Oui, vous avez bien lu : ce qui s’est passé récemment dans les maisons de repos et les maisons de repos et de soins est un exemple à suivre… Nous ne parlons évidemment pas de suivre « l’exemple » dramatique du nombre de décès intervenus dans ces institutions ! Nous parlons de suivre l’exemple des travailleurs et travailleuses qui se sont révolté·e·s contre la décision gouvernementale d’autoriser à nouveau les visites aux résident·e·s, et qui ont ainsi forcé les autorités à faire marche arrière à toute vitesse.

Face à des employeurs qui veulent accélérer la remise au travail, face à des pouvoirs politiques qui ne jurent que par la relance des entreprises, face à des « expert·e·s » qui ne connaissent pas les réalités de terrain, la réaction des travailleuses/eurs des maisons de repos est en effet une source d’inspiration pour tous les secteurs professionnels : ne nous laissons pas faire ! Nous ne sommes pas de la chair à patrons !

L’enfer est pavé de belles intentions

Rappel des faits : mercredi 15 avril, à l’issue de la réunion du Conseil national de Sécurité, Sophie Wilmès annonce quelques aménagements aux règles de confinement. Une campagne de dépistage du COVID-19 dans les maisons de repos et les maisons de repos et de soin commencera – enfin! – le lendemain, dit-elle. En parallèle, la première ministre et ses collègues autorisent une personne par famille à rendre visite aux résident·e·s, et ce dès le lundi suivant. La mesure est présentée comme visant à combattre l’isolement des personnes âgées, pour humaniser le combat contre la pandémie. Mais l’enfer est pavé de belles intentions, c’est le cas de le dire !

Le problème ? La ré-autorisation des visites ne tient aucun compte de la situation catastrophique dans les institutions, et des terribles difficultés qui pèsent sur les épaules d’un personnel à bout de forces, souvent décimé par le COVID-19… à cause de l’absence totale de préoccupation pour le secteur, de la part du politique ! Une vague d’indignation se lève quasi instantanément parmi les travailleuses et les travailleurs, mais aussi parmi les familles des résident·e·s. Toutes et tous sont scandalisé·e·s de constater qu’une décision aussi importante et irréaliste est prise sans tenir aucun compte de leurs souffrances, de leurs connaissances et de leurs savoir-faire. La protestation est si puissante que certaines autorités locales, puis régionales, vont prendre des décisions allant à contre-courant du fédéral, obligeant finalement celui-ci à un rétropédalage exemplaire ! 

Colère et dégoût

La colère et le dégoût face à la décision du Conseil national de Sécurité sont plus que justifiés. Cela fait des semaines que les équipes travaillent sans recevoir le matériel de protection nécessaire contre l’infection. Cela fait des semaines qu’elles demandent un dépistage généralisé, afin d’isoler les résident·e·s et le personnel malades. Cela fait des semaines qu’elles font des pieds et des mains pour être approvisionnées en oxygène et se font un sang d’encre parce que leurs résident·e·s ne peuvent recevoir à l’hôpital l’aide respiratoire dont ils et elles ont besoin.

Les travailleuses et travailleurs rivalisent d’ingéniosité et de dévouement pour se protéger et protéger leurs résident·e·s. Certaines équipes décident de se confiner avec les pensionnaires, des bénévoles et des étudiantes offrent leur aide, des citoyen·ne·s cousent des masques… Mais les gens tombent comme des mouches, dans l’indifférence générale des décideurs politiques : près de la moitié des décès surviennent dans les maisons de repos (et de soins). Dans certaines institutions, on doit faire appel à l’armée pour assurer une partie du service. Dans d’autres, le personnel soignant atteint du COVID-19 est mis en chômage temporaire, à 70% du salaire. Le 10 avril, la pénurie de personnel est telle que Sciensano envoie à toutes les institutions une directive disant que le personnel testé positif au Covid-19, mais asymptomatique, peut travailler (jusqu’à 12h d’affilée !) en respectant port du masque et lavage de mains !

Le contexte : privatisation et flexibilité

Il n’est pas étonnant que beaucoup de maisons de repos aient été débordées avec cette crise sanitaire. Pour comprendre vraiment le drame et la réaction des personnels, il faut en effet rappeler le contexte: celui de la privatisation du secteur des maisons de repos et de soins – certaines sont cotées en bourse, de la flexibilité et de la dégradation des conditions de travail, avant la pandémie(1)Sur la privatisation du secteur et ses conséquences, lire sur ce site : gaucheanticapitaliste.org/coronavirus-en-maisons-de-repos-la-logique-financiere-au-detriment-des-soins/. Avant la crise COVID, beaucoup d’entre elles fonctionnaient déjà à flux tendu avec un taux d’encadrement trop faible par rapport au nombre de personnes hébergées. L’accueil des personnes âgées est un marché et, là comme ailleurs, il y a bien entendu une recherche de profit. Les maisons privées emploient donc aussi beaucoup de personnes à temps partiel.  

 Le taux d’encadrement est trop faible également dans les maisons de repos publiques. Celles qui sont gérées par les CPAS fonctionnent d’ailleurs avec une proportion importante de contrats de travail article 60, par exemple pour ce qui est du personnel de cuisine et de nettoyage. Des gens qui actuellement s’impliquent et prennent des risques mais, au bout du compte, se retrouveront à coup sûr au chômage…

Une insulte aux personnels

Dans ces conditions, la décision politique d’ajouter la ré-autorisation des visites au surcroît de travail entraîné par le dépistage est apparue pour ce qu’elle était vraiment : non pas un geste d’humanité à deux balles pour les résident·e·s, mais un danger supplémentaire pour elles et eux, et un manque de respect insupportable à l’égard du personnel, voire une insulte. La coupe a donc débordé instantanément. « On prend déjà tous les risques, pour nous, pour nos familles, pour nos enfants, et c’est ça la reconnaissance qu’on a ?! » « Que les décideurs viennent faire le boulot eux-mêmes alors ! » : voilà, entre autres, ce que les gens ont dit dans les assemblées du personnel.

Les leçons à tirer de cette expérience dépassent largement le secteur des maisons de repos et des maisons de repos et de soins, elles concernent toustes les travailleurs/euses. Nous allons montrer qu’elles concernent même la société tout entière, car il y a un point clé auquel les médias n’accordent pas toute l’importance nécessaire: l’épidémie ne peut être vaincue sans une participation consciente, active et responsable de toute la population; or, une telle participation entre en contradiction avec la structure de classe, hiérarchique et autoritaire de la société capitaliste. Cette contradiction est la plus manifeste sur les lieux de travail. C’est pourquoi les questions sociales posées par le déconfinement sont des questions très politiques, des questions de société! Penchons-nous sur cet aspect de l’affaire.

Gare au déconfinement à la sauce patronale !

Partons de cette évidence: on ne peut pas rester éternellement confiné·e·s. Or, tant qu’un vaccin ne sera pas disponible, le danger du COVID-19 persistera. Il ne déclinera significativement que lorsqu’une proportion suffisante de la population aura été infectée, et par conséquent immunisée (à condition que cette immunisation soit durable, ce qui n’est pas certain au stade actuel des connaissances!). Cette proportion est estimée à 60%, et nous en sommes loin. C’est pourquoi le déconfinement DOIT s’effectuer 1°) graduellement ; 2°) en continuant à protéger particulièrement les groupes les plus fragiles ; 3°) en maintenant très rigoureusement les « gestes barrières » (distanciation physique, hygiène des mains, port du masque) ; et 4°) En dépistant massivement pour mettre les personnes infectées en quarantaine.

A moins d’une dictature, il est impossible que la répression parvienne à imposer le respect de ces conditions. La participation consciente de tous et toutes est vraiment indispensable, et quantité d’initiatives à la base le confirment. Or, si les conditions sanitaires ne sont pas respectées, l’épidémie recommencera très vite à flamber. Elle débordera alors les capacités du système de santé, d’autant plus facilement que celui-ci sort affaibli de l’épreuve des dernières semaines. Outre cet impact à court terme, une relance de l’épidémie aurait aussi des conséquences à moyen et long termes sur la sécurité sociale, dont le déséquilibre financier serait encore accru. Il faut donc être ultra-vigilant·e·s face à la volonté des employeurs et des actionnaires de remettre les gens au boulot le plus vite possible, pour restaurer leurs profits. L’enjeu concerne au premier chef les travailleurs, évidemment, mais les implications vont bien au-delà des entreprises.

Imposer un droit de véto du monde du travail

Les patrons disent évidemment que la remise au travail se fera dans le respect des conditions de sécurité. Ils promettent des masques et le respect de la « distanciation sociale ». Mais, dans beaucoup d’entreprises qui ont continué à fonctionner, ces mesures de protection ne sont pas appliquées, (85% des entreprises contrôlées depuis le début du confinement par les inspections du travail étaient en infraction !). Ces promesse ne valent pas grand chose car les patrons ne savent rien de la sécurité effective, et le gouvernement non plus. En effet, ces gens ne connaissent pas les conditions concrètes. Ils n’ont jamais travaillé huit heures dans un atelier, un magasin, un bureau, dans une classe surpeuplée, sur un chantier (et ne se rendent pas compte de ce que tout ça signifie quand, en plus, on porte un masque !).

Ces conditions, qui les connaît pratiquement? Les travailleurs et travailleuses, et personne d’autre. C’est pourquoi, dans l’intérêt de leur santé, de celle de leurs proches, de la sécurité sociale de leurs enfants et de la société tout entière ils et elles doivent contrôler soigneusement ce qu’on veut leur imposer, en discuter collectivement, et refuser ce qui les met en danger. N’ayons pas peur des mots : il s’agit, dans l’intérêt de tous et toutes, d’imposer un droit de véto du monde du travail sur les conditions de la remise en marche de l’économie. C’est ce qu’on fait les travailleuses et travailleurs des maisons de repos (et de soins), et c’est pour cela que leur réaction est un exemple à suivre.

Wilmès, une politique de classe

L’exemple des maisons de repos (et de soins) montre encore autre chose : pour défendre la santé, le monde du travail ne peut faire aucune confiance au gouvernement de Mme Wilmès et aux partis qui le soutiennent. La première ministre et les ministres-présidents des entités fédérées ont la bouche pleine de déclarations solennelles sur la priorité à la santé et disent que leur politique sanitaire est basée sur « la Science ». Mais c’est en réalité une politique « sanitaire » de classe. Neuf des dix mesures qu’ils ont adoptées par pouvoirs spéciaux sont des mesures favorables aux patrons, que les syndicats avaient refusées précédemment, lors de la réunion du « groupe des 10 ».

Cette politique de classe est en réalité une fausse politique sanitaire. Pour le montrer, il suffit de souligner que les mesures prises affaiblissent la résistance des travailleurs/euses face à la maladie, L’augmentation du nombre maximum d’heures supplémentaires autorisé, ou l’augmentation du recours possible au travail des étudiants, par exemple, sont des aberrations du point de vue de la santé publique. Il est bien connu en effet que la fatigue diminue les défenses immunitaires… contre le COVID-19, notamment. C’est pourquoi, notons-le en passant, les scientifiques qui collaborent au Groupe d’expert·e·s sur le déconfinement (GEES) devraient se poser des questions: par leur participation aux côtés de grands patrons, ils cautionnent une politique centrée sur la conciliation impossible entre santé et profit. D’autant plus que les fédérations d’employeurs (FEB, UWE, VOKA) en redemandent!

Faire bouger les lignes, à la base

Evidemment, les patrons vont tenter de gagner des travailleurs/euses à leur cause, en disant qu’ils et elles ont intérêt à relancer la machine le plus vite possible, car leur salaire en dépend. Mais se laisser piéger par ce discours serait une grave erreur, conduisant tout droit à l’approfondissement de l’exploitation et de la pandémie… sur le dos des plus faibles, des plus pauvres et des générations futures. Ce qui s’est passé dans les maisons de repos (et de soins) montre qu’une autre réponse est possible. Quand les travailleurs et travailleuses s’unissent à la base pour prendre leur sort en mains, dans l’intérêt de la collectivité, ils/elles font bouger les lignes et entrouvrent la porte vers une autre politique et une autre société. Une société du « prendre soin » de tous et toutes dans un environnement respecté.

Membres et sympathisant·e·s de la Gauche anticapitaliste en Hainaut

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