Les instances de différentes formations politiques montoises ont accepté le 7 novembre dernier de mettre en place une nouvelle majorité. Autour de la liste du Bourgmestre (PS), on retrouve Ecolo et, grande première, le PTB. La fameuse « union des gauches », tant attendue par une partie de la gauche sociale et politique, aura donc sa première expérimentation locale dans la cité du Doudou.

Alors que Forest vient elle aussi d’annoncer une tripartite rouge-verte, et que Molenbeek et Schaerbeek semblent toujours potentiellement concernées, c’est bien à Mons que revient la primeur de la « montée historique au pouvoir », pour la première fois en Wallonie ces dernières décennies, d’un parti issu de la gauche radicale, se revendiquant du marxisme.

Il n’a pas fallu longtemps pour que Georges-Louis Bouchez (GLB) se fende d’un nouveau post nauséabond sur les réseaux sociaux, aux relents racistes et populistes. Le président du MR réaffirme une fois de plus sa dégringolade vers les bas-fonds puants de la droite extrême, entraînant avec lui toute la droite « libérale » francophone.

Au centre-gauche de l’échiquier politique, on notera avec une certaine ironie que le PS de Paul Magnette et Nicolas Martin se retrouve aujourd’hui à accepter une alliance qu’il considérait jusqu’ici comme « contre nature ». Le Bureau du PS trouve apparemment moins « contre-nature » ses alliances systématiques et répétées avec le MR. Mais l’attitude détestable de GLB n’a pas vraiment laissé le choix au Bourgmestre Nicolas Martin, qui n’en finit pas de rassurer sur son « identité social-démocrate » défenseur de l’initiative privée.

Au pouvoir ?

Le PTB avait annoncé sa volonté de participer à des majorités et avait concentré ses forces militantes sur les « grandes » villes. Cela pourrait à première vue sembler payant, mais jetons-y un œil de plus près.

On ne connaît pas encore tous les détails de l’accord de majorité mais les premiers commentaires des leaders des partis qui la composent semblent indiquer qu’on restera dans la continuité. Nicolas Martin, actuel bourgmestre, a déclaré qu’il avait convaincu le PTB de garder la « priorité à l’entreprise privée pour poursuivre la redynamisation économique de la ville. » ; « Le PTB s’est montré modéré et constructif », a-t-il ajouté. L’objectif de M. Martin est clair : mouiller le PTB dans l’exécutif tout en montrant que rien ne change fondamentalement puisque tout serait déjà inscrit dans son programme. 

De son côté, Céline De Bruyn, future échevine PTB, a reconnu avoir revu ses ambitions à la baisse : « C’est clair que dans notre programme, on demandait un investissement dans les services publics. On va le faire mais en revoyant certaines ambitions car on a accepté de s’inscrire dans le cadre financier et économique imposé par le Crac (Centre régional d’aide aux communes) et le Plan Oxygène ». (1)« L’accord de majorité montois respecte les sensibilités de chaque parti », Le Soir, 08/11/2024, https://www.lesoir.be/634871/article/2024-11-08/laccord-de-majorite-montois-respecte-les-sensibilites-de-chaque-parti

Rien de bien transcendant donc. La « prise de pouvoir » du PTB est bien loin de la « Révolution du 13 Octobre ». Selon nous, si le PTB se retrouve piégé dans cette majorité, c’est bien parce qu’il le voulait !

Avec ses quatre élu·es au Conseil Communal et sa seule échevine, le PTB ne pèsera pas lourd et sera enfermé dans cette logique qui a paralysé Ecolo avant lui à différents niveaux. D’autant que les bazookas du petit Trump local vont cracher du feu contre cette nouvelle majorité. À Mons, il n’y aura plus qu’une opposition de droite dure à une majorité de « gauche » molle ! Il faudra donc juger sur pièce, soutenir ce qui peut l’être. Revendiquer et mobiliser pour aller plus loin quand c’est nécessaire.

Sur quel programme ? 

D’après ce qui circule actuellement dans la presse et sur le site du PTB (2)« Le PTB rentre dans la majorité communale à Mons », PTB, 08/11/2024, https://www.ptb.be/actualites/le-ptb-rentre-dans-la-majorite-communale-mons, les mesures obtenues par celui-ci sont les suivantes : 

« La nouvelle majorité va par exemple baisser les taxes pour les ménages : gel des taxes poubelles, carte parking riverain gratuite (au lieu du coût actuel fixé à 20 ou 50 euros), réévaluation de la taxe égouts… »

« L’accord prévoit un renforcement des services publics, notamment par une augmentation des services de nettoyage et de ramassage des déchets dans la Ville et les villages. »

« Plusieurs initiatives destinées aux jeunes seront prises, telles que la création d’un centre culturel pour les jeunes. »

« La majorité va travailler à rendre les loyers accessibles en construisant plus de 200 nouveaux logements publics, en rénovant plus de 1 000 logements sociaux, en assurant l’objectif de 10% de logements à loyer social dans les nouveaux projets immobiliers. »

« Des mesures spécifiques seront également mises en place pour renforcer la sécurité, avec l’arrivée de nouveaux agents de quartier qui serviront de points de contact directs pour les habitants et joueront un rôle fondamental dans la prévention et la médiation des conflits locaux. Lors des festivités, des dispositifs comme des ‘points mauves’ (pour répondre aux violences faites aux femmes lors des festivités) et la distribution gratuite d’eau seront mis en place pour garantir la sécurité et le bien-être de toutes et tous. »

Quelques baisses de taxes, quelques améliorations des services de nettoyage, quelques policiers en plus (sic!)… pas de quoi faire trembler le grand capital. Soulignons quand même les avancées annoncées sur le logement public et social. Il faudra voir en fin de législature si cet agenda a été tenu (qui va construire les 200 logements publics, quand et avec quels financements ?) Soulignons également la mise en place de « points mauves » lors de festivités locales, cette revendication figure parmi celles mises en avant par le Collectif 8 Mars à Mons.

Au-delà de cela, pas grand chose de plus pour le moment. Les projets de spéculation immobilière issus de « l’initiative privée » ne seront apparemment pas remis en cause (par exemple le projet de bétonisation d’un espace vert promu par Belfius pour la création d’appartements de standing, contre lequel un recours a été introduit par un collectif riverain au Conseil d’État). 

Mons a pu bénéficier pendant de nombreuses années d’un système de bus gratuits dans l’intra-muros. Aucune trace de cette revendication pourtant généralement portée par le PTB. Ecolo aurait également pu défendre ce genre de mesure. Une remise en gratuité des bus intra-muros, avec extension aux villages du Grand Mons, avec augmentation des cadences et des zones desservies pourrait être une piste à creuser pour désengorger le centre-ville et par la même occasion améliorer la qualité de l’air en ville. Au lieu de cela, on va se retrouver avec… la construction d’un nouveau parking et une heure de parking gratuit supplémentaire (3)« L’accord de majorité montois respecte les sensibilités de chaque parti », Ibid..

Notons au passage qu’Ecolo rempile avec l’échevinat de la « Participation citoyenne », coquille vide sans réelle structure institutionnelle derrière étant donné que tous les « Conseils consultatifs » déjà en place sont aux mains de la présidence du CPAS, et donc de la liste du Bourgmestre (PS).

D’une manière générale, la participation et l’implication de la population sont les grandes absentes de cette nouvelle majorité. C’est pourtant un point central dans l’élaboration d’un projet de rupture anticapitaliste. Il est donc nécessaire de sortir de l’entre-soi dans le Collège Communal en mettant en place des mécanismes d’information systématique et de mobilisation de la population sur les projets qui les concernent.

Quelques points clés devraient être rapidement mis en avant :
– une publicité autour du pacte de majorité élaboré par les trois formations politiques qui forment la majorité et en liant chaque projet concret à ce cadre général ;
– les autorités de la Ville doivent mettre en place sans tarder les nouveaux Conseils Consultatifs en respectant à la lettre les dispositions prévues par la Région Wallonne à propos de la Fonction Consultative en Wallonie. Il s’agit notamment d’informer ces Conseils Consultatifs des projets du Collège, de leurs coûts et timing et de leur demander de formuler des avis en toute indépendance à leur sujet, avis à communiquer au Conseil Communal qui doit trancher ;
– En matière de logement, la Ville doit établir la liste des bâtiments publics inoccupés qui pourraient être utilisés pour du logement ou des activités sociales et culturelles, consulter les Conseils compétents afin de définir des projets de réaffectation rapide ;
– Favoriser l’expression citoyenne sur les différents projets de la ville en organisant des séances d’information régulières dans les quartiers et les villages, des consultations citoyennes…

Il est évident que ces avancées démocratiques ne peuvent être conquises qu’avec la mobilisation de la population et l’unité d’action des mouvements sociaux.

Et dans la région ?

Ailleurs dans le Borinage, il est un peu plus difficile de discerner les clivages gauche/droite. Un PS plus rose que rouge par-ci, une multitude de combinaisons aux contours incertains par-là…

En gros, la plupart des communes qui avaient une majorité absolue l’ont gardée. La seule surprise est venue de Frameries où les socialistes au pouvoir depuis 120 ans sont évincés. C’est une incontestable victoire pour GLB qui a su faire monter le MR dans une majorité avec BeFrameries (Ecolo/Engagés). Il n’y a chez nous aucun regret pour la chute du PS local que le pouvoir et les combines ont incontestablement usé. Par contre, nous ne pouvons que regretter que dans cette tourmente locale, des militant·es sincères du combat du collectif la « Nature sans Friture » se retrouvent embarqué·es sur une liste et dans une alliance contre-nature.

Il est aussi utile de constater que tout ce mic-mac à Frameries est une des conséquences de l’absence de liste PTB lors de ces élections, lui qui avait trois élu·es dans le Conseil communal sortant. Cette décision de ne pas déposer de liste à Frameries (ni d’ailleurs dans les autres grosses communes du Borinage) a été imposée aux militant·es locaux pour « appliquer la décision de la direction du Parti de se concentrer sur les grandes villes ».

Il est certain qu’une partie de cet électorat s’est déplacée, par glissements successifs, vers la droite. On mesure aujourd’hui combien ce choix a pesé dans les résultats de cette grande agglomération que constitue le Borinage (4)Au 1er janvier 2024, les 13 communes de l’agglomération de Mons-Borinage comptaient 260 855 habitant·es. Il est évident qu’en refusant à ses militant·es de déposer des listes à Boussu, Saint-Ghislain, Quaregnon, Colfontaine et Frameries, non seulement le PTB les a déçu·es mais il est surtout passé à côté d’une dizaine de mandats potentiels (5)Calcul rapide sur base du pourcentage le plus bas obtenu par le PTB dans le Hainaut (Tournai – 8,04%) . Après deux campagnes électorales où le PTB martelait des « il faut renforcer le PTB et le rendre incontournable », le résultat est plus que mitigé. Dans la mandature qui s’achève il détenait six élu·es : trois à Frameries et trois à Mons. Il lui en reste quatre…

Et maintenant ? 

La manière dont le PTB a construit son récit ces dernières années ne pouvait mener qu’à une participation au pouvoir, sous peine de décevoir son électorat et de se voir systématiquement renvoyer l’image d’un parti « qui ne prend pas ses responsabilités ». Le PTB le fait de manière progressive, en commençant par l’échelon local. Mais à terme, cela pourrait l’amener à gouverner à d’autres niveaux de pouvoir (région, fédéral un jour ?) La question à se poser alors est : pour quoi faire ? 

Le système de coalitions « à la belge » peut facilement se révéler un piège pour un parti qui se présente comme le parti de « la rupture ». Sera-t-il capable d’aller chercher autre chose que des réductions de taxes sur les poubelles et les places de parking ? 

Dans sa déclaration après le scrutin du 13 octobre, la Gauche anticapitaliste affirmait : « Pour que de nouveaux seuils soient atteints, il sera nécessaire pour le PTB de s’ouvrir à des politiques unitaires à gauche et dans le mouvement social et de ne pas s’enfermer dans l’idée que son fonctionnement et son organisation seraient capables à eux seuls de permettre de larges victoires sociales et politiques pour la classe travailleuse. » (6)« Après l’isoloir, lutter ensemble », Gauche anticapitaliste, 15/10/2024, https://www.gaucheanticapitaliste.org/apres-lisoloir-lutter-ensemble/

Il est clair que monter dans des majorités ne signifie pas « détenir le pouvoir », et encore moins au niveau communal. Une vraie politique de rupture implique de confronter le pouvoir à tous les niveaux. Avoir des elu·es dans les instances législatives ou exécutives ne peut être utile que si celles et ceux-ci mettent leurs mandats au service des luttes et sortent la politique des cénacles dans lesquels elle est enfermée. « Au service des luttes », pas au service du parti… 

C’est dans cette optique que la Gauche anticapitaliste interviendra dans les prochains mois là où elle est présente, afin de soutenir ce qui représente des avancées tangibles, et de mobiliser contre tout ce qui ne fait que perpétuer le système en place. 

Crédit photo : Interpellation citoyenne à Mons (Gauche anticapitaliste / CC BY-NC-SA 4.0)

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