Sous l’égide de Moscou, une nouvelle tentative de « conférence de paix », intitulée Congrès du dialogue national syrien, est prévue à Sotchi, sur les bords de la mer Noire en Russie les 29 et 30 janvier prochains afin de réunir les différents acteurs du conflit syrien. Mais les tensions avec les forces kurdes impliquées minent la discussion.
Fin décembre, l’envoyé spécial du Président russe Alexandre Lavrentiev avait pourtant déclaré que des représentants kurdes seraient invités, notamment du Conseil national kurde représentant plus d’une dizaine de partis kurde syriens et qui est soutenu par le Gouvernement régional du Kurdistan au nord de l’Irak dominé par la famille Barzani. Mais le gouvernement turc a fait pression pour que le Parti de l’Union démocratique (PYD), parti kurde syrien, ne soit pas présent. Ce dernier est considéré comme la branche syrienne du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) honni par la Turquie, listé comme organisation terroriste depuis 1984. Or, le PYD est la tête pensante des Unités de protection du peuple (YPG), formées à grande majorité par des Kurdes, force essentielle de la coalition des Forces démocratiques syriennes (FDS), moteur de la lutte contre Daech.
Avec l’aide des bombardements de la coalition internationale menée par les États-Unis, les FDS ont marqué une victoire cinglante en expulsant Daech de Raqqa en septembre 2017, et ce malgré un coût élevé aussi bien sur le plan humain (1 800 morts) que sur celui des infrastructures (80 % de la ville ont été détruits).
L’alliance militaire des FDS, dominée par les YPG, mais composée aussi d’Arabes, d’Assyriens et d’autres minorités ethniques de la région, compterait entre 25 000 et 50 000 combattants, avec une forte présence féminine (plusieurs milliers de volontaires).
Elle contrôlait, à la fin de l’année 2017, un peu plus de 25 % du territoire syrien. Elle a également développé des relations étroites avec les États-Unis et la Russie au cours des dernières années.
Les régions sous le contrôle des FDS sont gouvernées par des institutions dominées par le PYD qui a décrété la création de la Fédération démocratique de la Syrie du Nord, aussi connu sous le nom de Rojava, un territoire revendiquant une certaine autonomie vis-à-vis du pouvoir syrien sans remettre en cause l’unité du pays.
Si l’utilité militaire des Kurdes et, dans une plus large mesure, des FDS, est saluée par les États-Unis – et la Russie dans une moindre mesure – sur le plan politique, leur présence crée toujours la controverse au sein de la coalition internationale et dans la région.
Un parti kurde embarrassant
Depuis 2015, dans le cadre de l’intervention américaine contre Daech, l’administration Obama a d’abord soutenu les YPG, puis les FDS à leur création. Ces dernières sont rapidement devenues essentielles sur le terrain.
Moscou, de son côté, pour éviter toute confrontation violente entre les FDS menées par les forces kurdes des YPG et les forces armées turques, a créé des zones tampons dans certaines régions du nord du pays : Minbej en mars 2017 et Tall Rifaat en septembre 2017.
Or, malgré tous ses efforts sur le terrain et ces précautions stratégiques, le parti kurde syrien n’a pas reçu un traitement plus favorable de la part de la coalition internationale.
Ce n’est pourtant pas faute de mettre de nombreux moyens : le PYD a ainsi déployé une vaste propagande médiatique en investissant dans trois chaînes de télévision pour communiquer sur ses activités, et ce depuis le début du soulèvement populaire en Syrie, en 2011.
Pourtant, ni les États-Unis ni la Russie ne soutiennent l’agenda politique du mouvement, se contentant de lui apporter une aide exclusivement militaire dans la lutte contre Daech et pour stabiliser le pays dans le cadre des négociations de paix menées par l’ONU.
Fragile soutien américain
En effet, ne voulant pas encourager les ambitions autonomistes kurdes en Syrie considérées comme une menace importante pour le régime turc, Washington évite de fournir un soutien économique ou politique aux zones contrôlées par le parti kurde syrien
Si Washington tente d’apaiser Ankara en lui déclarant son soutien inconditionnel dans sa lutte contre le PKK (inscrit sur les listes terroristes des États-Unis et de l’UE), son attitude sur le terrain diffère quelque peu.
Ainsi, le 14 janvier 2018, la coalition dirigée par les États-Unis a annoncé qu’elle travaillait avec les FDS pour former une force de sécurité aux frontières afin de contrôler la frontière syrienne avec la Turquie et l’Irak. Les forces de sécurité aux frontières seraient directement commandées par les FDS et compteraient plus de 30 000 combattants, selon la coalition dirigée par les États-Unis. Le président turc Recepp Tayip Erdogan s’est empressé de dénoncer ces mesures suivi par les autorités syriennes, russes et iraniennes.
Les Forces démocratiques syriennes espèrent ainsi toujours un soutien américain sur le long terme, y compris après la défaite totale de Daech ou au cas où le régime d’Assad tenterait de reprendre le contrôle des régions qu’elles tiennent. Or, Washington n’a pour l’instant fait aucune promesse en ce sens.
Moscou freine les forces kurdes
De son côté, Moscou a exprimé à plusieurs reprises depuis 2015 la nécessité pour les forces kurdes des YPG de collaborer directement, et de manière plus systématique, avec les forces du régime syrien contre Daech.
Mais le rapprochement depuis l’été 2016 entre Recepp Tayip Erdogan et Vladimir Poutine n’a pas amélioré la situation. Ainsi, lors de l’« Opération Bouclier Euphrate » (lancée an août 2016), les forces armées turques sous couvert d’attaquer Daech ont aussi tenté de neutraliser les forces kurdes en Syrie.
La Russie avait soutenu cette campagne qui, certes, s’est achevée en mars 2017 sans pour autant mettre fin à la présence militaire turque. Ankara a ainsi pu établir une zone d’influence dans le nord de la Syrie en prenant le contrôle des villes de Jarablus et al-Bab, qui étaient auparavant sous occupation de l’EI.
La Russie n’a pas pu – ou pas voulu – également passer outre un veto turc sur la participation du parti kurde syrien aux pourparlers de paix de janvier 2017 dans la capitale du Kazakhstan, Astana, au cours desquels les représentants de l’opposition et du régime ont rejeté toute forme d’autonomie kurde. De même, ce parti n’a d’ailleurs jamais été convié aux conférences de paix de Genève.
En octobre 2017, l’armée turque s’est à nouveau déployé dans le nord de la Syrie, dans la province d’Idlib, en installant des postes d’observation et multipliant les menaces contre la région syrienne d’Afrin, place forte historique du parti kurde syrien. Le PYD a d’ailleurs publié un communiqué le 17 janvier 2018 appelant les grandes puissances à faire cesser les bombardements turcs.
Sur le plan diplomatique, les tentatives de dialogue organisées par Moscou dans la ville de Sotchi en novembre avaient du être reportées sous la pression d’Ankara qui refusait toute invitation aux représentants du parti kurde syrien.
Les velléités kurdes effraient
Au Proche-Orient, les aspirations nationales et autonomistes kurdes continuent d’effrayer. L’Iran s’aligne sur la Turquie et refuse de voir toute forme d’autonomie kurde en Syrie car cela renforcerait les velléités et aspirations de libertés de leurs propres populations kurdes. Ces dernières représentent environ 15 % de la population totale, soit 12 millions d’individus. La Turquie compterait environ 20 millions de Kurdes, soit quelque 25 % de la population totale. Dans les deux pays, la grande majorité des mouvements politiques kurdes sont opposés aux régimes en place et militent pour davantage de démocratie et plus d’autonomie dans les régions à majorité kurde.
Force est de constater que ces demandes sont accueillies par une répression massive en Turquie. En Iran, les mouvements kurdes soutiennent les manifestations actuelles contre le régime de Téhéran.
Damas suit la même logique en refusant d’accepter un acteur rival dans les territoires repris à l’EI, comme en témoigne la multiplication des affrontements avec les FDS depuis plusieurs mois. Mi-septembre, malgré le déni officiel de Moscou, les forces aériennes russes ont ciblé les FDS à l’est de l’Euphrate, en Syrie, près de Deir Zor.
Pour Bachar Al-Assad et son gouvernement, les FDS sont des « traîtres », une « force étrangère illégitime » soutenue par les États-Unis qu’il faut expulser.
Le régime d’Assad considère d’ailleurs Raqqa comme étant toujours une ville occupée et a promis de restaurer son autorité sur l’ensemble du territoire national. Les régions contrôlées par les FDS sont, de plus, riches en ressources naturelles, pétrole et agriculture.
Une issue positive est-elle possible ?
Malgré la prudence de certains cadres du parti kurde syrien envers le régime de Bachar-Al-Assad, l’un de ses représentants à Moscou, Abd Salam Muhammad Ali, a tout de même déclaré début décembre 2017 que les FDS pourraient être intégrées dans l’armée syrienne si une solution politique satisfaisante était trouvée auprès de toutes les parties, ce qui reste peu probable.
L’échec cuisant très récent du référendum au Kurdistan irakien ignoré des grandes puissances a ainsi rappelé la fragilité de l’espoir kurde et leur rôle avant tout fonctionnel sur l’échiquier politique. Plus largement, la situation des Forces démocratiques syriennes reflète la faiblesse de l’ensemble des acteurs démocratiques en Syrie face au regain de puissance du régime de Bachar Al-Assad soutenu par ses alliés.
Article publié sur The Conversation