Si la crise du coronavirus a montré les limites de notre système de soins, il en est de même pour notre système éducatif. L’impact, moins spectaculaire, saute aux yeux de nombreux/euses acteurs et actrices de l’enseignement. L’avenir des élèves est en jeu… mais il l’est depuis plus de 30 ans.

Le vendredi 14 mars était une journée peu ordinaire. Professeur.e.s comme élèves venaient d’apprendre que les cours allaient être suspendus. Le mélange de sentiments était palpable. Certain.e.s étaient inquiet.e.s et anxieux/euses alors que d’autres voyaient cette suspension de cours comme une libération. L’école est vécue comme une contrainte par certain.e.s. Vous vous demanderez si nous parlons de professeur.e.s ou des élèves. Cette affirmation pourrait être valable pour les un.e.s comme pour les autres.

Les réunions se multiplient. On demande aux professeur.e.s de donner du travail aux élèves. Certain.e.s professeur.e.s craignent pour les évaluations finales, d’autres pensent qu’il est hors de question que les élèves arrêtent de travailler. Peut-être s’agit-il d’une manière d’inculquer cette valeur sociétale qu’est le travail ? Allez-savoir.

Mais le temps n’est pas à la réflexion, il faut aller vite afin de s’assurer de cette sacro-sainte continuité des apprentissages. C’est cette dernière qui va être expérimentée par de nouveaux/elles professeur.e.s. Cela pourrait très bien constituer une révélation comme un véritable cauchemar. Le temps de vérifier que les élèves comme les professeur.e.s ont bien leurs codes d’accès et c’est le début d’une nouvelle aventure dont l’issue semble incertaine.

Le premier week-end passe. De nombreux/euses professeur.e.s sont dans l’incertitude. Les élèves à surveiller dans les écoles seront-ils/elles nombreux/euses ? Des mesures seront-elles prises pour protéger les élèves et les professeur.e.s ? Les écoles seront-elles, autant que faire se peut, « stérilisées » ? Comment va-t-on occuper les élèves ? Seront-ils/elles en sécurité ? Serons-nous en sécurité ? Si la majorité des professeur.e.s trouve juste d’accueillir et de surveiller, ces questions n’en restent pas moins légitimes.

Explosion des inégalités

Comme dit le proverbe : « Loin des yeux, loin du cœur ». Si l’école, de par sa structure et son fonctionnement, ne fait pas l’unanimité parmi les élèves et les professeur.e.s, le moins que l’on puisse dire est que la distance n’aide pas.

L’enseignement, en Flandre comme en Wallonie, est réputé pour l’impact des inégalités sociales sur le parcours scolaire des élèves. Depuis le début de cette crise sanitaire, on assiste à une explosion de ces inégalités. En effet, depuis de nombreuses années et bien avant le début de cette pandémie, les enfants qui possèdent un indice socio-économique faible (ISE, calculé sur base notamment de l’indice socio-économique du quartier où vit l’enfant, du statut social des parents…) sont d’avantage stigmatisé.e.s, désavantagé.e.s et pénalisé.e.s que leurs camarades de classes.

En ce qui concerne le concept de « devoir à domicile », les enfants dits défavorisé.e.s (ISE faible) ne possèdent pas les mêmes ressources technologiques que leurs pairs. De plus, elles/ils ne possèdent également pas les mêmes ressources (moyens) humaines nécessaires à la maison pour les aider dans la réalisation de ces « devoirs à domicile ». Il est donc évident que ces inégalités, déjà existantes avant le confinement, sont accentuées lors de cette période. Pourquoi ?

Les enfants se retrouvent confiné.e.s 24h sur 24 chez elles/eux, pour certain.e.s sans leurs parents et « doivent » donc en principe réaliser seul.e.s des dossiers de révisions transmis par l’école pour chaque matière scolaire. On assiste donc à un concept de « devoirs à domicile » généralisé 7 jours sur 7. Ceci amplifie les inégalités déjà existantes dans la mesure où ces devoirs sont généralement transmis via le site web de l’école (ou une plateforme en ligne) et qu’il est évident que tou.te.s les élèves ne disposent pas d’un ordinateur, d’une connexion internet ou même des connaissances nécessaires à l’utilisation de cette plateforme ou de tout autre logiciel nécessaire à la réalisation de ces dossiers de révisions.

Néanmoins, certaines écoles ont envoyé les dossiers de révisions par courrier postal. On pourrait donc imaginer que tou.te.s les élèves ont reçu leur « travail ». Cependant, même si l’élève possède le dossier et les ressources technologiques nécessaires, il est clair que les élèves bénéficient d’un encadrement humain différent qui dépend de la profession des parents, si les parents sont confiné.e.s avec elles/eux ou si elles/ils continuent de devoir se rendre sur leur lieu de travail, et également de l’indice socio-économique des parents.

Les enfants affecté.e par des troubles de l’apprentissage sont également – voire plus – impacté.es. L’accompagnement spécifique dont elles/ils ont besoin ne peut être effectué systématiquement par les parents. Et ce par manque de temps ou de méthodologie. Les consultations en logopédie n’ayant plus lieu, les élèves et leurs parents sont livré.e.s à elles/eux même. Certain.e.s sont mieux outillé.e.s que d’autres. Ce phénomène contribue à renforcer les inégalités.

Et les profs dans tout ça ?

Certain.e.s pensent que les profs ne sont pas les plus à plaindre. En effet, pour bon nombre de personnes les professeur.e.s sont en « vacances » avant l’heure. On entend parfois dire que ce sont des privilégié.e.s. Après tout elles/ils reçoivent de l’argent au mois de juillet et au mois d’août. Il ne faudrait pas qu’en plus elles/ils soient payé.e.s pendant l’année alors qu’elles/ils ne donnent pas cours. C’est un discours qui circule beaucoup sur les réseaux sociaux. Celui-ci est extrêmement persistant.

Même si, en apparence, les professeur.e.s ne sont pas les plus à plaindre. Elles/ils sont aussi affecté.e.s par des inégalités. Elles/ils doivent remplir leur mission indépendamment de leur situation privée. Il est aisé de comprendre qu’une personne célibataire avec enfant, devant aider ses parents trop âgés, aura davantage de mal à remplir sa mission qu’une autre. Etant donné que la totalité du travail se fait à domicile, il faut tenir compte de la situation de chacun.e. De plus les professeur.e.s ne sont pas tou.te.s égales/égaux vis-à-vis des « nouvelles technologies ». Tout le monde n’a pas le même équipement. Tout le monde n’a pas le même degré de formation. Cela peut s’expliquer par le fait que, dans l’enseignement, tout s’apprend sur le tas. Que l’on soit jeune, âgé.e, temporaire, nommé, addict aux nouvelles technologies ou allergique à ces dernières.

Les professeur.e.s ne sont pas non plus égales/égaux vis-à-vis du management et du type de contrat. Un.e professeur.e temporaire soumis.e à une hiérarchie utilisant un management assez agressif ne sera pas sur un même pied d’égalité qu’un.e enseignant.e soumis.e à une hiérarchie qui tentera de soutenir un minimum ses professeur.e.s.

L’avenir des élèves est-il en jeu ?

Il semble évident que nous pouvons répondre oui à cette question. Mais les raisons de cette affirmation ne sont peut-être pas celles que l’on croit. Parlons dans un premier temps de cette fameuse « matière perdue ». La question du rattrapage de la matière « perdue » fait la une de l’actualité dans le milieu enseignant. Cela va-t-il vraiment désavantager l’élève ? Cela va-t-il affecter le parcours des futurs étudiant.e.s ? Faut-il laisser passer les élèves ? Bref, de nombreuses questions se posent.

En effet, nous pourrions dire que si deux mois de matières non vues entravent la réussite de la vie (scolaire) d’un.e élève, alors il y aurait matière à débattre sur le fonctionnement de notre système d’enseignement. En matière de surpression de cours, il y a des précédents. Nous pouvons parler, par exemple, des grandes grèves de l’enseignement des années 1990. Étrangement, certaines personnes occupant des postes à responsabilités, y compris dans l’enseignement, expliquent qu’ils sont parvenus à finir leurs études malgré ces grèves alors que les cours ont été suspendus pendant une période beaucoup plus longue.

Néanmoins, il semble évident que si les écoles ré-ouvrent leurs portes avant la fin de l’année, il va devoir y avoir une réorganisation concernant cette même fin d’année. Et là, deux possibilités semblent, pour nous, clairement se dessiner à l’horizon.

Il y a tout d’abord la possibilité de continuer les cours pendant les vacances d’été afin de rattraper les quelques semaines de matières non vues et d’organiser des examens. On peut alors s’interroger sur ce qu’il adviendra des nombreux enseignants temporaires dont le contrat se finit le 30 juin ?

Il y a ensuite l’annulation des examens, afin de rattraper « un peu » de matière non vue et de limiter le « retard scolaire » des élèves l’an prochain. Ce qui risque de faire grincer des dents les plus orthodoxes des parents ou acteurs de l’enseignement.

C’est bien évidemment la seconde proposition que nous défendons. C’est l’apprentissage et non l’évaluation qui doit être mis en avant. L’apprentissage est une fin alors que l’évaluation n’est qu’un moyen. Malheureusement, ce n’est pas évident pour tout le monde. La prolongation de l’année pendant le mois de juillet poserait plusieurs problèmes. De plus, jouer les prolongations équivaudrait à nier le boulot qui a été fait par les enseignant.e.s pendant cette période de confinement. Ce que nous n’acceptons pas. Malgré toutes les critiques que nous avons faites sur l’enseignement à distance, nous ne remettons pas en question les motivations des enseignant.e.s. Au regard de ce qui a été accompli par les enseignant.e.s et les élèves pendant cette période, le confinement ne peut en aucun cas être considéré comme des vacances avant l’heure !

Conclusion

Il ne s’agit pas ici de tomber dans une concurrence victimaire en essayant de savoir qui des élèves ou des profs est le plus à plaindre. Il s’agit de montrer que si la crise du coronavirus a montré les limites de notre système de soins, il en est de même pour notre système éducatif. L’impact, moins spectaculaire, saute aux yeux de nombreux/euses acteurs et actrices de l’enseignement, enfants, parents, élèves et professeur.e.s. L’avenir des élèves est en jeu. Mais il l’est depuis plus de 30 ans. Le coronavirus ne crée pas les problèmes, il les aggrave en faisant éclater la vérité au grand jour.

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