Cela fait maintenant un mois, après des jours d’incertitudes, d’organisation de dernière minute, que nous avons  (pour les plus chanceux/euses) déserté nos bureaux donnant à ces derniers un air de Pripiat. Nous avons enfin pris possession de nos maisons qui délimitent l’entièreté de nos vies. Nous voilà confiné.e.s avec nos identités multiples parents et travailleurs/euses, mais également gestionnaires de stock, éducateur/rices, professeur.e et j’en passe. Nous voilà confronté.e.s à devoir mouler nos existences dans les murs étroits de nos lieux de vies forcé.e.s de devoir mélanger vie privée et professionnelle.

Un rapide coup d’œil autours de moi et ma première conclusion est la suivante : qu’est-ce qu’on bosse ! Plus de personnel de nettoyage pour nous garantir un bureau et une maison impeccable, plus de machine à café qui se remplit par miracle, plus de bières qui se remplissent d’elles-mêmes en terrasse par un simple geste au serveur, nous sommes seul.e.s avec nous-même. Nous prenons enfin conscience que nous dépendons énormément des autres, de ces travailleurs et travailleuses invisibles. Nos poubelles, nos maisons propres, nos métros, notre magasin, nos hôpitaux, tout cela tourne grâce aux autres, et que tout.e seul.e, l’autonomie ressemble très vite à de l’auto-exploitation.

Il n’y a que les bourgeois du loin de leurs maisons de vacances qui peuvent trouver un côté « poétique » à la situation, mais pour le commun des mortels (j’entends par là celui ou celle qui doit gagner son pain en travaillant ou prouver qu’iel travaille à trouver du travail) nous nous retrouvons à devoir travailler plus qu’à l’ordinaire. Déjà là, un premier désaccord survient : Personne n’est en vacance ! Pour rappel, les vacances sont un moment « mérité », choisi par les travailleurs/euses en rétribution de leur travail. Forcer les gens à rester chez elleux pour des raisons impérieuses n’est pas les mettre en vacances. Mais qu’importe ! Pour l’ordre capitaliste, le travail ne sert qu’à créer de la valeur capitaliste. Tautologique mais logique.

Dès lors tout le monde ou presque est confronté au travail reproductif, un travail qui ne crée pas de la valeur mais qui est vital pour le maintien d’une vie digne et confortable, ajoutons qu’il est généralement réalisé par les plus précaire afin de permettre aux autres d’aller réaliser un travail source de plus value capitaliste. En conclusion tout le monde travaille mais le capitalisme ne reconnaît pas ce travail comme du travail car il ne crée pas de plus-value ni de profit. On l’aura compris, la « croissance » ralentit.

Le confinement en raison de Covid-19 est devenu avec les semaines une pratique généralisée dans le monde aujourd’hui environ la moitié de la population mondiale vit une situation de confinement…  La crise est grave et donc il est approprié d’agir en conséquence. Pour ce faire, la Belgique a donné des pouvoirs spéciaux à un gouvernement minoritaire d’intérim pour gérer la crise au mieux… ou pas.

Ce gouvernement à dominance libérale a, sans surprise, limité les déplacements, fermé les cafés, commerces de proximité avant de devoir fermer tous les commerces non essentiels. Pour faire respecter ces normes et les limitations de libertés, la police est logiquement fortement mobilisée. Dans les premiers temps de la crise, tout le monde s’est plié aux mesures les trouvant nécessaires. L’entièreté de la population ou presque, s’est docilement confinée chez soi.

Mais voilà qu’après les cartes blanches d’épidémiologistes, des virologues, des professeur.e.s de médecine ou encore des directeurs des CHU, voilà que les économistes sortent à nouveaux du bois pour parler de l’après Covid-19 et de ce trou immense, colossal, que dis-je incommensurable dans la croissance. Nous comptons les mort.e.s, eux comptent les points de PIB perdus. Honteux mais prévisible.

Déjà des propositions arrivent pour allonger les heures d’ouverture des magasins d’alimentation, raccourcir les vacances d’été, Jean-Luc Crucke (MR) va jusqu’à appeler les wallon.e.s à verser des dons dans une caisse de solidarité envers les entreprises, bref laissons les cadavres s’empiler, on a une crise économique à gérer ! Le mot d’ordre est simple, il faudra sauver la croissance ! Et pour cela toutes les mesures seront bonnes car, nous sommes dans une période de crise. Mais arrêtons-nous sur ce mot : crise.

Dans un superbe livre que je ne saurais que vous conseiller en ces temps troublés, le sociologue Zygmunt Bauman parle de la société liquide(1)Bauman, Z. (2007). Le présent liquide. Peurs et obsession sécuritaire, Seuil, 142p., c’est-à-dire une société qui se serait aplanie, insécurisée notamment à cause de l’ordre néo-libéral. Sa thèse est simple, avec l’accélération de l’information, la désagrégation de l’État providence et la marche triomphante du capitalisme, nos sociétés sont devenues liquides, il est nécessaire pour l’individu de s’adapter sans cesse au changement et d’être toujours plus flexible. En bref on nous a imposé le changement constant.

Je fais donc une hypothèse : dans un monde qui ne cesse de changer et de modifier les règles du jeu, il n’existe plus de « normalité ». Ou si on le préfère, tout est crise, crise du chômage, crise de la délinquance, crise de l’habitat, crise des subprimes, crise de l’accueil des réfugié.e.s etc. nous sommes donc dans un état de crise permanent. Dès lors, nous ferions mieux de nous attendre à de plus en plus de « mesures inédites » et aux « gouvernements spéciaux » car ces derniers sont appelés à se reproduire. Sous prétexte de l’urgence, ils se détournent de l’ordre démocratique toujours un peu plus.

N’oublions pas non plus que les mesures d’urgences ne s’arrêteront pas à l’urgence, mais continueront de s’appliquer après et serviront de bases aux prochaines mesures des prochaines crises. Pour vous en persuader, comptez le nombre de militaires encore présents dans les rues alors que le risque d’attentat est considérablement revu à la baisse par l’OCAM. Aucun peuple ne se réveille du jour au lendemain dans un état autoritaire, il y sombre simplement chaque jour un peu plus jusqu’à ce que l’évidence soit tellement criante qu’il n’est plus possible de la nier. Nous réveillerons-nous à temps ?

Le but de ce gouvernement minoritaire est certes de gérer la crise, mais également d’appliquer son programme idéologique pendant et après la crise. Trois mois de confiance, renouvelables, c’est suffisant pour faire passer un nombre conséquent de lois allant à l’encontre de nos libertés collectives et individuelles. Ce gouvernement n’hésitera pas une seule seconde à sacrifier les travailleurs/euses pour le bien de l’économie. Ne l’oublions pas. Ce qu’ils/elles font pour nous protéger aujourd’hui, ils/elles entendent bien l’utiliser comme levier demain pour nous faire payer l’addition d’une crise que nous n’avons pas créée, pire une crise que nous subissons depuis des années.

L’ensemble du monde politique est responsable de cette situation, responsable d’avoir courbé l’échine devant une idéologie triomphante, d’avoir, à “gauche” comme à droite considéré notre bonheur à l’aune du PIB. Aujourd’hui, tous ou presque se rassemblent derrière l’Union sacrée contre le Covid-19. Mais demain, nos droits, nos conquêtes sociales seront encore bafoués avec toujours plus d’aisance. Demain, le capital reprendra sa course effrénée pour le profit, et c’est nous qui en paierons encore le prix. La sécurité sociale est la conquête la plus précieuse que nous ont laissé des décennies de luttes ouvrières. Il ne s’agit plus de la défendre, il s’agit de repartir au combat. Il s’agit enfin de regarder la vérité en face. Rien n’ira mieux, aucun homme ni aucune femme providentielle ne viendra à notre secours pour solutionner la situation car ils/elles en sont, en bonne partie, responsables.

Ce monde liquide et insécuritaire, nous pouvons le changer. En repartant de la base, en comptant sur nos propres forces, en repartant des solidarités locales qui ont éclos un peu partout depuis le déclenchement de cette crise, nous pouvons rebâtir une sécurité sociale, une société à notre image, au bénéfice de celles et ceux qui font la société au jour le jour par leur travail, et non au profit de ceux qui s’enrichissent par l’exploitation du travail d’autrui.

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