Le nationalisme flamand est né au début du XXe siècle au sein du mouvement flamand qui était devenu ensuite majoritairement catholique et infecté par des idées de l’extrême-droite. L’objectif d’un parti comme le Vlaamsch Nationalistisch Verbond (VNV) était la formation d’une nation flamande qui devait donner naissance à un État-nation. C’était le rêve bourgeois d’une petite-bourgeoisie sans pourvoir économique notable mais active au sein du parlement belge et dans ce qu’on appelle la société civile.

Le nationalisme est né des révolutions bourgeoises où l’État-nation est considéré comme instrument de lutte sur le marché mondial. L’État-nation doit se montrer fort et uni et il est affaibli par la lutte des classes soumises. Les classes sociales doivent vivre en harmonie, comme les différents organes dans un corps sain. L’idéologie nationaliste est son opium et le nationalisme flamand a dû inventer sa drogue à lui. Il a imité en cela la démarche de la Belgique, qui depuis sa naissance en 1831, donna aux intellectuels l’ordre de produire les mythes qui devaient légitimer l’existence de la nation. Un de ces intellectuels, l’historien de renom Henri Pirenne, n’hésita pas à situer l’origine de la nation belge au temps de César : c’étaient les Ancien Belges. Les mythes du nationalisme flamand parlent entre autres de la splendeur de la période bourguignonne avec son commerce et ses peintres, la guerre des paysans contre les sans-culottes incroyants à la fin du 18ième siècle et naturellement la bataille des éperons d’or de 1302 où les communards battirent une armée de chevaliers français.

Mais si ces mythes ont influencé tant soit peu l’idée que les gens du nord du pays se font d’eux-mêmes, il n’est pas sûr qu’il se considèrent comme une nation en tant que telle. On ne peut considérer la Flandre actuelle comme une communauté de destin : son histoire est, quand on fait abstraction des mythes, trop récente. La Flandre comme région politique autonome de la Belgique fédéralisée n’existe que depuis 1993. La Flandre dont parlent les nationalistes est l’ancien comté qui couvrait plus ou moins les provinces de la Flandre occidentale (Bruges) et orientale (Gand), tandis que les provinces du Brabant et du Limbourg faisaient bande à part. Mais on connaît l’irrédentisme des nationalistes : ils s’intéressent ainsi toujours à la Flandre française (Lille, où se trouvait la chambre des comptes de Flandre). Il est amusant de faire remarquer au nationalistes que la Flandre actuelle doit son existence à la Belgique. Si la « révolution » de 1830 avait échoué, nos provinces auraient continué à faire partie du Royaume Uni de Pays-Bas et la petite bourgeoisie n’aurait eu aucune raison de se révolter contre une francophonie dominante. Sans mouvement flamand, pas de nationalisme flamand et pas de Flandre.

Cela dit, il n’est pas sûr du tout que la population flamande se considère comme un nation accomplie dans tous les sens du terme. Leur sentiment d’identité reste très vague et c’est précisément la raison pour laquelle les nationalistes veulent en forger une. Dans ce but ils sont actifs à différents niveaux : populisme xénophobe et/ou raciste, tactiques électorales et politique culturelle. Si la N-VA, parti nationaliste et néo-libéral critique l’immigration tout en se gardant de paraître ouvertement raciste, le Vlaams Belang ne se gêne pas. Sur le plan politique les deux formations nationalistes flamandes considèrent la structure fédéraliste de la Belgique comme insuffisante : dans les pourparlers actuels pour former un gouvernement flamand, le chef de la N-VA Bart de Wever, après un flirt avec le VB auquel il a perdu beaucoup de voix, fait tout son possible pour se présenter comme une victime et la « Flandre » avec lui. Quand-à la formation d’un gouvernement fédéral, étant le parti majoritaire en Flandre, il prétend refuser une coalition avec le parti majoritaire en Wallonie, le PS, le socialisme étant le grand ennemi de ce néolibéral qui accuse la Wallonie de piller les richesses flamandes. Mais former un gouvernement fédéral sans le PS est quasi impossible. Il faut persuader la population flamande que la faute en incombe à la gauche (socialistes et verts) et renforcer ainsi le nationalisme. En même temps De Wever tente de cacher ses pertes électorales substantielles dans les élections du 26 mai dernier.

Une autre tactique concerne la culture, instrument classique du nationalisme. Dans une note préparatoire à la formation d’un gouvernement flamand, Bart de Wever a exigé l’élaboration d’un canon de l’histoire de Flandre, comme une ligne directrice dans l’enseignement de l’histoire, qui doit servir à forger une identité nationale dans la jeunesse. C’est avouer que cette identité n’existe pas vraiment ou en tout cas vaguement. Les intellectuels nationalistes auront naturellement leur place dans les institutions flamandes pour élaborer cette identité préfabriquée. Il faut que la jeunesse commémore les « périodes glorieuses de la Flandre », et y puisent une fierté nationaliste. Il s’agit naturellement d’une manipulation de l’histoire et plusieurs historiens sérieux viennent d’attaquer le procédé. La question de l’identité qui hante aujourd’hui les États-nations dans la tourmente de la globalisation mondiale, et qui pose un problème réel, est une question qui a les faveurs de tous les mouvement nationalistes-populistes.

Mais au lieu de regarder vers le passé il faut aller de l’avant : forger une identité basée sur les luttes émancipatrices des classes soumises, contre l’exploitation de la force de travail et l’oppression dans toutes ses formes. Il faut être fier d’avoir construit ensemble une sécurité sociale de bonne qualité. Être fier d’un passé glorieux en se soumettant au libéralisme ne nous avance pas sur cette voie.

Revenons à la tactique de la N-VA. Il n’est pas du tout sûr que la N-VA veut la fin de la Belgique. Ce qui est sûr c’est que le nationalisme flamand veut « enfumer » les socialistes francophones pour les faire accepter les exigences nationalistes de la N-VA : d’abord et avant tout la division de la sécurité sociale entre les deux communautés, pas important vers la domination de la bourgeoisie de la Flandre sur le reste de l’État belge. Mais les choses peuvent changer. La politique nationaliste flamande porte en soi l’exacerbation du sentiment anti-francophone avec tous les dangers que cela implique. Si la N-VA continue à rejeter un gouvernement fédéral de coalition avec les socialistes francophones Wallons et si ces derniers refusent des concession substantielles au nationalisme flamand (le « confédéralisme »), la Belgique pourra se briser. Il n’est pas sûr que « Le Capital » (Flamand, Wallon, Belge et Européen) acceptera ce danger. Mais « Le Capital » ne règne pas toujours. On verra ce qui se passera dans les mois à venir.

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