C’est avec indignation et rage contenue que nous avons appris que Jauregui Espina Natividad Maria (Jaione, comme l’appellent ses ami.e.s et connaissances car les noms basques et catalans n’étaient pas autorisés sous le régime de Franco), vient d’être livrée à l’Espagne.

Rappel des faits : en 1981, le lieutenant-colonel Ramon Romero est assassiné à Bilbao d’une balle dans la tête. Selon les autorités espagnoles, Jauregui Espina (qui est membre de l’ETA depuis au moins 1978 et appartient au « commando Vizcaya », qui est considéré comme responsable de cet assassinat politique) serait coupable. En effet, ce meurtre aurait été commis par une femme, il doit donc s’agir de Jaione. Mais elle nie avoir commis ce meurtre et il n’y a aucune preuve de toute façon. Et si elle était alors bel et bien membre de l’ETA (un groupe autonomiste de résistance à la dictature de Franco au Pays basque), il convient de rappeler, pour resituer le contexte répressif de cette lutte, que dans les années 70 des jeunes militant.e.s basques et catalan.e.s étaient régulièrement condamné.e.s à mort et exécuté.e.s de manière particulièrement barbare par étranglement au moyen du « garrote » (1)Le lacet étrangleur, aussi appelé garrot, est une arme utilisée depuis l’Antiquité pour tuer par strangulation un adversaire, et jusqu’en 1974 dans l’Espagne franquiste pour exécuter un condamné à mort. https://fr.wikipedia.org/wiki/Lacet_%C3%A9trangleur.

En fuite, Jauregui s’est cachée d’abord en France entre 1984 et 1988, avant d’atterrir au Mexique avec son partenaire, José Antonio Borde. En 2003, Borde a été arrêté et extradé vers l’Espagne. Jaione déménage dans la foulée et vient résider en Belgique. Elle y avait alors été autorisée puisque n’étant accusée de rien.

En 2003, Jaione s’est installée à Gand comme cuisinière, puis restauratrice. Dix ans plus tard, en 2013, le système judiciaire espagnol dépose un mandat d’arrêt européen à l’instigation d’un groupe de nostalgiques du Franquisme appelé Covite. Elle est alors accusée du meurtre, mais toujours sans preuve. À deux reprises, la chambre des mises en accusation belge refuse de livrer Jaione à l’Espagne. Après tout, ce pays n’a pas la meilleure réputation en matière de respect des droits humains.

Comme le signale son avocat Paul Bekaert : « En Espagne, de nombreuses condamnations sont basées sur des aveux qui, selon les organisations des droits humains, sont souvent obtenus sous la torture ».

En 2019, la Cour européenne des Droits humains (CEDH) de Strasbourg a condamné la Belgique à indemniser les enfants du lieutenant-colonel au motif de « manque de coopération dans l’enquête menée en Espagne contre le membre de l’ETA », après qu’il ait été prouvé que les tribunaux du pays n’avaient pas respecté leur « obligation de coopérer ». La justice espagnole profite de l’occasion pour demander à nouveau son extradition en octobre 2020 en assurant que « la personne concernée ne sera pas soumise à des conditions de détention qui entraîneraient un traitement inhumain ou dégradant » et en promettant de ne pas faire usage des lois d’exception qui violent les règles du droit.

Nous réclamons la libération de Jaione, ainsi que l’assurance d’un procès équitable.

Malgré cela, la justice espagnole vient de déclarer que Jaione sera détenue à 500 km du Pays basque, loin de ses ami.e.s et de sa famille, « vu que cela fait plus de trente ans qu’elle ne les a plus vus ». Or on sait qu’il y a quelques années, Xabier Rey, un prisonnier basque, s’est suicidé en prison parce qu’il était enfermé à Cadix, à 1.000 kilomètres de sa ville natale, loin de sa famille et de ses ami.e.s. Cette politique de dispersion est menée contre les nationalistes basques afin de poursuivre la guerre psychologique contre le mouvement séparatiste ETA. Voici un exemple de ce que l’Espagne entend par « traitement humain ». Et pourtant, la Belgique par la voix de la Cour de cassation de Gand a décidé que, avec l’assurance par l’Espagne de conditions de détention dignes, cette femme devait être transférée en Espagne 39 ans après les faits.

Paul Bekaert qualifie à juste titre cette décision de jugement politique : « L’ETA a déposé les armes et la loi d’amnistie de 1977 a exempté de persécution non seulement les tortionnaires du régime franquiste, mais aussi les Basques. La justice espagnole abuse dès lors du mandat d’arrêt européen à des fins politiques ». Une fois de plus se pose la même question : les droits humains, pour des suspect.e.s et/ou opposant.e.s – en tant que minorité politique dans leur propre pays – à l’Espagne unitaire (comme le couple basque Moreno-Garcia ou le président catalan Carles Puigdemont), peuvent-ils encore être garantis ?

Mardi 18 novembre, Jaione a donc été arrêtée à son domicile à Gand et emprisonnée. La police lui avait assuré qu’elle pourrait rentrer chez elle le soir même ou le lendemain, comme le montre l’arrêt de la Cour d’appel.

Mais le mercredi 19 novembre, la nouvelle tombe : ils ne la laisseront pas rentrer et la garderont en prison jusqu’à son extradition qui s’est effectuée, finalement, le dimanche 22 novembre.

Le dimanche 29 novembre, une centaine d’ami.e.s et d’habitant.e.s de son quartier ont mis en place une action spectaculaire en plaçant 1.000 bougies le long du canal pour soutenir Jaione : « Comme ça, elle voit que nous pensons à elle ! ».

En Espagne, le ministère public a demandé qu’elle soit emprisonnée en attendant son procès. Après plusieurs heures de délibération, le juge José de la Mata a décidé d’accepter cet emprisonnement, faisant allusion à un risque élevé d’évasion, alors que Jauregi a mené une vie publique ces dernières années et a clairement indiqué dans ses déclarations publiques qu’elle n’a pas l’intention de fuir à nouveau.

Tout ce gâchis nous rend furieux et désespéré.e.s. Comment cela peut-il exister dans un État de droit ? Cela signifierait-il que plus aucun.e réfugié.e politique ne serait en sécurité en Belgique ? Pourquoi notre pays continue-t-il d’extrader alors que de nombreux rapports dénoncent la continuité et la réalité des tortures ainsi que la violation des Droits humains dans les prisons de ces « pays amis ».

Nous réclamons la libération de Jaione, ainsi que l’assurance d’un procès équitable. En même temps, nous exigeons la fin du régime d’exception et le respect des droits des prisonniers politiques basques. Notamment leur rapatriement dans des prisons proches de leur domicile, la possibilité d’aménagement de peine, et la liberté pour ceux qui sont malades ou en fin de peine (les peines de sécurité étant dépassées depuis longtemps, 10 ans pour quelques-uns). Ces droits sont normalement garantis par les lois en vigueur en France et en Espagne, ainsi que par la législation européenne et les conventions internationales. 

Basé sur l’appel publié sur Facebook et un journal gantois, accompagné de notes d’Hamel Puissant et correction de François Houart.

Photo : DR

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