L’article a été rédigé le 23 juin, avant le sommet OTAN (qui s’est terminé au moment où nous le publions sur notre site) et confirme les pronostics de l’auteur, notamment pour ce qui concerne le prévisible marchandage d’Erdogan auquel l’Europe s’est soumise et qui aboutit à une terrible menace pour les réfugiés politiques kurdes en Suède et Finlande. (NDT)

Il est urgent de reconstruire un mouvement pacifiste mondial qui s’oppose à toutes les alliances militaires et aux augmentations massives et continues des budgets de la défense.

À la fin du mois de juin, l’Alliance atlantique tiendra* un sommet à Madrid pour la deuxième fois depuis l’adhésion de l’État espagnol à l’OTAN en 1982. Par coïncidence, chacun de ces deux sommets de Madrid représente un moment important de l’histoire de l’organisation.

Une occasion ratée pour intégrer la Russie

Le sommet précédent, en 1997, avait été l’aboutissement d’un long débat entre les gouvernements des membres de l’OTAN sur l’élargissement de l’alliance vers l’est. Le débat est devenu public et animé aux États-Unis, impliquant la quasi-totalité de l’establishment de la politique étrangère du pays. Ceux qui mettaient en garde contre l’exclusion de la Russie – ce qui, selon eux, était la meilleure manière pour que toute expansion de l’OTAN dans des pays précédemment subordonnés à Moscou serait inévitablement perçue comme une menace par les Russes – s’opposaient à ceux qui étaient impatients de saisir l’occasion offerte par ce que l’éditorialiste du Washington Post Charles Krauthammer avait appelé en 1990 « le moment unipolaire », pour étendre l’hégémonie américaine dans des régions qui faisaient autrefois partie de la sphère soviétique.

Cette dernière opinion était partagée par la majeure partie de l’administration Clinton, inspirée en coulisses par Zbigniew Brzezinski. Le point de vue opposé était représenté au sein du gouvernement par le secrétaire à la défense William Perry pendant le premier mandat de Bill Clinton. Perry a été évincé du gouvernement et remplacé, de manière révélatrice, par le républicain William Cohen pour le second mandat de Clinton, l’année où s’est tenu le sommet de Madrid.

Prophétie auto-réalisatrice

Les partisans de l’expansion de l’OTAN vers l’est souhaitaient que l’empire américain englobe une grande partie de l’ancien empire soviétique, dans l’idée que la Russie post-communiste tenterait tôt ou tard de renouer avec sa longue tradition impérialiste. Il fallait donc empêcher cette évolution inévitable en veillant à ce que les États-Unis contrôlent la plus grande partie possible de l’ancien empire soviétique. Étant donné que le régime de Poutine a effectivement adopté un comportement prédateur depuis 2008 dans ce que la Russie considère traditionnellement comme son « étranger proche » impérial – intervention en Géorgie en 2008, annexion de la Crimée et intervention dans le Donbass en 2014, invasion pour un changement de régime en Ukraine en 2022 et tentatives continues d’occuper complètement le Donbass et les régions voisines – on serait enclin à croire que ceux qui ont plaidé pour l’élargissement de l’OTAN avaient raison.

Mais en fait, ce résultat est exactement ce contre quoi les opposants à l’élargissement avaient mis en garde. Ils ont correctement prédit que les Russes percevraient l’expansion de l’OTAN vers l’est comme un geste hostile et qu’elle susciterait donc chez eux une attitude revancharde. En d’autres termes, ils ont averti que l’expansion de l’OTAN, en tant que signe avant-coureur du retour de la Russie à un comportement impérial, fonctionnerait en fait comme une prophétie auto-réalisatrice.

L’OTAN persiste dans l’escalade

Lors du sommet de 1997, la Hongrie, la Pologne et la République tchèque ont été officiellement invitées à rejoindre l’alliance. L’adhésion des trois pays d’Europe de l’Est s’est achevée deux ans plus tard lors du sommet de Washington, où l’on a célébré le 50e anniversaire de l’OTAN. Cela s’est produit au même moment où l’alliance bombardait la Yougoslavie en violation du droit international, lors de la première guerre menée par les États-Unis après 1990 qui n’a pas été approuvée par le Conseil de sécurité des Nations unies.

En considérant l’invasion de l’Irak par les États-Unis en 2003, qui contournait une nouvelle fois le Conseil de sécurité des Nations unies, et l’élargissement de l’OTAN en 2004 à sept autres pays d’Europe de l’Est, dont les trois États baltes qui faisaient autrefois partie de l’URSS, on peut affirmer aujourd’hui que cette escalade alimenta de manière décisive l’animosité de la Russie envers l’Occident…et a préparé le terrain pour l’invasion de l’Ukraine.

Le prochain sommet de Madrid sera l’occasion d’un grand saut qualitatif dans la définition de la finalité de l’OTAN, qui n’aura pas moins de portée que le sommet de 1997. Et je ne parle pas ici de l’invitation formelle de la Finlande et de la Suède à rejoindre l’alliance, bien que ce développement soit certainement d’une grande importance, peut-être plus que tous les cycles d’élargissement précédents, car il étendra considérablement la frontière directe de l’OTAN avec la Russie (la frontière de la Finlande avec la Russie est longue de 1 340 kilomètres). Le seul point d’interrogation à cet égard est la position de la Turquie, car toute nouvelle offre d’adhésion doit être approuvée à l’unanimité par tous les membres actuels de l’OTAN, un principe qui confère à chacun d’eux un droit de veto de facto. Ankara souhaite que les deux États du nord prennent des mesures contre le mouvement kurde, qui est fortement représenté parmi les réfugiés dans les deux pays.

Mais la nouveauté la plus dangereuse du sommet de Madrid, c’est l’amorce d’une expansion qualitative majeure de l’objectif de l’OTAN. Créée à l’origine comme une alliance défensive contre l’Union soviétique et ses États subordonnés, l’OTAN s’est transformée en « organisation de sécurité » après 1991 – ce qui signifie qu’elle a été impliquée dans une action militaire (l’OTAN en tant que telle n’a pas officiellement mené de guerre à l’époque de l’URSS) – et a redéfini son objectif en excluant la Russie post-soviétique en s’étendant à ses frontières. Le Conseil OTAN-Russie mis en place en 1997, au lieu d’inviter le pays à rejoindre l’alliance, a été une maigre consolation pour Moscou, personne n’a été dupe. De tacite, l’hostilité de l’OTAN envers la Russie est devenue explicite après l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014.

Après la Russie, la Chine

Le prochain sommet de Madrid engagera directement l’OTAN dans une hostilité ouverte envers la Chine, bien au-delà du territoire d’origine de l’alliance. Cette zone est définie dans le traité de 1949, date de la création de l’OTAN, comme comprenant « le territoire de l’une ou l’autre partie en Europe ou en Amérique du Nord, dans les départements algériens de la France, sur le territoire ou dans les îles sous la juridiction de l’une ou l’autre partie dans la région de l’Atlantique Nord au nord du Tropique du Cancer ». La transformation de l’OTAN après 1991 l’a amenée à agir en dehors des territoires de ses membres, d’abord dans les Balkans, puis beaucoup plus loin de son territoire d’origine, en Afghanistan, à la suite des attentats du 11 septembre 2001.

Toutefois, la participation aux réunions de l’organisation était limitée à l’Europe et à l’Amérique du Nord. Plus maintenant : Le Japon, ainsi que l’Australie, la Nouvelle-Zélande et la Corée du Sud, ont été invités à participer au sommet de Madrid en tant que « partenaires » de l’OTAN dans la région Asie-Pacifique – une grave provocation pour Pékin. La Chine ne peut interpréter cette invitation que comme une étape vers la consolidation des alliances dirigées par les États-Unis en un seul réseau mondial opposé à la Russie et à la Chine. À l’issue de la réunion préparatoire des ministres de la Défense de l’OTAN du 16 juin, Jens Stoltenberg, secrétaire général de l’organisation, a déclaré que le nouveau concept stratégique de l’OTAN, qui sera adopté au sommet de Madrid, définira la position de l’alliance « vis-à-vis de la Russie, des défis émergents et, pour la première fois, de la Chine ».

Du point de vue des efforts de Washington pour perpétuer son hégémonie sur la majeure partie de l’Europe et de l’Asie en présentant la Russie et la Chine comme des ennemis – une stratégie suivie par tous les gouvernements américains successifs après 1991 – la nouvelle escalade qui sera confirmée à Madrid est parfaitement logique. Tout en soutenant résolument la résistance de l’Ukraine à l’invasion russe, le président Biden a multiplié les gestes provocateurs à l’égard de Pékin, notamment en déclarant, avant un sommet en mai de l’alliance antichinoise connue sous le nom de « Quad » (Japon, Australie et Inde avec les États-Unis), que les États-Unis défendront militairement Taïwan. Cette déclaration a rapidement été édulcorée par le département d’État qui, en mai, avait retiré d’une fiche d’information sur Taïwan figurant sur son site web la mention « nous ne soutenons pas l’indépendance de Taïwan », avant de la rétablir en juin.

Urgence de reconstruire un mouvement pacifiste mondial

Du point de vue de l’Europe et de l’Asie, accepter cette expansion de facto du rôle de l’OTAN revient à se laisser rassembler comme les moutons de Panurge et à se jeter à la mer. Se mettre à dos la Chine n’est pas dans l’intérêt de l’Europe, ni dans celui des pays invités au sommet de Madrid. Même si les gouvernements européens considéraient que la Russie est désormais devenue une menace irréversible pour leur sécurité, il serait totalement contre-productif pour eux d’encourager Pékin à consolider une alliance avec Moscou.

Ces développements rapprochent le monde d’une conflagration qui pourrait éclipser la guerre actuelle en Ukraine et mettre en danger l’avenir de l’humanité. Il est urgent de reconstruire un mouvement pacifiste mondial qui s’oppose à toutes les alliances militaires et exige leur dissolution, un mouvement qui s’oppose également à l’augmentation massive et continue des budgets militaires. Il est grand temps de revenir à un désarmement mondial sous les auspices des Nations unies, comme le prévoit la Charte des Nations unies. Cette charte est la pierre angulaire du droit international, qui doit jouer un nouveau rôle face à la tendance persistante du retour à la loi de la jungle. Les sommes considérables et sans cesse croissantes consacrées à l’armement et à la destruction devraient être judicieusement réaffectées aux seules guerres qui servent réellement les intérêts de l’humanité : les guerres contre la pauvreté et le changement climatique.

Crédit Photo: Ministres de la Défense des pays de l’OTAN, Bruxelles, Belgique, 16 juin 2022 (Zheng Huansong / Xinhua via Getty Images).

Cet article a été initialement publié en anglais le 23 juin 2022 sur The Nation(1)https://www.thenation.com/article/world/nato-china-russia-us/. Traduction néerlandaise par Grenzenloos et française par Hamel Puissant et François Houart.

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