Le 25 janvier, la Russie a adopté une loi dépénalisant les violences domestiques : les actes de violence commis dans le cercle familial et n’entrainant pas d’hospitalisation ne seront désormais plus punissables par la prison, mais par des amendes – alors qu’en Russie plus de 10 000 femmes meurent chaque année sous les coups de leur conjoint. L’État se fait ainsi complice d’une violence qu’on voudrait faire passer pour individuelle, faite de cas isolés et de « crimes passionnels ». C’est bien là le piège à éviter : considérer les violences conjugales comme des faits divers et refuser de voir que les violences faites aux femmes ont lieu partout, à chaque instant ; qu’il s’agit d’une violence fondée sur le genre [le terme « féminicide » permet de nommer les meurtres de femmes commis par des hommes parce qu’elles sont des femmes] ; qu’il s’agit d’une violence historique, politique, sociale et structurelle, pour assurer et perpétuer la domination masculine.

Si chaque homme qui commet des violences sur une femme est bien entendu responsable, il n’en est pas moins le produit d’un système qui encourage, légitimise et banalise cette violence. Et dans lequel la femme est perdante à tous les coups : qu’elle porte un foulard ou une mini-jupe, qu’elle parle ou qu’elle se taise. L’affaire Weinstein et la déferlante « #Metoo » qui a suivi ont mis en évidence l’ampleur du harcèlement et des violences sexuelles faites aux femmes, mais aussi la volonté d’un nombre croissant d’entre elles de se battre pour en finir avec cette oppression intolérable. Chaque femme qui ose prendre la parole libère un peu celle de ses sœurs. Le fait d’oser mettre des mots sur les humiliations, les agressions, les violences est un premier pas pour se rassembler et lutter toutes ensemble.

Passer du #Metoo au #Wetoogether, c’est réaliser que nos destins sont liés, tout comme nos luttes. C’est prendre conscience de ce fil rouge, invisible, qui nous relie toutes. C’est connaitre notre histoire, pour mieux construire notre futur. C’est passer des réseaux sociaux à la rue, de l’intime au politique, de la honte à la dignité, de la peur à la résistance. C’est refuser de nous juger les unes les autres et d’être divisées, pour ensemble nous défendre, faire entendre nos voix.

La cible est la plus ancienne des oppressions : le patriarcat

Dans ce mouvement, une impulsion majeure vient des États-Unis. Plus de trois millions de femmes ont manifesté en janvier 2017, la veille de l’entrée en fonction de Donal Trump. Elles dénonçaient l’élection d’un président sexiste, accusé de violences par plusieurs femmes, et qui a bâti son image et sa fortune notamment sur la chosification des femmes. Un an plus tard, elles sont descendues encore plus nombreuses dans les rues. Outre la colère que Trump leur inspire, elles entendaient protester contre les attaques réactionnaires que le gouvernement mène contre leur droit à disposer de leur corps. #Metoo n’est pas un mouvement passager mais une lame de fond puissante qui ébranle la domination masculine dans le monde entier. L’ex-conseiller de Trump, Steve Bannon, ne cache d’ailleurs pas son inquiétude : « C’est un mouvement politique contre le patriarcat, il deviendra plus puissant que le Tea Party et défera dix mille ans d’histoire », a-t-il déclaré.

L’inquiétude de Bannon est justifiée et nous réjouit. #Metoo est le point de départ d’une nouvelle vague féministe. La cible est la plus ancienne des oppressions : le patriarcat. Celui-ci existait bien avant le capitalisme, mais elle lui sert de fondement. D’une part, toutes les femmes sont concernées, quelle que soit leur classe sociale. Le mouvement féministe est donc pluriel et transversal par nature, c’est une de ses richesses. D’autre part, le capitalisme est inséparable du patriarcat. La lutte des femmes est donc potentiellement et profondément anticapitaliste. Le capitalisme est comparable à un iceberg : il comporte une énorme partie invisible formée par le pillage des ressources naturelles et par l’exploitation du travail de soins gratuit dans le cadre de la famille (travail nécessaire et effectué majoritairement par les femmes). Tout est lié. Le combat féministe appelle à mener un combat émancipateur global : à la fois anticapitaliste, féministe et écosocialiste.

Édito publié dans la revue La Gauche n°2, hiver 2018.

SOMMAIRE DE LA GAUCHE (HIVER 2018)

Cahier 1 / passé (dé)composé

– Un regard sur l’histoire du mouvement féministe en Europe / Par NADIA DE MOND

Cahier 2 // impératif présent

– Sois libre et tais-toi ! / Par PAULINE FORGES

– Reprendre en mains la lutte contre les violences patriarcales / Par LÉA DRUCCI

– Au Mexique, résistances face à un État féminicide / Par MARÍA FERNANDA ARELLANES ARELLANES

– Pourquoi la microfinance s’intéresse-t-elle autant aux femmes ? / Par LUCILE DAUMAS

– Déclaration finale du Séminaire « Femmes, dettes et microcrédit » / Par CADTM INTERNATIONAL

– Starhawk, quarante ans d’activisme / Par ISABELLE STENGERS

– Un combat et une écriture inclusives / Par SÉBASTIEN BRULEZ

cahier 3 /// futur conditionnel

– Quand féminisme et écologie convergent vers l’anticapitalisme / Entretien avec YAYO HERRERO

– Emma, un autre regard féministe et révolutionnaire sur nos quotidiens / Par SOPHIE CORDENOS

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gaucheanticapitaliste.org/revue

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