Notre site s’est déjà fait l’écho de l’appel à organiser en 2018 une « grève pour le climat ». Signé par plusieurs centaines de personnes, ce texte souligne l’importance de mettre le poids du monde du travail dans la balance, afin d’éviter que le réchauffement provoque une catastrophe écologique et sociale de trop grande ampleur, dont les pauvres seraient (sont déjà) les principales victimes. Le 18 avril dernier, « grève pour le climat » et Attac-Liège co-organisaient une conférence-débat qui a permis à une trentaine de personnes de discuter les enjeux et la faisabilité d’une grève pour le climat. La soirée était introduite par Pierre Ozer (professeur à l’Université de Liège, spécialiste des migrations climatiques), notre camarade Daniel Tanuro (militant écosocialiste) et l’initiatrice de l’appel « grève pour le climat », Stéphanie Grisard. Nous reproduisons ici, avec son aimable autorisation, le texte de l’intervention de Stéphanie.

Intervention lors d’une conférence « capitalisme et réchauffement climatique », Université de Liège, 18 avril 2018. Stéphanie Grisard, initiative ‘grève pour le climat’ – plus d’infos sur grevepourleclimat.be

Nous appelons à faire une grève pour le climat mais nous devrions d’emblée dire que nous voulons faire une grève pour le climat et la biosphère. La biosphère, comme étant l’ensemble des organismes vivants et leurs milieux de vie, donc la totalité des écosystèmes présents. En effet, ils subissent déjà de plein fouet les conséquences d’une certaine activité humaine que sont notamment le réchauffement climatique, l’acidification des océans, ou l’extinction de masse des espèces.

Ne prenons qu’un exemple parmi d’autres, ces dernières semaines, de nombreuses publications font le constat désolant d’une diminution drastique de la population d’oiseaux. En quinze ans, un tiers de la population des oiseaux aurait disparu en France. Un signe de plus que la sixième extinction des espèces s’accélère. Les observations que nous pouvons faire dans nos campagnes sont identiques partout sur la planète. De nombreuses espèces sont menacées aujourd’hui par la pollution, la chasse ou la pêche intensive, la réduction des espaces naturels mais aussi par ce qu’on peut appeler l’effet « mauvais timing » lié au dérèglement climatique. Nous pouvons prendre l’exemple des oiseaux passereaux qui nourrissent leur progéniture de chenilles, au moment où elles sont le plus haut. De nos jours, le printemps arrive souvent plus tôt, ce qui fait que l’éclosion des œufs de chenilles se produit également de façon plus précoce mais les oiseaux trouvent alors moins de chenilles à la naissance de leurs petits, ce qui entraîne une séries de conséquences impactant leur capacité de survie à long terme.1 Si je parle des oiseaux et de l’extinction des espèces, c’est parce que chaque élément de notre biosphère influence les autres.

Aujourd’hui, ce qu’il faudrait en fait appeler le « dérèglement climatique » est bien modélisé et compris, de telle sorte qu’une série de prévisions sont hautement probables.

Selon le GIEC (Groupe d’experts intergouvernementaux sur l’évolution du climat), dont les prévisions sont régulièrement revues à la hausse, la trajectoire actuelle conduit à un réchauffement de + 3° à + 4° par rapport à 1880 d’ici la fin du 21e siècle. Les impacts des changements climatiques sont déjà en cours et les humains, parmi les autres espèces, en sont les victimes bien réelles. En effet, de nombreuses régions voient leurs cycles hydrologiques perturbés, ce qui met en péril l’approvisionnement en eau potable. Par l’acidification des océans, la submersion des îles du Pacifique Sud, le déracinement de réfugiés climatiques en Afrique et dans le sous-continent indien et par la recrudescence des tempêtes et ouragans, l’écocide en cours violente l’ensemble des êtres vivants, des écosystèmes et des sociétés, menaçant les droits des générations futures. Des zones en bord de mer et de faible altitude où vivent des millions de personnes sont déjà menacées par l’élévation du niveau des mers.

Malgré la prise de conscience de ces phénomènes, les perspectives ne sont guère réjouissantes pour l’ensemble des humains et des êtres vivants. . En effet, les températures devraient continuer à augmenter, tout comme le nombre de canicules et de phénomènes climatiques extrêmes. L’océan devrait continuer à se réchauffer et à s’acidifier, ce qui met en danger l’ensemble des écosystèmes marins. Les glaciers devraient continuer à fondre. Il y a donc urgence a agir. Pour cela, il convient de s’interroger sur les causes profondes de la situation actuelle.

La situation actuelle, on peut dire que l’humain en est aujourd’hui pleinement responsable. Toutefois, cette responsabilité, elle est variable selon les époques et les pays. Il serait en effet indécent de mettre sur un pied d’égalité l’Angleterre ou les Etats-Unis avec les Papous ou les Inuits. Même en Angleterre au 19e siècle, lors de la Révolution industrielle, c’est une part infime de la population, les détenteurs de capitaux et fondateurs de sociétés, qui impose le productivisme et l’industrialisme. La plupart des gens conserve un mode de vie rural ou, suite à la confiscation des « communs », se voit obligée de se faire exploiter. La question de la responsabilité doit donc être maniée avec un regard critique. On parle souvent d’Anthropocène pour qualifier cette nouvelle période géologique où l’action humaine est devenue le principal moteur des changements qui affectent le système Terre. Mais si l’action humaine est indéniable, elle n’est toutefois pas celle de l’espèce humaine, mais celle du capitalisme. Ce capitalisme qui s’est répandu dans le monde entier est marqué notamment par la transgression incessante des limites et par une course infinie à la croissance. Certains proposent dès lors la notion alternative de Capitalocène qui a le mérite d’indiquer la responsabilité non d’une espèce, mais d’un système économique et politique.

La croissance économique est un effet direct du fonctionnement du capitalisme. La compétition entre les propriétaires des moyens de production les oblige, pour survivre, à faire plus de profit que leurs concurrents. Pour cela, il faut produire plus, vendre plus, créer des marchés là où c’est possible, extraire plus de ressources, les exploiter, développer les technologies, grossir, capter la valeur. Dans un tel système, ce sont les plus puissants qui sont récompensés : ils peuvent alors façonner l’environnement de telle sorte que celui-ci leur apporte plus de profit. Cela mène à des multinationales qui construisent un monde qui les renforce, on le voit, par exemple avec les accords de libre échanges, tels que le CETA ou le TTIP. Mais c’est également un monde qui consomme trop. Un enfant pourrait pourtant comprendre que la croissance ne peut pas être infinie dans le monde fini et limité qui est le nôtre…

Le réchauffement climatique est le symptôme de la surchauffe de l’énorme machine de production-distribution-consommation appelée capitalisme. Toute activité suppose une dépense d’énergie. Avec la captation des énergies fossiles, le capitalisme a trouvé le moyen de démultiplier les activités. De plus en plus de ressources non-renouvelables (énergies fossiles dont le pétrole, sable, terres rares et autres minerais) sont utilisées pour fabriquer des objets non-nécessaires mais des objets qui se vendent et qui produisent de la richesse chez le producteur. Comme la puissance accroît la puissance, les richesses ne cessent de se concentrer. Aujourd’hui, le groupe des 1% les plus riches émettent en moyenne chaque année 80 tonnes de carbon, soit 9 fois plus que la moyenne de la population mondiale. (6.2tonnes).

Selon le rapport annuel de l’ONG Carbon Disclosure Project, 100 entreprises, essentiellement productrices d’énergies fossiles sont à l’origine de 71% des émissions de gaz à effet de serre entre 1988 et 2016, soit Chevron, Exxon, BP, Shell, Saudi Aramco, Total, GazProm, la Statoil norvégienne, les sociétés d’État nationales d’extraction minières comme il y en a en Chine, en Russie, et en Pologne.

L’accumulation du capital repose à tel point sur la consommation d’énergies fossiles que certains utilisent l’expression « capitalisme fossile » pour désigner l’économie qui est devenue la nôtre depuis la Révolution industrielle. C’est donc de ce type de modèle reposant sur la consommation, l’extraction de ressources et la production de richesses que nous devrions sortir aujourd’hui si nous voulons sauver la planète.
Comme l’énonce, un ancien journaliste spécialiste de l’environnement du journal ‘le monde’, et aujourd’hui rédacteur en chef du site ‘reporterre’, Hervé Kempf, « Pour sauvez la planète, sortez du capitalisme. »

A ce jour, la prise de conscience des dérèglements climatiques n’entraîne malheureusement pas beaucoup d’effets.
Cela fait des dizaines d’années que les gouvernements négocient dans de grands forums politiques internationaux, les ‘conférences pour le climat’ ou les COP, depuis la conférence de Stockholm en 1972 à la COP 23 à Bonn en 2017, en passant par la conférence de Rio en 1992 et celle de Paris en 2015. Mais a coté de ça, les émissions de gaz à effet de serre n’ont pas baissé, le climat poursuit sa dérive et les constats de la communauté scientifique se font toujours plus alarmants.

Rien d’étonnant, quand on constate que la consommation de charbon, de gaz et de pétrole continue d’augmenter et que les politiques de nos Etats nient en permanence la catastrophe en cours, réclamant toujours plus de croissance, c’est-à-dire plus d’activités et d’échanges économiques que l’année précédente.

L’idéologie dominante, véhiculée par les pouvoirs politiques a été digérée par ce qu’on peut désormais appeler le capitalisme vert. On prend quelques mesures de transition énergétique ou a visée environnementale mais on ne remet pas en cause les modes de vie énergivores à la source du chaos climatique. Ce capitalisme vert repose par ailleurs sur la responsabilisation des citoyens ; avec l’idée qu’il revient à chacun de faire sa part. Si cette idée de la politique peut avoir des effets positifs, elle sert surtout aux gouvernements à déléguer ce qu’il devrait entreprendre pour l’ensemble de la population. Pour reprendre une citation du philosophe Slavoj Zizek « La culpabilisation des individus occulte les véritables causes de la destruction de la planète : le capitalisme et les Etats nations ». Les politiques des Etats visant l’accroissement de leur richesse et de leur pouvoir sont particulièrement néfastes. Il est donc nécessaire que les Etats adoptent une pensée globale du monde, acceptant d’agir ensemble et solidairement.

Le défi est immense

Le réchauffement climatique est le problème global par excellence. Pour le combattre, il faudrait laisser les énergies fossiles dans le sol, relocaliser notre alimentation, repenser nos manières d’habiter, de nous déplacer et changer nos imaginaires du voyage, du temps et de la facilité. Il s’agit, entre local et global, de trouver de nouveaux équilibres, et de s’interroger pour chaque projet, chaque usage du monde sur leur caractère bénéfique à la Terre, à l’humanité et aux relations que ces entités entremêlées entretiennent.

Des décennies de libéralisation commerciale et financière ont affaibli la capacité des Etats à faire face à la crise climatique. Partout, des forces puissantes – entreprises du secteur fossile, multinationales de l’agro-business, institutions financières, économistes dogmatiques, climatosceptiques et climatonégationnistes, décideurs politiques prisonniers de ces lobbies – font barrage et promeuvent de fausses solutions. Nous savons que les multinationales et les gouvernements n’abandonneront pas aisément les profits qu’ils tirent de l’extraction des réserves de charbon, de gaz et de pétrole ou de l’agriculture industrielle globalisée gourmande en énergie fossile. Nous devons cependant les y contraindre pour l’intérêt général.

En août 2015, une centaine de personnalités de la société civile publiaient un appel à l’insurrection climatique, dans lequel ils comparaient l’importance de l’enjeu environnemental actuel à de précédents combats sociaux majeurs. Ils écrivaient : « Nous devons avoir confiance en notre capacité à stopper les crimes climatiques. Par le passé, des femmes et des hommes déterminé.e.s ont mis fin aux crimes de l’esclavage, du totalitarisme, du colonialisme ou de l’apartheid. Elles et ils ont fait le choix de combattre pour la justice et l’égalité et savaient que personne ne se battrait à leur place. Nous savons que cela implique un changement historique majeur. Nous n’attendrons pas que les Etats agissent. L’esclavage et l’apartheid n’ont pas disparu parce que des Etats ont décidé de les abolir, mais par des mobilisations massives qui ne leur ont pas laissé le choix. »

Les actions sont multiples aujourd’hui pour tenter de changer la trajectoire. Occupation de territoires, blocage de mines de charbon, manifestations, … Nous proposons la grève comme moyen d’action.

Pourquoi la grève ?

D’abord, parce que la grève est la plus ancienne forme de protestation collective contre des conditions de travail ou de vie. Les plus anciennes traces connues remontent à l’Egypte antique quand les ouvriers sur le chantier de la construction de la pyramide de Khéops firent grève, vers 2558 avant notre ère, à la suite de la diminution puis de la suppression de l’ail dans les rations quotidiennes, ou la grève des ouvriers de Ramsès III dans la vallée des rois contre les retards en ravitaillement de nourriture. Des grèves vont jalonner l’histoire des sociétés modernes, en particulier depuis l’émergence du capitalisme, le plus souvent sur des questions économiques, comme pour les ouvriers égyptiens, mais aussi souvent pour des questions de société. On oublie parfois qu’en Belgique, le suffrage universel est le fruit des grèves et de manifestations successives entre 1886 et 1913. Plus tard, en 1936, elle donnera aussi le jour aux congés payés et à la journée des 8 heures.  On se souvient aussi du visage de Rosa Parks, cette afro-américaine qui refusa en 1955 de s’asseoir à l’arrière d’un bus comme l’y contraignaient les lois racistes du sud des Etats-Unis, mais on oublie souvent que son geste fut suivit par une grève d’un an durant laquelle la communauté noire boycotta cette compagnie de bus. C’est suite à cette grève que la cour constitutionnelle américaine décréta l’illégalité de la ségrégation dans les bus de l’Alabama. De tout temps, la grève a été la mère des avancées sociétales ou économiques parce qu’elle est le seul instrument de ceux qui ne détiennent aucun des leviers du pouvoir.

Faire grève pour le climat, c’est aussi dire non à notre mode de vie actuel qui se concentre bien plus sur la consommation que sur la stabilité de la biosphère. Si le leitmotiv de notre vie était le bien être général et le respect de l’environnement, alors, très probablement, notre société ne ressemblerait pas du tout à ce qu’elle est actuellement. Probablement qu’on ne parcourrait pas quotidiennement des dizaines de kilomètres pour aller s’asseoir derrière un bureau alors que des moyens de communication nous permette de travailler à distance. On ne produirait que ce dont on a strictement besoin avec des matières locales afin de réduire au maximum le coût environnemental de l’extraction, du transport, et de la gestion des déchets. On boirait l’eau du robinet et on utiliserait des récipients réutilisables; exit donc les bouteilles en plastiques, les emballages de supermarché, etc. On pourrait continuer pendant des heures à inventer une manière de vivre qui prendrait en compte rationnellement notre environnement avant notre confort à court terme, et l’enrichissement individuel. Faire grève pour le climat, c’est donc montrer que nous voulons développer un mode de vie plus respectueux de notre environnement.

Faire grève, c’est prendre l’occasion de parler de ces questions gravissimes, sur les lieux de travail et ailleurs, et qu’on aborde finalement très peu. Faire grève pour le climat et la biosphère, c’est comprendre que seul un ralentissement brusque des activités humaines pourrait sauver une bonne partie de la biosphère existante.
Enfin, la grève, c’est un outil de contestation visible et accessible à tous. Nous pouvons tous faire grève d’où nous sommes, qui que nous soyons. Pas besoin de se rendre à Paris, Bruxelles, Bonn, etc. Pas besoin de faire de grands discours. On s’arrête, tout simplement là où on est.

Il est vrai qu’une grève en Belgique ne résoudra pas le problème. La Belgique est un mini pays dans un vieux continent qui de nos jours n’est pas aux manettes de la Géopolitique mondiale. Ce n’est pas parce que les autorités belges décideraient d’adopter une politique plus forte, que les oligarques russes arrêteraient de chercher à extraire toujours plus de nouvelles réserves de pétrole en Arctique, que les Américains cesseraient de chercher à exploiter les sables bitumineux, ou que l’on arrêterait de surexploiter les forêts, etc.

Ce que nous vous proposons aujourd’hui, c’est une action de grève qui ne sera peut-être qu’une goutte d’eau dans une géopolitique qui nous dépasse. Mais certaines gouttes d’eau ont plus d’importance que d’autres. On peut se surprendre à rêver qu’une grève en engendre une autre, en Belgique ou ailleurs, et permette de faire avancer le combat et d’infléchir les politiques. La grève ne réussira peut être pas du premier coup mais il faut bien commencer quelque part, faire germer l’idée qu’arrêter la machine et réfléchir, ça fait partie du changement.

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