En mars 1999, s’ouvrait, à Vottem, le centre fermé pour étrangers. Et depuis, chaque année, le CRACPE (Collectif de Résistance Aux Centres Pour Étrangers) organise une marche vers cette prison spéciale, avec la même rage au cœur : « Vottem, camp de la honte, on ne l’accepte toujours pas » ! De même, le 24 décembre de chaque année, le CRACPE appelle à un rassemblement devant ce lieu de non-droit, dont les grillages avec barbelés sont, pour la circonstance, éclairés par des bougies : « Éclairons la face honteuse de la politique d’asile et d’immigration de nos gouvernements » !

Pour le 25ème anniversaire de ce lieu de « détention administrative » arbitraire, le CRACPE tient tout particulièrement à ce que la manifestation annuelle, qui aura lieu ce dimanche 14 avril, revête une dimension nationale [le rendez-vous est fixé à 14h à la Place Saint-Lambert à Liège, plus d’infos ici…] Car, alors que depuis 1988, ce sont six centres fermés qui ont été mis en place, aujourd’hui le gouvernement Vivaldi a marqué son accord pour la mise en place de trois nouveaux centres fermés et d’un centre de départ. Paul Magnette (PS), en tant que bourgmestre de Charleroi, a même accepté la construction d’un nouveau centre à Jumet ! (1)Un appel à manifestation a également été lancé pour ce mercredi 10 avril 2024 à 17h30 à Jumet : Stop aux Centres Fermés, pour une Politique migratoire respectueuse des Droits Humains ! Plus d’infos ici…

Le gouvernement Vivaldi a marqué son accord pour la mise en place de trois nouveaux centres fermés et d’un centre de départ.

La Gauche anticapitaliste, dont les militant·es sont investi·es dans les comités de soutien aux sans-papiers, se devait d’interviewer notre camarade France Arets, active depuis des années dans le CRACPE et le Collectif Liégeois de Soutien aux Sans-Papiers.

Gauche anticapitaliste : Les personnes enfermées à Vottem ou dans d’autres centres fermés nous disent : « Nous ne sommes pas des criminels » ! Les personnes, interpelées dans le cadre d’un délit ou d’un crime, sont jugées et envoyées en prison. Les personnes enfermées à Vottem ou dans d’autres centres fermés ne se retrouvent pas là suite à un délit, elles sont placées là, en détention, suite à une décision administrative de l’Office des étrangers. Qui sont ces personnes enfermées pour une durée indéterminée ? Pourquoi sont-elles détenues dans ces prisons « spéciales » ? Que deviennent-elles ?

France Arets : Les personnes détenues dans les centres fermés sont le plus souvent des demandeurs et demandeuses d’asile dont la demande a été rejetée, et qui sont resté·es ici car ils/elles n’avaient pas d’autre choix, fuyant les insécurités de leurs pays d’origine. Il faut savoir que l’État belge applique de façon très restrictive la Convention de Genève qui établit un droit d’asile pour les personnes victimes de différentes persécutions. En effet, les interviews à l’Office des Étrangers et au Commissariat général aux réfugiés et apatrides (CGRA) sont très compliquées. La/le candidat·e réfugié·e est d’abord considéré·e comme suspect·e, fraudeur·euse, il/elle doit apporter des preuves des persécutions subies, ce qui est souvent très difficile, lorsqu’on quitte son pays en urgence en fuyant une dictature, ou par exemple lorsque l’on est une femme victime de violences, ou en cas de persécutions homophobe etc. Aujourd’hui près de 60% des candidat·es au statut de réfugié·e obtiennent une réponse négative.

D’autres sont des étudiant·es arrivé·es ici dont le séjour n’a pas été prolongé. D’autres sont des personnes qui n’ont pu obtenir le regroupement familial avec leur famille, parce que celles-ci ne disposaient pas de revenus suffisants (aux yeux de la loi belge !) D’autres aussi sont venu·es ici pour travailler, offrant leurs compétences, et n’ont pu obtenir de séjour, parce que les voies légales à l’immigration sont extrêmement restreintes.

Enfin, oui il y a bien dans les centres fermés des personnes qui ont commis des délits, une minorité, qui ont été jugées et ont purgé leur peine en prison, mais qui ensuite se retrouvent en centre fermé parce que sans titre de séjour, ou ayant perdu leur titre de séjour, c’est une double peine ! Parmi les catégories que l’on retrouve dans les centres, il y a beaucoup de « Dubliné·es », personnes qui ont été identifiées lors de leur entrée dans l’Union européenne (UE) dans un autre pays, que l’on veut renvoyer vers ce pays d’entrée, alors qu’elles ont leur famille, leurs proches ici.

Depuis des années, les collectifs de soutien aux sans papiers demandent la mise sur pied d’une commission indépendante pour auditionner les candidats à une régularisation du séjour. Pourquoi une telle demande ? Et qu’en est-il jusqu’à présent ?

Actuellement c’est l’Office des Étrangers qui traite les demandes de régularisation de séjour. Il s’agit de demandes de régularisation introduites par des personnes qui vivent depuis longtemps ici, ont suivi des formations, sont intégrées dans la vie locale, ont même souvent travaillé, ou travaillent encore dans des conditions précaires, ont des enfants nés ici et scolarisés. D’autres demandes se font pour raisons médicales.

2/3 de ces demandes sont rejetées. En 2000, il y a eu une régularisation importante sur base des attaches durables principalement. Les dossiers ont été traités par des chambres de régularisation composées par des magistrats, des représentants d’ONG, des syndicats. Nous nous référons à cet exemple qui a eu des résultats très positifs, à l’époque. Nous n’avons plus confiance en l’Office des Étrangers qui traite les demandes de façon totalement arbitraire, parfois même ne tient aucun compte du fond des dossiers en répondant simplement : « Retournez dans votre pays et refaites une demande à partir de là-bas », ce qui est quasiment impossible !

« L’Union européenne défend ses valeurs », déclare Charles Michel, Président du Conseil européen. Mais, en même temps, l’UE et ses États membres prennent des mesures de plus en plus agressives pour verrouiller la forteresse Europe, pour refouler immigré·es et demandeur·euses d’asile. Quitte à violer systématiquement les libertés et les droits fondamentaux en matière d’immigration et d’asile, à faire le gros dos devant les condamnations de la Cour européenne des Droits humains et baliser le chemin à l’extrême-droite. Comment expliques-tu cette situation ?

Le nouveau Pacte sur l’immigration et l’asile qui doit être avalisé très prochainement par l’UE, sous la présidence belge qui est celle du moment, prévoit une externalisation des demandes d’asile, avec des hot spots, camps pour demandeur·euses d’asile, aux frontières extérieures, afin de trier les demandes. Les hot spots existent déjà, en Grèce, en Italie ; ils seront maintenant généralisés aux frontières extérieures de l’UE et deviendront des centres fermés, y compris pour les familles. Frontex sera renforcée pour refouler à partir des pays de transit : Libye, Tunisie, Égypte, Niger. Des accords se négocient pour l’instant avec l’Égypte à l’image de celui conclu avec la Turquie dès 2015 : des compensations financières de l’UE pour contenir les réfugié·es arrivant dans le pays, et leur bloquer l’accès à l’Union européenne.

Par rapport à toute cette politique, je souhaite souligner quatre éléments. Le premier est qu’il s’agit du déni total des Droits Humains : le droit d’asile, la liberté de circulation et d’installation. Le deuxième est que je constate, comme beaucoup d’autres, que le discours de l’extrême-droite percole dans tous les partis « traditionnels » en Europe, pour séduire l’électorat, on renforce les préjugés : l’étranger est dangereux, voire terroriste potentiel… En faisant cela, on ne fait que renforcer l’extrême-droite, ceux qui souscriront à ce discours voteront pour celui qui le défend le mieux.

Le nouveau Pacte sur l’immigration et l’asile qui doit être avalisé très prochainement par l’UE, sous la présidence belge qui est celle du moment, prévoit une externalisation des demandes d’asile, avec des hot spots, camps pour demandeur·euses d’asile, aux frontières extérieures, afin de trier les demandes.

Le troisième est que plus on fermera les frontières européennes, plus les personnes emprunteront des itinéraires différents et dangereux car elles doivent partir, n’ont pas d’autre choix. Ce sont encore des milliers qui perdront la vie en Méditerranée ou dans d’autres mers, d’autres lieux, dans des camions frigorifiques… Enfin, au bout du compte, et au vu de ce que j’ai expliqué précédemment quant au traitement des demandes de titres de séjour, il y aura toujours beaucoup de « sans-papiers » dans les différents pays de l’UE. Ils/elles seront exploité·es dans la construction, l’agriculture, l’Horeca, le textile, les services aux personnes dans les différents pays de l’UE, au grand bénéfice du patronat, et avec la complicité des gouvernements. (2)À ce sujet, la Formation Léon Lesoil organise deux rencontres avec Daniel Veron, auteur du livre Le travail migrant, l’autre délocalisation, mercredi 17 avril à Bruxelles et jeudi 18 avril à Mons.

La Belgique n’est pas en reste. Le nouveau projet de loi de Nicole De Moor, Secrétaire d’État à l’Asile et la Migration, s’inscrit dans la ligne de ce Pacte européen sur l’Asile et la Migration dont un des objectifs est le durcissement, l’implication de la politique de retour. Les personnes qui ont reçu un ordre de quitter le territoire, et peu importe qu’elles aient introduit un recours, devront collaborer à leur retour. Sinon… ! Où en est-on avec ce projet de loi ?

Ce projet prévoit que les personnes qui ne collaborent pas à un retour « volontaire » se voient ensuite désignées à un retour forcé en étant soit détenues dans un centre fermé soit assignées à domicile ! Il prévoit aussi l’obligation de se soumettre à des examens médicaux, si le pays de retour l’exige, ce qui est dénoncé par de nombreux médecins, dont l’ONG Médecins du Monde. Il prévoit un renforcement des équipes qui expulsent par des agents de FRONTEX.

Il a été renvoyé au Conseil d’État, suite à des démarches de l’opposition : des Engagés et du PTB qui ont vu les dangers ; mais aussi de la N-VA et du Vlaams Belang parce que ce projet incluait également d’inscrire dans la loi l’interdiction de détention des enfants. Ecolo et le PS nous disent qu’il fallait que ce projet soit adopté pour éviter à l’avenir toute détention d’enfants. Mais il ne nous semble pas acceptable de voter un tel projet , qui va augmenter le nombre d’expulsions pour cette seule raison. On n’enfermerait plus les enfants, ce qui est déjà le cas, mais n’est toujours pas inscrit dans la loi, mais on expulserait leur père, par exemple !

Mais étant donné la proximité des élections, il est possible que ce projet ne soit pas adopté.

Tiens ! On n’entend pas beaucoup le patronat à propos de ces dizaines de milliers de personnes sans papiers, sans droits…

Non, parce que cela arrange beaucoup de patrons d’avoir une main d’œuvre disponible, que l’on paie au rabais, que l’on exploite, et que l’on jette, dès que l’on en n’en a plus besoin. Par contre quelques patrons, de petits indépendants, se battent pour obtenir le séjour légal de demandeur·euses d’asile qui ont travaillé pour elles/eux, légalement, pendant la période de leur demande d’asile, et puis ont perdu le droit de travailler une fois le droit de séjour refusé. À Liège nous avons pu entendre récemment, lors de l’événement « Tissons des liens, pas des menottes », le témoignage d’un entrepreneur du secteur de la construction, solidaire, qui nous disait qu’il fallait que les personnes en séjour illégal puissent demander le permis de travail unique même si elles n’avaient plus de titre de séjour, en fonction de leurs formations, diplômes, et du travail qu’elles occupaient.

« 25 ans, Vottem, je ne l’accepte toujours pas » ! Va-t-on continuer à crier cela, même un peu plus fort ? Va-t-on en rester à marcher ici ou là, à organiser également l’une ou l’autre manifestation nationale, en exigeant la suppression des centres fermés pour étrangers, le respect du droit d’asile, la liberté de circulation et surtout la régularisation des sans-papiers, bref des revendications humanistes ? En faisant l’amère constatation que, du côté politique, rien ne bouge à ce propos. Que du contraire !

Bien sûr, on continue, il y a un large réseau associatif et citoyen qui soutient, une quarantaine d’associations coorganisent cette manifestation à Vottem du 14 avril ! De nombreux collectifs de sans-papiers ou de soutien interpellent les politiques, et vont amplifier ces interpellations à propos des élections. Beaucoup d’entre eux mènent des actions de sensibilisation. On ne baisse pas les bras, et on espère faire bouger les choses. Il faudrait sans doute des actions nationales d’envergure, voire européennes, ce sont des mobilisations à construire en urgence !

Propos recueillis par Denis Horman

Illustration : Événement facebook de la manifestation.

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