Nous avons proposé il y a quelques semaines un bilan de la législature du gouvernement Vivaldi(1)Cet article est accessible ici : https://www.gaucheanticapitaliste.org/le-gouvernement-vivaldi-facade-feministe-pour-maison-en-carton/ à travers une critique féministe de nombreuses mesures adoptées par la coalition. Dans ce second article, nous analysons de façon plus spécifique les impasses des illusions envers Ecolo dans le mouvement féministe.    

La participation d’Ecolo au gouvernement de ces cinq dernières années a démontré l’effarante capacité des Verts à faire la publicité de très mauvais compromis. Le sacrifice de toute avancée sur le droit à l’avortement, la prolongation du nucléaire et, plus récemment, l’entérinement des lois dites « retour » et « Frontex » en terme de migration en sont de graves exemples. Pourtant, pendant ces années, la direction écologique du Secrétariat à l’Egalité des genres, des chances et à la diversité (Schlitz-Leroy) a rencontré une collaboration voire un certain succès plutôt qu’une critique assumée de sa participation au gouvernement Vivaldi de la part du milieu féministe et LGBTI+. Comment comprendre une telle aberration ? Plusieurs interprétations possibles et non exclusives.

Premièrement, la métabolisation minimaliste des revendications des mouvements sociaux par les politiques. Le gouvernement Vivaldi s’est formé en octobre 2020, dans un contexte de reprise combative et radicale des luttes féministes au niveau international et national contre les violences faites aux femmes, contre la crise du soin, la crise climatique et l’austérité. En 2017, le mouvement #MeToo réinstaure le harcèlement sexiste et les violences comme un problème politique et social. Plus ou moins à la même période, on voit émerger des grèves féministes à différents endroits du monde contre les féminicides, pour le droit à l’avortement et contre la prise de pouvoir de l’extrême-droite (Pologne, Argentine, USA, … ). En mars 2019, s’organise la première grève féministe en Belgique qui rassemble des milliers de femmes et militantes du pays. Ainsi, les luttes féministes des dernières années ne laissent pas d’autre choix aux partis dominants que de se positionner sur les enjeux féministes. 

Contrairement au gouvernement Michel, le gouvernement de Croo a donc dès le départ été obligé de faire une place aux revendications féministes, même si c’était en partie pour les neutraliser. Dans ce contexte, Ecolo a obtenu la direction du Secrétariat à l’Égalité des genres et y a placé un profil féministe avec un appareil de communication très rodé. Cette stratégie de communication visant spécifiquement le milieu féministe s’est efforcé de faire passer la réalisation extrêmement minimaliste de certaines revendications du mouvements féministes comme de grandes victoires… d’Ecolo. Cette communication s’est cependant bien gardée de mettre en avant la politique néolibérale du parti et les votes des député•es qui ont rendu possible la politique de la Vivaldi dans tous ses aspects néfastes. 

Or, ce féminisme capitaliste et de façade de la coalition Vivaldi a été salué comme une victoire par les franges néolibérales et réformistes du mouvement féministe plutôt que comme un autre danger. Cette position a eu un effet démobilisateur certain sur le mouvement féministe auto-organisé dont un exemple frappant est l’absence de réaction féministe de masse face au marchandage politique du droit à l’avortement au lendemain de la formation du gouvernement. Seules quelques organisations comme le GACEPHA, Furia, Extension Rebellion, la campagne Rosa, le collectif 8 mars Bruxelles et la Mutinerie Montoise, ont répondu favorablement à l’appel à réaction que nous avons lancé avec la Gauche Anticapitaliste. En octobre 2020, nous étions à peine quelques centaines à participer à un rassemblement à Bruxelles pour dénoncer la situation. 

Le féminisme capitaliste et de façade de la coalition Vivaldi a été salué comme une victoire par les franges néolibérales et réformistes du mouvement féministe plutôt que comme un autre danger.

Deuxièmement, c’est dans le désert qu’apparaissent les mirages. Suite à la coalition suédoise (MR, N-VA, CD&V, Open VLD) – où la direction du secrétariat à l’égalité des chances était assurée par la ministre N-VA Zuhal Demir – toute avancée aussi minime soit-elle sous la coalition Vivaldi et une stratégie de communication poussée du ministère de l’Égalité des genres, ont pu donner l’apparence de montagnes. Parmi ces avancées, nous pouvons noter le lancement d’appels à projet (ne garantissant cependant aucunement un subventionnement structurel, revendication phare du secteur), l’ouverture de nouveaux centres de prise en charge des victimes de violence sexuelle (tout en détricotant le financement des soins de santé et sans assurer des moyens humains suffisants dans ces services) et l’entérinement de la loi Stop féminicides (annoncée en grandes pompes comme outil de prévention alors qu’elle augmente surtout la pénalisation et que sa budgétisation n’est pas claire). Seule la réforme du code pénal sexuel, fruit d’une collaboration assumée avec le ministère de la justice (MR), a rencontré quelques critiques d’associations féministes. 

En réalité, plus que des avancées significatives pour les femmes et la lutte contre les violences, c’est surtout le rapport du Secrétariat au milieu féministe associatif et institutionnel qui a significativement changé entre la direction N-VA et la direction ECOLO : du franc mépris à la relative considération. Mais nous ne pouvons pas conclure que les avancées mentionnées soient suffisamment significatives pour défendre la participation d’Ecolo au gouvernement. Et ce, encore moins au regard des graves attaques sociales du gouvernement envers l’écrasante majorité des femmes (voir article “bilan vivaldi 1/3”). Les partis d’extrême-centre comme Ecolo et le PS défendent qu’il n’y a pas d’alternative au capitalisme possible et que leur participation au gouvernement constitue un rempart contre l’extrême-droite. Le contexte politique dans lequel se dérouleront les élections du 9 juin 2024 ne sauraient leur donner moins raison.

En réalité, plus que des avancées significatives pour les femmes et la lutte contre les violences, c’est surtout le rapport du Secrétariat au milieu féministe associatif et institutionnel qui a significativement changé entre la direction N-VA et la direction ECOLO : du franc mépris à la relative considération.

Troisièmement, le rapport contradictoire entre le milieu associatif et l’Etat(2)Pour une analyse plus générale des rapports entre Etat et milieu associatif à partir de la situation belge, cf. notamment : https://www.gaucheanticapitaliste.org/letat-le-mouvement-ouvrier-lassociatif-et-la-revolution/. En Belgique, une large partie du mouvement féministe est constitué d’associations sans but lucratif qui dépendent de subventions de l’Etat pour exister et qui lui sont donc structurellement aliénées. Certaines associations jouent le jeu et entretiennent des relations étroites avec les pouvoirs subsidiants (ex : cooptation du milieu associatif vers les cabinets ou les ministères), d’autres usent de beaucoup d’énergie et de manœuvres pour maintenir une relative indépendance dans leurs missions et actions. Déjà lors de la coalition suédoise de droite conservatrice, nous avions pu constater comment une frange, alors minoritaire, du mouvement associatif préférait continuer à quémander des comptes aux partis du gouvernement en leur offrant une tribune plutôt que de soutenir la (re)construction d’un mouvement féministe indépendant qui assume la confrontation avec l’Etat. 

Cette approche a été encore plus frappante sous la coalition Vivaldi dont la stratégie féministe d’Etat a séduit une plus large frange du mouvement associatif mais aussi du mouvement féministe auto-organisé (ex : mouvement « Balance Ton Bar »). Pourtant, contrairement à ce que prétend un parti comme Ecolo, l’Etat néolibéral n’a pas pour objectif et ne subventionnera jamais les changements structurels qui permettraient réellement d’abolir l’exploitation de classe et les dominations de genre et de race. Pire, la coalition Vivaldi a pris de véritables mesures fémonationalistes. On doit se souvenir que Nicole De Moore (CD&V), soutenue par l’ensemble du gouvernement (Ecolo et PS compris), a mis l’Etat hors la loi en donnant la directive d’empêcher le droit d’accueil aux hommes demandeurs d’asile sous couvert de prioriser les femmes et les enfants ! On doit garder en mémoire que Ecolo a entériné la loi de facilitation des expulsions de personnes sans papiers, dite loi « retour », sous couvert que n’y apparaissait plus le droit d’enfermer des enfants en centre fermé.

Contrairement à ce que prétend un parti comme Ecolo, l’Etat néolibéral n’a pas pour objectif et ne subventionnera jamais les changements structurels qui permettraient réellement d’abolir l’exploitation de classe et les dominations de genre et de race

Enfin, et peut-être même surtout, l’absence de perspective stratégique claire au sein du mouvement féministe auto-organisé ainsi qu’une culture explicitement « a-partisanne » qui, paradoxalement, favorise toujours les forces politiques dominantes et le mouvement associatif institutionnalisé. Ce point fera l’objet de notre troisième article : l’importance pour le mouvement féministe auto-organisé de se doter d’une stratégie de lutte féministe anticapitaliste assumée et de rompre avec un rapport de subordination aux politiques gouvernementales pour remporter des victoires.


Photo : Célébration de la loi Stop Féminicide. Source : page Facebook officielle de Sarah Schlitz

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