-csc-docsitemap/6000-centrales/6550-cne/6640-publications/bb-loi-96-site.pdf?sfvrsn=e77f8e2a_2, particulièrement p. 17., il faut savoir qu’en Belgique une femme gagne en moyenne 23% de moins que les hommes(14)Chiffres 2018, cf. : https://fgtb.be/journee-egalite-salariale. Les raisons de cet écart sont multiples : les femmes travaillent plus souvent à temps partiel (un peu plus de 40% d’entre elles(15)En 2019, 40% des femmes travaillent à temps partiel, contre 10% des hommes : https://statbel.fgov.be/fr/nouvelles/le-travail-temps-partiel-concerne-toujours-principalement-les-femmes-malgre-un-forte chiffre qui monte à plus de 50% en Wallonie(16)https://www.iweps.be/indicateur-statistique/part-salaries-a-temps-partiel/), que ce soit parce que c’est encore sur elle que repose la charge d’éduquer les enfants et d’entretenir le foyer ou encore parce que les femmes sont sur-représentées dans des secteurs où le temps partiel contraint est répandu (commerce, maisons de repos, titres-services); à quoi s’ajoute l’ensemble des discriminations sexistes qu’on connait bien.

Si les femmes ont en moyenne un salaire plus faible, on comprend en quoi le blocage des augmentations salariales aggrave leur situation : un bas salaire qui n’augmente pas renforce la précarité, puisqu’il devient de plus en plus difficile de faire face à l’augmentation des prix.

Si les femmes ont en moyenne un salaire plus faible, on comprend en quoi le blocage des augmentations salariales aggrave leur situation : un bas salaire qui n’augmente pas renforce la précarité, puisqu’il devient de plus en plus difficile de faire face à l’augmentation des prix. Maintenir la loi de 1996 est donc de fait une mesure anti-féministe.

Le statut de cohabitant.e désigne la diminution des allocations (revenu d’intégration sociale, chômage, etc.) pour celles et ceux qui sont domicilié.e.s sous le même toit que d’autres personnes. Par exemple, une personne qui reçoit le Revenu d’Intégration Social du CPAS touchera 809,42€ comme cohabitante, au lieu de 1.214,13€ si elle était isolée. Il s’agit d’une mesure sexiste et d’austérité qui a été prise au début des années 1980 en coupant dans la sécurité sociale, et qui touchait alors particulièrement les femmes(17)Parmi les personnes bénéficiant du statut de cohabitant.e, elles étaient alors 90% : https://www.agirparlaculture.be/la-fin-du-statut-de-cohabitant-e-ou-la-necessite-de-passer-le-flambeau/, alors largement majoritaires sous ce statut puisqu’elles étaient considérées comme dépendantes de « l’époux / chef de famille » pourvoyeur principal des besoins économiques de la famille. A travers ce statut, les femmes se sont vues perdre en autonomie et sécurité financière.

Bien que des collectifs féministes et syndicaux se soient organisés à l’époque contre cette mesure, et que depuis 40 ans de nombreuses structures réclament sa suppression, elle a été maintenue sous toutes les législatures, en raison de l’argument budgétaire(18)Voir notamment le MR, qui n’envisage la suppression de ce statut qu’en contreparties d’attaques contre la sécurité sociale : https://www.rtbf.be/article/florence-reuter-mr-la-suppression-du-statut-de-cohabitant-cest-oui-sur-le-principe-si-lon-rediscute-de-lensemble-de-la-securite-sociale-11280935 et ce, même par les partis comme le PS, spécialiste pour revendiquer son abolition en période électorale(19)Voir notamment Paul Magnette : https://www.lalibre.be/belgique/politique-belge/2023/04/01/paul-magnette-la-suppression-du-statut-de-cohabitant-sera-une-priorite-pour-le-ps-lors-de-la-prochaine-legislature-WWFNMKXUXNBPVCNT7DZRJXRKJQ/ ou encore Jean-Marc Nollet https://www.lavenir.net/actu/belgique/2022/11/26/chomage-jean-marc-nollet-propose-de-supprimer-le-statut-de-cohabitant-5IFVHRAUCRGJ5HAE3PPJTVVWIA/.

Depuis quelques années, les luttes contre ce statut se sont largement amplifiées, notamment à travers la création de la plateforme Stop au statut de cohabitant(20)https://www.stop-statut-cohabitant.be/, qui réunit des structures syndicales et associatives afin de sensibiliser les citoyen.ne.s et de faire pression sur le monde politique.

Les femmes continuent d’être particulièrement impactées car le statut de cohabitante produit des situations de dépendance économique à l’égard du conjoint, augmentant son pouvoir dans des contextes de violence, qu’elle soit physique ou psychologique, et les difficultés pour les femmes de s’en protéger.

Si aujourd’hui il y a une quasi-parité de genre parmi les personnes recevant des allocations sous ce statut(21)https://www.agirparlaculture.be/la-fin-du-statut-de-cohabitant-e-ou-la-necessite-de-passer-le-flambeau/, les femmes continuent d’être particulièrement impactées car le statut de cohabitante produit des situations de dépendance économique à l’égard du conjoint, augmentant son pouvoir dans des contextes de violence, qu’elle soit physique ou psychologique, et les difficultés pour les femmes de s’en protéger.

Alors que le début du mandat de la majorité Vivaldi a été marqué en 2021 par une grève de la faim de 475 personnes sans-papiers parmi lesquels une soixantaine de femmes, qui avait failli provoqué une crise politique (Ecolo menaçait de quitter le gouvernement mais n’en n’a absolument rien fait !), la situation n’a fait qu’empirer face à un gouvernement qui a tenu en bloc et n’a absolument rien cédé au mouvement social. Il ne répondra à aucune revendications des mouvements des sans-papiers qui réclament la suppression des centres fermés, la création d’une commission de régularisation indépendante, des critères clairs et permanents de régularisation comme avoir des « attaches durables », travailler, risquer une atteinte à un droit fondamental en cas de retour,… Pour ne pas parler de la régularisation de tou•tes les sans-papiers, à laquelle peu de collectifs croient encore après des années de lutte, alors que cette mesure est la seule qui rétablirait une égalité entre personne. 

En 2023, une nouvelle crise de l’accueil de personnes demandeuses d’asile frappe à nouveau, forçant le gouvernement Vivaldi à se mettre d’accord sur plusieurs mesures pour tenter de la résoudre. Le nouvel accord sur l’accueil des demandeurs d’asile de mars 2023 incarné par la secrétaire d’Etat à l’asile et à la migration, Nicole de Moore (Cd&V), prévoit notamment la création de 2000 places d’accueil supplémentaires mais surtout une série de mesures pour vider les centres d’accueil comme l’expulsion accélérée du centre en cas de demande d’asile refusée (22)https://www.rtbf.be/article/crise-de-l-accueil-de-nouvelles-places-pour-les-demandeurs-dasiles-mais-plus-de-fermete-dans-la-politique-des-retours-et-des-regroupements-familiaux-11164418 ou de Dublin confirmé (23)La procédure de Dublin permet d’établir quel pays est responsable pour l’examen d’une demande d’asile. Cela signifie que le demandeur ou la demandeuse d’asile pourrait être transféré.e de Belgique vers un autre pays, si ce pays est responsable de l’examen de votre demande. même si une procédure de recours est en cours : loin de régler la question de l’accueil des personnes exilées(24)https://www.lesoir.be/514184/article/2023-05-19/crise-de-laccueil-1100-places-liberees-des-milliers-creer, cet accord témoigne d’une vision politique court-termiste et s’inscrit en réalité dans la droite ligne de la politique du non accueil défendue par des législatures précédentes (25)https://www.levif.be/belgique/politique/accord-sur-lasile-et-la-migration-on-prefere-appliquer-une-rustine-plutot-que-de-resoudre-reellement-cette-crise-de-laccueil-interview/ à travers les figures de Maggie De Block (OpenVLD) et de Théo Francken (N-VA). Fin août 2023, Nicole de Moore donne même l’instruction de suspendre purement et simplement l’accueil des hommes seuls dans le réseau Fedasil au prétexte de prioriser l’accueil des femmes et des familles ! Cette instruction illégale est maintenue malgré la décision négative du Conseil d’Etat. Et Ecolo est toujours au gouvernement.

L’accord du gouvernement Vivaldi ne prévoit aucune mesure particulière de prise en charge des femmes exilées, alors même que le pays avait déjà été épinglé par le GREVIO dans un rapport publié en 2020

Rappelons que les femmes représentent 50% des personnes exilées. Nombreuses sont déboutées des demandes d’asile à cause du refus de reconnaître le statut de femme et les violences de genre comme motif crédible et suffisant de persécution. Les femmes demandeuses d’asile ou sans-papiers sont sur-exploitées dans les secteurs du nettoyage, du travail domestique, de l’agriculture et de la santé. Parfois, elles migrent grâce à des réseaux prostitutionnels ou sont recrutées en Belgique. Elles sont sur-représentées parmi les victimes de traite d’être humain que ce soit dans le contexte d’exploitation sexuelle ou d’exploitation économique.

L’accord du gouvernement Vivaldi ne prévoit aucune mesure particulière de prise en charge des femmes exilées, alors même que le pays avait déjà été épinglé par le GREVIO(26)Organe d’expertise indépendant mis en place par la Convention d’Istanbul que la Belgique a ratifié en 2016, et qui traitait de la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique dans un rapport publié en 2020, qui regrettait qu’il n’existe pas de garantie qu’une victime de violence sans statut de séjour soit à l’abri du risque d’être arrêtée et placée en détention lors de ses démarches pour porter plainte. Malgré l’élaboration d’un Plan d’Action National contre les violences de genre(27)https://igvm-iefh.belgium.be/fr/publications/plan_daction_national_de_lutte_contre_les_violences_basees_sur_le_genre_2021_2025, la Belgique ferme les yeux sur la situation des femmes exilées avec un statut de séjour précaire, victimes d’une double peine.

Et dire que ce gouvernement se présente comme rempart incontournable à l’extrême-droite !

L’aide médicale urgente (AMU) est une aide sociale de l’Etat qui vise à assurer une couverture minimale des soins de santé de toute personne sans statut de séjour ou sans assurance maladie invalidité. En pratique, ce type de demande doit être adressée aux CPAS qui, après une enquête médicale destinée à vérifier la nécessité des soins, prend en charge certains frais médicaux, avant d’obtenir un remboursement de la part du SPP Intégration sociale.

Il est estimé que 80% des personnes qui auraient droit à cette aide n’y ont pas recours à cause de la grande complexité et diversité des procédures administratives pour y accéder. Pourtant, une réforme adoptée en 2018 par la coalition suédoise, et portée par le MR sous prétexte de lutte contre de soi-disant « abus »(28)https://www.cire.be/communique-de-presse/aide-medicale-urgente-un-projet-de-reforme-qui-fait-mal/, a encore plus complexifié ce système en instaurant une procédure de contrôle des soins afin de vérifier si ceux-ci correspondent vraiment aux critères de l’aide et en instaurant des mesures de sanctions financières dans le cas contraire. La réforme laisse à l’arbitraire du médecin-contrôle la décision de déterminer au cas par cas ce qui relève ou non de l’aide médicale urgente(29)Cette procédure peut conduire à des conséquences dramatiques, comme en témoigne la mort de Bella, exilée à laquelle le médecin-conseil a certifié plusieurs fois un ordre de quitter le territoire, malgré un cancer du sein : https://www.levif.be/opinions/cartes-blanches/aujourdhui-jai-defendu-une-morte/. De façon illégale, les médecins-contrôles abusent parfois de leur pouvoir en allant jusqu’à contester la nécessité même d’un traitement décidé par le médecin traitant.

Cette précarisation de l’aide médicale urgente est à inscrire dans une politique globale de sous-financement du secteur de la santé.

De nombreuses associations démontrent les conséquences catastrophiques de ces mesures sur la santé et appellent à une nécessaire simplification de la procédure(30)https://medecinsdumonde.be/system/files/publications/downloads/Memorandum%20AMU%20FR-interactif%2001.2024.pdf afin d’offrir un meilleur accès aux soins pour les personnes sans statut de séjour ou sans assurance maladie. Notons que l’inaccessibilité de l’AMU vulnérabilise particulièrement les femmes qui peuvent se retrouver sans aucun moyen pour payer le lait en poudre ou un avortement.

Si cette réforme est le fait d’une précédente législature, elle avait alors été portée par le MR, toujours en place dans la coalition Vivaldi. Cette précarisation de l’aide médicale urgente est à inscrire dans une politique globale de sous-financement du secteur de la santé (31)https://www.lesoir.be/470611/article/2022-10-11/budget-dans-les-soins-de-sante-le-retour-des-economies (320 millions d’économies sont prévus en 2023 et 2024 dans le secteur), malgré un accord initial lors de la formation de la coalition Vivaldi qui prévoyait une hausse du budget accordé à la santé, à travers notamment une hausse de la norme de croissance et la mise en place du fond « blouse blanche » qui faisait suite à la crise Covid(32)Voir ici : https://frama.link/accord_vivaldi, pp. 22-23. Coupe dans la santé qui touchent aussi les CPVS dont on annonce l’ouverture en grandes pompes mais avec des financements qui ne suivent pas et un personnel sous grande pression(33)https://www.lesoir.be/577181/article/2024-03-27/violences-sexuelles-une-hausse-de-28-dans-la-prise-en-charge-des-victimes-en.

Une façade féministe de carton est un danger pour l’émancipation des femmes et doit être combattu par le mouvement féministe. Le gouvernement Vivaldi a atteint des sommets d’hypocrisie qui produisent un large sentiment d’impuissance collective. Mais des voix de sortie existent. Cet article a une suite ! Dans deux prochains textes, nous enfoncerons d’abord le clou sur les impasses des illusions électoralistes dans le mouvement féministe : certaines élues Ecolo ne se gênent pas pour s’étiqueter anticapitalistes malgré tout ce que nous venons d’exposer ci-dessus, et il est crucial que le mouvement féministe prenne ses distances avec ce type d’illusions. Nous terminerons ensuite sur les potentialités d’un mouvement féministe organisé et réellement indépendant de l’État et du capital, seul à même de tracer la voie d’une véritable libération féministe.

Défendons ensemble l’urgence d’un monde nouveau ! 


Photo : Dominique Botte / Gauche anticapitaliste / CC BY-NC-SA 4.0

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