Joseph Daher explique pourquoi se réjouir de l’assassinat de Nasrallah par Israël relève d’une approche à courte vue lorsqu’il s’agit de la lutte des Syrien·ne·s contre le régime d’Assad.
Dans la soirée du 28 septembre 2024, dans les camps du nord-ouest de la Syrie, des Syrien·ne·s distribuent des friandises pour fêter l’assassinat du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, et d’autres commandants lors d’une frappe aérienne israélienne [GETTY]
L’escalade de la violence au Liban et l’assassinat par Israël de plusieurs chefs militaires et politiques du Hezbollah, dont son secrétaire général depuis de longues années, Hassan Nasrallah, ont donné lieu à de nombreux débats sur la nature et la trajectoire politique du Hezbollah. Cela a également fait ressortir l’importante question du droit à la résistance, en particulier dans le contexte actuel.
Les points de vue très divergents sur le Hezbollah se sont manifestés de manière frappante dans les scènes qui ont suivi l’assassinat de Nasrallah. D’un côté, les membres, les amis et les alliés du parti ont manifesté leur tristesse et leur chagrin, tandis que, de l’autre, on pouvait voir sur les réseaux sociaux des Syrien·ne·s des régions du nord-ouest contrôlées par l’opposition distribuer des friandises en signe de fête. Certains partisans de la révolution syrienne ont également exprimé leur joie lors du bombardement massif de Dahiyeh (sud de Beyrouth) par les Israéliens.
Ces réactions sont en grande partie imputables au rôle du Hezbollah, qui a aidé le régime syrien à écraser le soulèvement populaire, à faire subir des sièges de villes comme Madaya, à déplacer de force des civils et à commettre diverses autres violations des droits humains à l’encontre des populations civiles. En outre, de nombreux Syrien·ne·s se sont souvenus que ce sont des membres et des sympathisants du Hezbollah qui ont distribué des friandises à Dahiyeh à l’été 2013, après la prise de la ville d’al-Qusair (province de Homs) par l’armée syrienne et le Hezbollah face à des groupes de l’opposition armée syrienne.
Si l’on peut concevoir les réactions positives à cet assassinat de la part de Syrien·ne·s opposé·e·s au régime syrien comme une manifestation de vengeance en raison de la complicité du Hezbollah, le contexte qui entoure le moment présent a son importance. Il faut être clair, la guerre d’Israël contre le Liban n’a en rien pour but de servir la cause de la liberté des Syrien·ne·s ou de toute autre population de la région qui souffre sous le joug d’un État autoritaire.
Un nouveau Moyen-Orient
Les récentes campagnes de bombardement d’Israël au Liban, soutenues par les États-Unis, se sont déroulées dans un contexte de génocide continu à Gaza et d’annexion de la Cisjordanie et n’ont pas épargné qui que ce soit. Plus de 2000 personnes ont été tuées, des milliers d’autres sont blessées et des destructions considérables ont été causées. Sans compter le déplacement de 1,2 million de personnes en moins d’un mois. Dans sa volonté de réoccuper les territoires du Sud-Liban au moyen d’offensives terrestres, l’armée d’occupation israélienne provoque également des destructions à grande échelle.
En outre, les responsables israéliens, de Netanyahou au porte-parole Avichay Adraee qui est à la tête de la division des médias arabes de l’armée d’occupation israélienne, ont tenté de susciter et de nourrir des tensions intercommunautaires au sein de la population libanaise dans le but de faire éclater une éventuelle guerre civile. Par exemple, il y a quelques jours, Israël a lancé des frappes sur le village d’Aito, où vivent principalement des populations chrétiennes et où ont été recueillies des personnes originaires de régions du pays à majorité chiite . Le bombardement a fait au moins 22 morts. C’était une tentative d’attiser les tensions intercommunautaires au sein de la population libanaise.
Plus largement, les plans de Netanyahou sont clairs : un nouveau Moyen-Orient qui s’incline devant les États-Unis et Israël, contraint de se soumettre à une violence brutale. Cette stratégie ne laisse place à aucune perspective de démocratie et de justice ni pour les Syrien.n.es, ni pour les classes populaires de l’ensemble de la région, bien au contraire.
En réalité, Israël ne souhaitait pas le renversement du régime syrien et, en juillet 2018, Netanyahou a fait savoir qu’il n’avait aucune objection à ce qu’Assad reprenne le contrôle du pays et stabilise son pouvoir. Il a déclaré qu’Israël n’agirait que contre des menaces ressenties comme telles, tels que les forces armées et l’influence de l’Iran et du Hezbollah, en précisant: « Nous n’avons jamais eu de problème avec le régime d’Assad, depuis 40 ans pas une seule balle n’a été tirée en direction du plateau du Golan ».
Les terroristes d’Assad
En outre, Israël n’a cessé de justifier ces campagnes de bombardements impitoyables contre des zones civiles à Gaza et au Liban en affirmant que des membres ou des infrastructures du Hamas ou du Hezbollah s’y trouvaient. Cependant, pour Israël, tous les civils de ces régions sont considérés comme des soutiens et, par extension, qualifiés de « terroristes ». En fait, les médias occidentaux, qui ont aidé et encouragé cette guerre, font écho à la propagande israélienne en décrivant continuellement ces zones comme des bastions du Hezbollah ou du Hamas.
De la même manière, le régime syrien a massivement bombardé les zones tenues par l’opposition afin de provoquer des destructions massives, y compris des pertes humaines, et de déplacer la population locale opposée au régime afin de la forcer à se réfugier dans les régions qu’il contrôle. Ils ont détruit les infrastructures de l’opposition et interrompu ses lignes d’approvisionnement, notamment en prenant délibérément pour cible les hôpitaux, les écoles, les marchés et les civils.
Empêcher l’accès des civils aux biens et services de première nécessité, y compris l’aide humanitaire, était une autre tactique largement utilisée pour obtenir le déplacement forcé ou la renonciation éventuelle de l’opposition à son territoire et à sa population. Le régime a également justifié sa campagne en disant qu’il luttait contre des « terroristes djihadistes ».
Le droit de résister
La guerre d’Israël contre la Palestine et le Liban n’a pas pour but de promouvoir la « paix » ou de « libérer » les populations locales du Hezbollah ou du Hamas, mais de poursuivre ses objectifs historiques en tant qu’État colonial de peuplement visant à éliminer les Palestiniens par la poursuite de la Nakba et à consolider un ordre régional servant les intérêts impériaux des États-Unis. Ces objectifs constituent une menace mortelle pour l’ensemble de la région, et cela sans qu’il y ait d’exception.
Dans cette optique, les Palestiniens et les Libanais ont le droit de résister à la violence de l’État d’apartheid raciste et colonial d’Israël, y compris par la résistance militaire. Cela englobe le droit de résistance du Hezbollah et du Hamas, qui sont les principaux acteurs impliqués dans la confrontation armée avec l’armée d’occupation israélienne.
Car enfin, les Syrien·ne·s n’avaient-iels pas le droit de se défendre contre l’offensive militaire menée par les forces pro-régime soutenues par des milliers de combattants étrangers dirigés par l’Iran et le Hezbollah, avec l’aide de l’aviation russe, pour réoccuper Alep-est en 2016 ? Oui, car il s’agissait de s’opposer à une guerre contre les civils à Alep-Est et ailleurs, indépendamment de la nature réactionnaire de certaines composantes des groupes armés de l’opposition.
Cependant, il ne faut pas confondre la défense du droit des peuples à résister à l’oppression avec le soutien aux projets politiques du Hezbollah ou du Hamas, ou la conviction que ces partis peuvent mener à bien la libération de la Palestine. De la même façon, toute critique de ces partis politiques ne doit pas être interprétée comme une « promotion » de la propagande israélienne ou une prise de position en faveur des alliés des États-Unis.
Si le soutien n’est pas critique, il devient une forme passive de solidarité qui se borne à louer le Hezbollah et, souvent, son principal soutien, l’Iran. Une telle perspective restreinte se transforme plutôt en un obstacle à l’élargissement du mouvement de résistance populaire à la guerre d’Israël contre le Liban et/ou aux efforts visant à mettre en place une solidarité régionale et internationale.
En effet, l’une des raisons de l’isolement croissant du Hezbollah est sa défense du système politique confessionnel et néolibéral au Liban, et le fait qu’il agit au service des intérêts de l’Iran, y compris en contribuant à la survie du régime syrien.
Enfin, les divergences de vues sur l’assassinat de Nasrallah ont démontré l’absence flagrante d’un bloc démocratique et progressiste indépendant capable de s’organiser et de s’opposer clairement aux guerres d’Israël ainsi qu’aux intérêts impérialistes occidentaux, tout en affirmant sa solidarité avec tous les peuples opprimés de la région contre tous les régimes autoritaires et tous les ordres politiques injustes.
Joseph Daher enseigne à l’université de Lausanne, en Suisse, et à l’université de Gand, en Belgique. Il est l’auteur de « Syria after the Uprisings », « l’économie politique de la résilience de l’État », « Hezbollah : l’économie politique du parti de Dieu au Liban », « Marxisme et Palestine ».
Publié le 18 octobre 2024 par le site The new arab
Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l’aide de DeepL, traduction revue par l’auteur.
Article repris de inprecor.
Photo : Des Syrien·ne·s dans les camps du nord-ouest de la Syrie distribuent des bonbons pour célébrer l’assassinat du chef du Hezbollah Hassan Nasrallah et d’autres commandants lors d’une frappe aérienne israélienne dans la soirée du 28 septembre 2024. © GETTY