Depuis quelques mois, les prix de l’énergie s’envolent et/ou les pénuries s’aggravent en Belgique, en Europe, en Grande-Bretagne, ou encore aux Etats-Unis en Chine et en Inde. L’instabilité règne sur les marchés globaux de l’énergie où une hausse de la demande se combine avec plusieurs sources de perturbations de l’offre. La principale référence européenne pour le prix de gros du gaz, auquel les fournisseurs d’énergie s’approvisionnent, a été multipliée par 7 par rapport aux premiers mois de 2021(1)« Prijzen voor gas en elektriciteit opnieuw door het dak », De Tijd, 5 octobre. https://www.tijd.be/ondernemen/milieu-energie/prijzen-voor-gas-en-elektriciteit-opnieuw-door-het-dak/10336650. Les prix de l’électricité sur les marchés de gros ont plus que doublé par rapport au début de l’année(2)https://selectra.info/energie/actualites/marche/hausse-prix-electricite-2021. Même par rapport aux niveaux pré-Covid ces hausses restent importantes. Quant au prix du pétrole, celui-ci a également fortement monté au cours de la dernière année, pour retrouver son niveau de 2018(3)« Pourquoi les prix de l’énergie flambent-ils ? », Alternatives Economiques, 21 septembre. https://www.alternatives-economiques.fr/prix-de-lenergie-flambent/00100430. La plupart des analystes prédisent que les prix continueront à rester élevés au moins jusqu’à la fin de l’hiver en Europe.

Les effets de cette hausse se font sentir auprès de quelques fournisseurs d’énergie, surtout les plus petits, qui dépendent de contrats fixes avec leurs clients les empêchant de répercuter tous les coûts de leurs achats d’énergie sur les consommateurs. En Grande-Bretagne, au moins sept firmes énergétiques ont déjà fait faillite depuis août. En Belgique, la firme wallonne Energy2Business a subi le même sort. Ainsi, les ‘lois de la concurrence’ aboutissent à l’élimination de producteurs plus petits sur un marché belge déjà fortement concentré(4)Le marché belge de fourniture d’énergie est dominé par Engie, suivie de Lampiris et Luminis. Voir l’article « Flambée des prix de l’énergie : pas d’embellie avant l’été 2022 », Le Soir, 6 octobre. https://www.lesoir.be/398842/article/2021-10-06/flambee-des-prix-de-lenergie-pas-dembellie-avant-lete-2022. Ceux qui survivent font tout pour maintenir leur profitabilité au détriment du service aux clients : certains augmentent leur prime sur les contrats fixes, d’autres choisissent tout simplement de ne plus fournir de contrats fixes.

Les principales victimes de la hausse des prix sont toutefois les ménages les plus précaires avec contrat variable. La Commission de régulation de l’électricité et du gaz (Creg) en Belgique estime qu’un ménage avec un contrat variable et une consommation moyenne devra rembourser 115,82 euros par an en plus pour l’électricité, pour un contrat qui court d’avril 2021 à mars 2022, comparé à l’année 2019. Pour le gaz, les dépenses supplémentaires monteraient à 597,92 euros(5)Ibid. ! Il est à noter ici que les prix du gaz et de l’électricité dépendent non seulement du prix fixé par le fournisseur. À ce dernier il faut ajouter les coûts de réseau, la TVA et les différentes surcharges ou redevances imposées par les autorités fédérale et régionales. Par exemple pour l’électricité, la TVA et les surcharges constituent plus qu’un tiers de la facture finale en Belgique(6)https://www.creg.be/fr/consommateurs/prix-et-tarifs/comment-est-compose-le-prix-de-lenergie. Par conséquent, les gouvernements ont une marge non-négligeable pour influer sur le prix payé par les ménages.

Au-delà des causes superficielles

De diverses causes – locales et globales, temporaires ou plus durables – sont mentionnées pour expliquer la hausse globale des prix de l’énergie. La reprise économique après l’effondrement lié à la pandémie, ainsi qu’un été particulièrement chaud en Asie stimulent la consommation d’énergie. Et alors que le dernier hiver et printemps, particulièrement froids en Europe, ont contribué à un appauvrissement des réserves européennes de gaz, celles-ci sont à reconstruire avec le prochain hiver en approche. En même temps, l’entreprise russe Gazprom, tout en respectant ses engagements contractuels vis-à-vis de l’Europe, n’a pas vendu du gaz supplémentaire(7)“Natural-gas prices are spiking around the world”, The Economist, septembre 25. https://www.economist.com/finance-and-economics/natural-gas-prices-are-spiking-around-the-world/21804953 Alors que des interruptions de production en Russie, comme celles dues à des incendies en Sibérie, expliquent en partie ses exportations plus faibles vers l’Europe, plusieurs analystes réfèrent également à des enjeux géopolitiques : la Russie exercerait une pression afin d’accélérer la mise en opération du nouvel gazoduc Nord Stream qui la relie à l’Allemagne via la mer Baltique. Très probablement, les intérêts géopolitiques des états capitalistes jouent un rôle des deux côtés. Mais surtout, il est important de souligner que cet investissement en infrastructures pour un combustible fossile a eu lieu au cours de la dernière décennie, période où les discours sur la nécessité d’une ‘transition énergétique’ devenaient omniprésents.. Ainsi, des acheteurs européens, chinois, japonais… se tournent vers le gaz naturel liquéfié (GNL) ou encore vers le charbon, dont les prix battent également des records. L’augmentation du coût des quotas d’émission de gaz à effet de serre en Europe contribuerait aussi à la hausse du prix du charbon. Côté énergies renouvelables, le vent a été particulièrement calme en Europe ces derniers temps. Le réchauffement climatique a en outre un impact sur leur génération, comme en témoignent des sécheresses en Chine et en Amérique Latine qui y ont affecté la production d’hydroélectricité. Selon certaines nouvelles études, le réchauffement réduirait également le potentiel de l’éolien. La cause serait la diminution du différentiel de température entre le pôles et l’équateur(8)https://www.climatecentral.org/blogs/climate-in-context-global-warmings-potential-impact-on-wind-energy.

Cependant, cette liste de facteurs contributeurs ne permet pas de saisir le fond du problème : celui de la « transition énergétique », ou plutôt de l’absence de toute transition réelle. Comme l’affirme à juste titre Silvia Pastorelli(9)« What’s fuelling Europe’s energy crisis », Inside Story Aljazeera, débat video: https://www.youtube.com/watch?v=7fsMKLoyQyE, activiste et membre de Greenpeace, ce n’est pas le passage aux énergies renouvelables mais plutôt l’extrême lenteur de la transition qui permet d’expliquer la crise énergétique. Ainsi, les différents pays restent fort dépendants des énergies fossiles comme le gaz naturel. Pour donner l’exemple de la Belgique : la proportion d’électricité produite à partir du gaz était de 34% en 2020, ce qui représente une augmentation par rapport à 2019 (29%)(10)https://www.comparateur-energie.be/blog/mix-energetique-en-belgique/#mix. Pour le reste, la plus grande part était générée par le nucléaire (presque 40% en 2020). En Europe, la première source d’électricité est le nucléaire (24%), suivi par le gaz (19%), et le charbon reste également important (13%)(11)« Pourquoi les prix de l’énergie flambent-ils ? », Alternatives Economiques, 21 septembre. https://www.alternatives-economiques.fr/prix-de-lenergie-flambent/00100430. De grands pays « en voie de développement » comme la Chine ou l’Inde utilisent surtout le charbon, qui représente des parts de respectivement 57% et 70% de leur mix énergétique(12)“Global energy crunch, US burnout, and OPEC’s no 1 call”, Aljazeera, 1 octobre, https://www.aljazeera.com/economy/2021/10/1/global-energy-crunch-us-burnout-and-opecs-no-1-call; “As coal stocks shrink, India faces growing energy shortage crisis”, Aljazeera, 6 octobre, https://www.aljazeera.com/economy/2021/10/6/as-coal-stocks-shrink-india-faces-escalating-power-crisis. L’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) pour sa part estime que le pétrole conservera en 2045 sa première place dans le mix énergétique au niveau mondial, fournissant alors 28% de l’énergie mondiale(13)“OPEC says oil will remain number one, despite green energy push”, Aljazeera, 28 septembre, https://www.aljazeera.com/economy/2021/9/28/opec-says-oil-will-remain-no-1-despite-green-energy-push. Bref, on est encore très loin d’une économie mondiale où les sources renouvelables dominent la production d’énergie.

Pallier les échecs du libre marché…

Alors que faire face à une telle situation, où des effets plus temporaires ou superficielles se rajoutent à une transition énergétique beaucoup trop lente et insuffisante, créant -en plus des catastrophes climatiques- des hausses de prix qui affectent en premier lieu les couches sociales les plus précarisées et les pays les plus pauvres ?

Certains politiciens ou économistes, comme Johan Albrecht, « économiste de l’environnement » et membre du think thank Itinera, rejettent simplement toute intervention de l’état, au moins pour pallier à l’impact social : « Dans un marché libre, il faut accepter que les prix montent et battent des records. »(14)“Hoge energiefactuur verdwijnt niet met chèque”, De Tijd, 4 octobre, https://www.tijd.be/politiek-economie/belgie/federaal/hoge-energiefactuur-verdwijnt-niet-met-cheque/10336518.html Parler encore de « marché libre » alors que des subsides massifs ont été et sont toujours donnés non seulement pour soi-disant stimuler les « investissements verts » mais également pour la construction de nouvelles centrales de gaz dans le contexte de la sortie du nucléaire, est au minimum de la malhonnêteté intellectuelle. Une telle vision idéologique n’a comme but que de défendre les intérêts immédiats des actionnaires et du grand capital, en rejetant toute redistribution au profit de la classe travailleuse comme « trop coûteuse » ou ‘ »inefficace ».

D’autres penseurs vont, au nom du pragmatisme, accepter une transition énergétique plus lente, tout en sachant au fond qu’elle est ainsi incapable de fournir des solutions aux problèmes climatiques. Ainsi, dans le magazine The Economist, on donne un exemple concret d’un début de « transition » qui n’en est pas réellement une : en remplaçant ses centrales au charbon entre autres par de l’énergie éolienne, la Grande-Bretagne est devenue de plus en plus dépendante sur les importations de gaz naturel(15)“Britain’s gas market is broken”, The Economist, septembre 25, https://www.economist.com/britain/britains-gas-market-is-broken/21804952. Dans le même article, les idéologiques libéraux précisent sans ambages le dilemme auquel la Grande-Bretagne ferait face aujourd’hui, dans le contexte des hausses des prix et des pénuries de l’énergie : « Maintenant, à l’approche de la conférence sur le climat cop26 en Novembre à Glasgow, la Grande-Bretagne doit choisir entre laisser s’effondrer son marché de l’énergie ou offrir de vastes subsides pour les combustibles fossiles. »(16)Il existe un tas de formulations, souvent plus subtiles, qui expriment plus ou moins la même idée. Par exemple, dans le débat « What’s fuelling Europe’s energy crisis? » organisé par Aljazeera, l’économiste Cornelia Meyer souligne qu’on fait face à une crise écologique mais également à une crise sociale. Par conséquent, il faudrait garantir selon elle que pendant la transition, on continue à fournir suffisamment d’énergie générée par des ‘sources fossiles relativement propres’ (sans spécifier lesquelles). Ceci notamment afin d’éviter une situation où beaucoup de personnes à revenu faible seraient obligées de ‘choisir entre le chauffage et la nourriture’. (Elle semble oublier qu’en fait il y a déjà des dizaines ou des centaines de millions de personnes sur terre qui vivent dans une telle situation de pauvreté, ou pire encore.)

La plupart des propositions semblent toutefois aller dans le sens d’une intervention publique ayant pour but de contrebalancer les « défauts du marché ». Dans le cadre de la hausse des prix, différentes propositions ont été mises sur la table en Belgique(17)Ces propositions et des critiques de la Creg sont discutées dans l’article « Flambée des prix de l’énergie : pas d’embellie avant l’été 2022 », Le Soir, 6 octobre, https://www.lesoir.be/398842/article/2021-10-06/flambee-des-prix-de-lenergie-pas-dembellie-avant-lete-2022. La proposition du PS est d’utiliser les recettes de TVA, qui augmentent automatiquement suite à l’augmentation des prix de l’énergie, pour attribuer à chacun des ménages un chèque de 100 euros, sans différencier selon les besoins. Le MR plaide plutôt pour un système de « cliquet » qui permettrait d’ajuster les taxes et accises sur l’énergie en sens inverse des mouvements de prix. Ecolo et Groen sont pour un prolongement du tarif social covid des prix du gaz et de l’électricité. Celui-ci a permis d’étendre un système de tarif réduit de l’énergie à plus de personnes à faibles revenus (impliquant un doublement du nombre de bénéficiaires en pratique). Entretemps, le gouvernement Vivaldi a approuvé un prolongement de cette extension du tarif social jusqu’au premier trimestre 2022. En outre, il a été décidé de remplacer tous les prélèvements fédéraux sur l’énergie par un droit d’accise. Ce dernier serait plus flexible en termes d’ajustement, au lieu d’augmenter automatiquement avec les prix.

Le PTB quant à lui plaide pour une baisse de la TVA sur les produits énergétiques de 21% à 6%. Etant donné que la consommation de produits de base comme l’énergie constitue une dépense bien plus importante en proportion du revenu pour les ménages les plus précaires, une baisse de cette taxe sur la consommation est en effet une mesure progressive. Même s’il faut alors mettre en place un mécanisme qui empêche cette baisse de reporter une révision à la hausse des salaires selon l’indexation automatique(18)L’indexation automatique des salaires en Belgique est basée sur un indice de prix qui inclut les prix de l’énergie, y compris les taxes. Une forte et plus durable hausse des prix de l’énergie provoque donc normalement une hausse automatique des salaires, sauf si une baisse simultanée de la TVA réduit l’effet comptabilisé sur l’indice des prix. C’est pourquoi il faut baisser la TVA tout en évitant la comptabilisation de cette baisse pour déterminer l’indice des prix..

D’autres mesures ont été prises ailleurs en Europe. Par exemple, un blocage du tarif du gaz jusqu’en avril a été décidé par le gouvernement français. Toutefois, il s’agit là d’un lissage du tarif en non d’une réduction nette de la facture. En effet, si les prix baissent après l’hiver, ce à quoi les décideurs politiques s’attendent, le tarif restera toujours inchangé au lieu de diminuer(19)« Le bouclier tarifaire repond-il à la crise énergétique ? », Alternatives Economiques, 6 octobre, https://www.alternatives-economiques.fr/bouclier-tarifaire-repond-a-crise-energetique/00100686. Dans l’Etat espagnol, on a décidé de jouer sur les taxes, en abaissant la TVA de 21% à 10% et en supprimant la taxe sur la production d’énergie(20)« La facture d’électricité explose en Espagne », Alternatives Economiques, 23 septembre, https://www.alternatives-economiques.fr/andreu-misse/facture-delectricite-explose-espagne/00100370. En outre, le gouvernement du social-démocrate Pedro Sanchez, une coalition dont fait partie le parti de gauche « plus radicale’ » Podemos, a décidé de rediriger un montant d’environ 2,6 milliards d’euros de bénéfices exceptionnels des entreprises énergétiques –notamment des usines hydroélectriques et nucléaires- vers les consommateurs/trices(21)“Spain cuts soaring energy prices with emergency measures”, The Guardian, 14 septembre, https://www.theguardian.com/world/2021/sep/14/spain-cuts-soaring-energy-prices-with-emergency-measures. La condamnation de cette initiative « qui va à l’encontre de l’efficacité du marché » par les entreprises concernées n’a pas tardée. Ces dernières envisagent de lancer une procédure en justice(22)“Nuclear power companies threaten to shut down plants if Spanish government takes action on soaring bills”, El País, septembre 15, https://english.elpais.com/economy-and-business/2021-09-15/nuclear-power-companies-threaten-to-shut-down-plants-if-spanish-government-takes-action-on-soaring-bills.html https://english.elpais.com/economy-and-business/2021-09-15/nuclear-power-companies-threaten-to-shut-down-plants-if-spanish-government-takes-action-on-soaring-bills.html. En Belgique, le gouvernement est resté plus sage jusqu’ici. La ministre de l’Energie Tinne Van der Straeten (Groen) a demandé à la Creg « d’étudier la possibilité » de taxer davantage les « éventuels surprofits » réalisés par les parcs éoliens offshore et les centrales nucléaires(23)« Les producteurs de l’électricité, grands gagnants de la hausse des prix ? », L’Echo, 6 octobre, https://www.lecho.be/entreprises/energie/les-producteurs-d-electricite-grands-gagnants-de-la-hausse-des-prix/10337023.html. Reste à voir ce qu’il en sera dans la pratique.

…est loin d’être suffisant

En somme, il est clair qu’aucune de ces mesures ne provoquera une redistribution sociale d’envergure s’inscrivant dans une réforme profonde de la fiscalité, ni de faire face au problème fondamental mentionné plus haut, celui de l’absence d’une réelle « transition énergétique », sans parler encore d’une « transition écologique ». Au mieux elles peuvent adoucir un peu l’impact de la hausse des prix pour les ménages les plus pauvres sans trop affecter les budgets publics.

Pourtant il est absolument indispensable de lier la lutte écologique avec une lutte sociale et démocratique. Autant la critique de Silvia Pastorelli sur la transition beaucoup trop lente est justifiée, autant ses « solutions » proposées sont insuffisantes et risquent de créer une aversion répandue pour la lutte climatique. Selon elle, le Green Deal européen « va dans le bon sens » mais reste de loin insuffisant compte tenu de l’urgence de la crise climatique. Alors afin de ne plus retarder la transition, il faut à son avis que « nous bougions les investissements dans une autre direction ». « On doit envoyer le signal fort [au marché] que les subsides pour l’énergie fossile doivent être très vite éliminées » et « cet argent doit être investi dans les énergies renouvelables, le stockage, les piles, les interconnections, etc. » C’est donc « le marché » qui doit être illuminé en lui envoyant le « signal fort » que la transition est bien urgente. Pas un mot sur la constatation que c’est justement à cause du fonctionnement du marché, et malgré des subsides massifs pour les renouvelables, que non seulement la transition énergétique est beaucoup trop lente, mais qu’elle entraîne en même temps des effets sociaux très néfastes. Quant à ces derniers, ce n’est que plus tard dans le débat que Silvia Pastorelli mentionne la nécessité que « les gouvernements » (Lesquels ? Avec quels moyens ?) « aient des plans » pour celles et ceux qui risquent le plus de faire face à la pauvreté énergétique. À part une aide européenne qui devrait être accordée aux pays en voie de développement, ce seraient d’ailleurs encore une fois « les bons signaux » aux investisseurs qui permettraient de résoudre les problèmes sociaux du sud global.

Pas un mot non plus sur l’idée qu’on devrait peut-être réfléchir non seulement sur notre mode de production, mais aussi sur combien on produit et pour quels buts. Quid des activités énergivores totalement inutiles ou même nocives, telles que la production d’armes, celle de voitures, avions et bateaux de luxe, la 5G, la publicité, etc. ?

Enfin, l’activiste de Greenpeace parle de « nous » comme si chacun et chacune a son mot à dire sur les décisions des gouvernements. Sans parler encore des décisions prises par les fonds d’investissement, les grandes banques, les grands détenteurs de capitaux.

La « transition » sera révolutionnaire, ou elle ne sera pas

En conclusion, laisser faire les marchés implique que des investissements en déclin dans les énergies fossiles (où la profitabilité future n’est plus aussi certaine) ainsi que des investissements insuffisants dans les énergies renouvelables, combinés à une demande croissante d’énergie liée à une reprise économique au sein du système capitaliste, font nécessairement augmenter les prix. Les effets sociaux néfastes qui s’ensuivent, et qui ne peuvent être compensés par des mesures gouvernementales que partiellement et temporairement, risquent ainsi de pousser de plus en plus de familles dans la précarité. En outre, un tas de « mesures vertes » implémentées dans le cadre de la « transition » sont elles-mêmes clairement antisociales. Ainsi, supprimer le tarif spécial du mazout de chauffage en tant que subside aux fossiles, sans compensation, constitue une attaque brutale contre les revenus des ménages qui se chauffent encore au fuel (et qui appartiennent souvent aux couches les plus pauvres de la population). Ou encore : on introduit des zones basses émissions dans les grandes villes où on interdit l’accès à des voitures plus anciennes –considérées comme plus polluantes- tout en accueillant chaleureusement les Porsche et les Range Rover les plus « modernes ». Qui d’ailleurs peut se permettre d’acheter une Tesla, « la solution technique » aux problèmes de pollution(24)Le gouvernement belge a préféré maintenir le système d’avantage fiscal pour les voitures de société, qui dans quelques années devront être électriques pour en bénéficier, plutôt que d’utiliser cet argent publique pour investir plus dans la sécurité sociale, les transports publics,… ?

Négliger cet impact social risque de mettre en péril des conditions de vie aussi bien que l’indispensable convergence des luttes économiques, sociales et écologiques.

C’est pourquoi il faut défendre des mesures immédiates qui permettent une redistribution de moyens et d’accès aux ressources énergétiques vers la classe travailleuse, et en particulier vers les couches les plus pauvres, au détriment des actionnaires qui profitent des hausses des prix et des profits tout court.

Mais surtout, il faut oser aller plus loin : la seule manière de combiner de réelles avancées en termes de lutte écologique et en termes de justice sociale, c’est de rejeter toute dépendance d’une « transition énergétique » ou « écologique » sur les mécanismes de marché et donc sur les perspectives de profit. Ce dernier étant accaparé par une minorité à travers la sacrée propriété privée et une exploitation continue de la vaste majorité de la population mondiale.

Ou encore : il faut oser rejeter un mode de production qui par ses propres dynamiques a besoin d’une croissance continue de la production et de la consommation. Comme l’ont illustré de nombreuses crises économiques dans le passé, une absence de croissance au sein du système capitaliste ne peut qu’entraîner une misère généralisée.

Face à la dictature du capital, il faut donc surtout opposer l’alternative d’une appropriation collective et démocratique des décisions sur les besoins à satisfaire ainsi que sur les moyens et les méthodes pour les satisfaire. En particulier, une socialisation de l’énergie –avec gestion collective au niveau de la production aussi bien que celui de la distribution- est une condition nécessaire pour une réelle transition énergétique sociale et écologique.

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