Quand l’épidémie du corona décerna début juillet le code rouge à la Suède, la radio flamande VRT annonça qu’il était dorénavant interdit aux Flamands d’aller en Suède. Ce code concerna pourtant tou.te.s les Belges et pas seulement les Flamand.e.s. Ce lapsus médiatique est le signe extérieur d’un mouvement qui imprègne lentement la Flandre : le développement d’un sentiment de former une communauté non pas culturelle en soi, mais bien une nation en tant que telle qui, à l’instar de toute autre nation moderne, est pourvue d’une idéologie nationaliste, pour ne pas dire ethnique.

Soyez rassuré, il ne s’agit actuellement que d’une minorité, mais certaines forces s’évertuent à renforcer ce nationalisme. Qui sont les responsables de ce développement nationaliste au nord de la frontière linguistique ? S’agit-il d’un complot, ourdi par des forces obscures cachées dans les fermettes du plat pays ? Ou bien d’une évolution naturelle, téléologique, dictée par la providence historique ? Ni l’un ni l’autre. Il s’agit tout simplement d’une activité politique consciente et systématique des nationalistes flamands qui ont survécu au mouvement flamand d’antan et qui sont motivés par le ressentiment.

Bien qu’idéologiquement minoritaire, la grande majorité des flamand.e.s préfère toujours la structure fédérale du royaume, les nationalistes ont l’avantage de posséder le parti politique le plus fort de la communauté flamande, la N-VA, et de pouvoir s’appuyer sur un autre parti, le VB. Il ne s’agit pas ici d’expliquer le fait du développement inquiétant de ces deux partis nationalistes, mais de jeter une lumière sur la stratégie idéologique du nationalisme flamand qui œuvre à conquérir l’hégémonie au sein de la population pour arriver à ses fins séparatistes.

Il est clair que le nationalisme flamand est né au sein du mouvement flamand. Il s’agit pourtant de deux choses différentes malgré le fait que la plupart des Belges, aussi bien francophones que néerlandophones ne les distinguent pas. On ne peut pas imputer la naissance du nationalisme flamand au mouvement flamand, celui-ci était à l’origine un mouvement démocratique en faveur des droits culturels d’un partie de la nation et qui était, faut-il le dire, belgiciste par peur d’une annexion par la France. Si le mouvement nationaliste s’est développé depuis la 1e guerre mondiale, a pris de l’envergure dans l’entre-deux guerres et des formes criminelles dans la 2e guerre mondiale, il s’explique en grande partie par la politique suivie par l’establishment francophone et par l’idéologie d’extrême droite qui envahit l’Europe suite à la crise économique et politique du système parlementaire. Comme toujours en histoire, les choses auraient pu suivre un chemin différent puisque ce sont les « humains » et eux seuls qui font l’histoire.

Notons que le mouvement flamand n’a aujourd’hui plus aucune raison d’être. L’autonomie culturelle a été réalisée dans les années 1990 et ses exigences linguistiques ont déjà été accordées dans les années 1910-1940 sous l’impulsion du social-chrétien Frans Van Cauwelaert. Un politicien que les nationalistes n’aiment pas évoquer puisqu’il était en faveur du contexte belge. Son biographe, l’éminent historien du mouvement flamand Lode Wils, met cela en relation avec l’historiographie tronquée des historiens nationalistes, qui ne font que de la propagande par le mensonge. Il vient de publier une étude sur la Flandre dont le titre se traduit par « A la recherche d’une nation. La naissance de la Flandre au sein de la Belgique »(1)Wils (Lode): “Op zoek naar een natie. Het ontstaan van Vlaanderen binnen België”, Polis, Kalmthout 2020.. Le nationalisme flamand n’a pas pu prendre ses distances par rapport à la collaboration qui l’a lié au fascisme. Un historien comme Robert Van Roosbroek qui n’a jamais répudié ses opinions nazies, a gardé le respect de beaucoup de flamingants et a reçu encore en 1978 la médaille honorifique de la Communauté Culturelle Néerlandaise. Le ressentiment envers les anciennes tracasseries de la part de l’establishment francophone et le sentiment revanchiste flamand envers la répression anti-collaborationniste continue à empoisonner les esprits nationalistes. Ainsi le parlementaire CD&V Hendrik Bogaert continue à produire ses théories bizarres sur un « ethnocide » flamand.

Dans son article sur le livre de Wils, Marc Reynebeau remarque, à propos du ressentiment, qu’on pourrait imputer au mouvement ouvrier un ressentiment basé sur la discrimination que les gens « du commun » ont dû supporter dans l’histoire de notre pays. « Des droits sociaux étaient impensables dans les têtes de l’élite capitaliste qui a construit non seulement un État francophone, mais en premier lieu un État capitaliste. Mais la « revanche » du mouvement ouvrier a choisi une autre voie que celle du revanchisme nationaliste flamand : en exigeant et imposant la démocratie il a pu obtenir des droits sociaux et poser les bases de l’État-providence. »

Propager le nationalisme, que ce soit par sous la forme du séparatisme ou du confédéralisme, saboter la stabilité politique pour prouver que la Belgique est ingouvernable, prétendre que la naissance de la Belgique en 1830 était une aberration, transformer le conflit linguistique en conflit ethnique, avancer un canon culturel qui « essentialise » la Flandre sont autant d’éléments de la stratégie nationaliste. Les nationalistes prétendent que l’autonomie flamande est en contradiction avec l’existence de la Belgique, comme si cette autonomie ne serait qu’être anti-belge. La pensée nationaliste manque de finesse, de complexité et ne produit que des clichés.

Selon Wils les différences économiques (exagérées) entre les deux communautés ne s’expliquent pas par l’existence d’une Flandre et d’un francophonie. Elles sont le résultat des grandes transformations sociales qui ont marqué les sociétés occidentales, suivies par l’effritement des valeurs traditionnelles dont celles qui donnent un sens « métaphysique » à la vie. Ces valeurs sont aujourd’hui remplacées, pour les nationalistes, par l’essentialisme de l’identité nationale. Remarquons qu’un certain essentialisme se retrouve aussi chez les mouvements identitaires de toutes sortes, à droite et à gauche.

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