Nous republions ci-dessous, la carte blanche publiée dans Le Soir ce 21 septembre 2021.


Le 19 octobre 2015, 17 grévistes et manifestants avaient été arrêtés à hauteur du Pont de Cheratte (alors en travaux), puis condamnés pour « entrave méchante à la circulation ». Aujourd’hui s’ouvre leur procès en appel. Plusieurs personnalités les soutiennent.

Ce 21 septembre, s’ouvre à la Cour d’Appel de Liège le procès de 17 syndicalistes, citoyennes, citoyens, militantes, militants et responsables de la FGTB : Didier, David, Grégory, Edouard, Hoang, Gianni, Simone, Gianni, Bruno, Antoni, Fabian, Sebastian-Angel, Francesco, Karin, Antonio, Thierry et Maria-Esmeralda. Pour nous, ce ne sont pas des anonymes.

Le 23 novembre 2020, la 17e chambre du Tribunal de première instance de Liège les avait condamnés à 15 jours d’emprisonnement avec sursis et une amende de 300 euros(1)https://plus.lesoir.be/339507/article/2020-11-23/prison-avec-sursis-pour-17-syndicalistes-liegeois?referer=%2Farchives%2Frecherche%3Fdatefilter%3Dlast5year%26sort%3Ddate%2520desc%26word%3DFGTB%2520cheratte. Pour les responsables syndicaux, le « tarif » était doublé.

Qu’est-ce qui motive ces peines ? Leur présence, le 19 octobre 2015, jour de grève générale décrétée par la seule FGTB, sur l’autoroute Roi Baudouin, à hauteur du Pont de Cheratte alors en travaux. Les trois magistrats liégeois ont estimé qu’il s’agissait là d’une « entrave méchante à la circulation ».

Ce jour-là, il y avait partout en Belgique, dans les rues, aux abords des zonings, devant les grilles des usines, des dizaines de milliers de grévistes manifestant une colère et leur rage de n’être pas entendus par un gouvernement très peu représentatif des travailleurs et des Wallons/francophones singulièrement. Plusieurs manifestations fédérales en front commun syndical avaient déjà rassemblé plus de 100.000 personnes pour dire non à l’allongement des carrières, non aux coupes sombres dans les budgets de la sécurité sociale et des services publics…

Des lanceurs d’alerte jugés

La crise du covid comme la tragédie des inondations de cet été témoignent que ces cris d’alarme n’avaient rien de négligeable… Ce 21 septembre, la Cour va juger des lanceurs d’alerte…

Ce 19 octobre 2015, ils étaient donc des centaines sur l’A40 près de Cheratte. Ils ont été salis, accusés d’homicide involontaire. Ils ont été lavés de ces ignominies par la justice de ce pays et les procès médiatiques se sont heureusement tous dégonflés. Finalement, dix-sept manifestants ont été condamnés pour « entrave méchante à la circulation ». Pourquoi eux ? Parce qu’ils ont été reconnus et identifiés sur des images de journaux et de réseaux sociaux. Qu’ont-ils entravé puisque la circulation était à l’arrêt ? Avec quelle méchanceté ? Ces questions restent à l’ordre du jour du recours en Appel.

Alors que nous célébrons cette année le centième anniversaire de l’abrogation de l’article 310 du Code pénal qui réprimait l’exercice de la grève, la 17e chambre du Tribunal de Liège en doublant ses peines pour les « meneurs », nous a remis en bouche le goût amer de la loi Le Chapelier (et sa suite, l’article 415 du Code Pénal de… 1810). Elle interdisait, au lendemain de la Révolution française, les coalitions ouvrières. En prétendant ne pas faire le procès du droit de grève, les juges liégeois ont pourtant culpabilisé, à travers ses responsables, l’organisation syndicale elle-même. Ce 21 septembre, la Cour aura donc la responsabilité de redéfinir, ou non, le droit de grève et les modalités de son exercice.

Les libertés syndicales menacées

C’est peu dire que la Belgique a cessé d’occuper le haut du pavé dans les classements internationaux des droits et libertés syndicales. La liberté d’association comme le droit de manifester sont menacés chez nous. L’arrêt à venir sera lu sous cet éclairage également.

Depuis la condamnation de novembre 2020, le contexte politique et social a évolué et les potions magiques du gouvernement Michel ne font plus recette. Et puis, il y a ce bout d’interview(2)https://plus.lesoir.be/341838/article/2020-12-05/egbert-lachaert-vld-un-relachement-avant-fevrier-nest-pas-prudent?referer=%2Farchives%2Frecherche%3Fdatefilter%3Dlast5year%26sort%3Ddate%2Bdesc%26word%3Dlachaert%2Bsyndicats%2Bsu%25C3%25A9doise accordé au Soir (6/12/20) dans lequel le président du VLD laisse choir comme une évidence : « Nous, libéraux, avons nos idées, peut-être les syndicats ont aussi des idées, il faut dialoguer et chercher des accords (…) Il ne faut pas faire la guerre avec les syndicats, comme c’était le cas sous la Suédoise… » La « guerre » avec les syndicats ! De cet aveu d’Egbert Lachaert lui-même, la Cour d’Appel de Liège ouvrirait ainsi, ce 21 septembre, un procès de « Résistants ».

« N’oublions jamais ce que nous apprend le temps qui passe, écrit Léonard Vincent (Eloge de la grève, éd. Don Quichotte/Seuil), la grève est un geste de haute civilisation. » (…) « Se réveiller les mains vides est une constance depuis que les humains travaillent. S’insoumettre nous vient de la profondeur du temps, comme l’amitié, comme la main tendue à celui qui est tombé, comme les voyageurs perdus se partageant un fruit en plein désert ; c’est un acte sans origine… »

Le 21 septembre, en jugeant du comportement de grévistes, la Cour d’Appel dira quels citoyens, quelles citoyennes, et quelle insoumission est devenue ou pas « hors-la-loi » dans notre société.

Pour ce qui nous concerne, nous sommes et resterons du côté des « 17 du Pont de Cheratte ». Nous sommes aussi de ceux que la Cour va juger… Même si nous n’étions pas sur les images du 19 octobre 2015.

Signataires : Agnès Lejeune (Réalisatrice), Christine Mahy (Secrétaire générale du Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté), Isabelle Ferreras (Maître de recherches du FNRS, Professeure à l’Université de Louvain, Présidente de l’Académie royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique), Sybille Mertens (Professeure à l’Université de Liège – HEC, Directrice de recherches au Centre d’Economie Sociale), Arnaud Zacharie (Secrétaire général du Centre National de Coopération et Développement – CNCD, et Maître de conférences à l’Université Libre de Bruxelles et à l’Université de Liège), Christian Jonet (Acteur associatif), Fabrice Lamproye (Co-fondateur et programmateur du Festival Les Ardentes, du Ronquière Festival et du Festival de Jazz à Liège et du Réflektor, Fondateur du label de production musicale Flakmusique), Fabrice Murgia (Acteur et Metteur en scène, Directeur du Théâtre National, Directeur de la Compagnie Artara), Jean-Louis Colinet (Acteur et Metteur en scène, Directeur du Festival de Liège), Jean-Pascal Labille (Secrétaire général de Solidaris, Chargé de cours à l’Université de Liège – HEC, Président de P&V Assurances, Président de la Fondation Ceci n’est pas une crise), Jean-Pierre Dardenne (Réalisateur), Luc Dardenne (Réalisateur), Michel Genet (Directeur général de Médecins du Monde), Pierre Heldenbergh (Acteur associatif), Pierre Verjans (Professeur à l’Université de Liège, et habitant de Cheratte), Robert Neys (Journaliste), Thierry Michel (Réalisateur).

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