Les personnes ayant reçu un Ordre de quitter le territoire (OQT) sont présentées comme délinquantes ou terroristes, stop à l’amalgame ! Suite à l’attentat terroriste du 16 octobre 2023 à Bruxelles, Nicole De Moor, secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration revient à la charge : il faut exécuter les OQT et multiplier les éloignements pour « lutter contre le terrorisme ».

Ce discours est un discours démagogique visant à attirer l’électorat d’extrême droite. Il se base sur des a priori, des données tronquées, voire des mensonges. Il ignore les réalités vécues par les personnes migrantes, depuis le départ de leur pays d’origine jusqu’au refus qui leur a été notifié après leur demande de protection internationale et/ou de régularisation de leur séjour en Belgique. C’est aussi un discours qui s’inscrit dans la ligne du Pacte européen sur l’Asile et la Migration dont un des objectifs est le durcissement, l’amplification de la politique de retour.

Revenons au fait qui a déclenché cette avalanche de discours anti-migrants. Si l’attentat terroriste du 16 octobre 2023 est bien le fait de quelqu’un qui avait reçu un OQT, les premiers éléments de l’enquête ont en fait montré que c’est un dysfonctionnement judiciaire, lié aux manques de moyens de la justice, qu’il fallait mettre en cause : la Belgique n’avait pas donné suite à la demande d’extradition de la Tunisie pour un homme qui avait commis un crime de droit commun.

Ce n’est donc pas parce que l’on a reçu un OQT qu’on devient terroriste ! La secrétaire d’État nous dit qu’il y a eu 25.000 OQT délivrés en 2022, 99,99 % de ces personnes ayant reçu un OQT ne sont pas devenues des terroristes…

Mais revenons sur ce chiffre de 25.000. Tout d’abord il n’est pas correct. Les chiffres du rapport 2022 de l’Office des Étrangers (1)Office des Étrangers, Rapport 2022, page 56. nous disent ceci : il y a eu 24.727 « interceptions », c’est-à-dire des contrôles de police, et non pas OQT ! Un contrôle de police ne signifie pas un délit (ex. des opérations de contrôle dans les gares, les trains, etc.)

Pour ces 24.627 « interceptions », il y a eu 1690 décisions de maintien (détentions en centre fermé), 7967 OQT et 4666 confirmations d’OQT (personnes qui avaient déjà reçu un OQT précédemment) ; beaucoup d’autres sont des personnes en ordre de séjour ou en procédure, ou mineurs. Quant à ceux qui ont été interpellés dans le cadre d’un délit ou d’un crime, ils sont envoyés en prison par le parquet. Au total on a donc 12.633 personnes ayant reçu un OQT, qui n’ont pas été placées en centre fermé. Le chiffre est ainsi réduit de moitié. Mensonge donc d’une propagande visant à effrayer !

Les « ordres de quitter le territoire » sont avant tout un refus de protection de personnes en grande vulnérabilité

Il faut savoir qu’en Belgique en 2022, le taux de protection internationale était de 43 % ; cela signifie qu’environ 60% de personnes se sont vu refuser l’asile ou la protection subsidiaire. (2)Rapport annuel CGRA 2022, page 14. Ce taux varie selon les années, plus élevé à certains moments, par exemple dans les années qui ont suivi le début de la guerre en Syrie, moindre à d’autres moments.

Comment expliquer cela ? En réalité beaucoup de personnes se retrouvent face à un refus parce que les réalités vécues dans leurs pays d’origines n’ont pas été prises en compte, « manque de preuves » leur dit-on… Il en est ainsi pour de nombreuses personnes victimes de persécutions : atteintes aux droits humains, absence de liberté politique, liberté de culte, violences sexistes, homophobes, etc. Les conséquences de la dette, de l’exploitation du Nord par le Sud, les impacts du réchauffement climatique sur la vie des populations sont purement et simplement ignorés, et ne constituent pas un motif de demande de protection internationale.

Beaucoup de personnes sont aussi « dublinées », c’est-à-dire renvoyées vers le premier pays par lequel elles sont arrivées (Italie, Espagne, Grèce, Croatie…) ; on ne prend pas en compte leur souhait de vivre dans un autre État, où elles ont souvent de la famille, des ami·e·s qui les attendent.

Nous, militant·e·s qui soutenons les sans-papiers dans leur combat pour la régularisation, nous connaissons très bien ces personnes qui ont reçu des OQT, des victimes de guerre (car toutes les guerres ne sont pas reconnues, ou encore on considère que la région d’où vient la personne d’un pays en guerre est sûre!), des femmes qui ont fui un mariage forcé, les mutilations sexuelles ou la violence conjugale, des personnes dont quasi toute la famille a été assassinée par un dictateur en place, des victimes de persécutions liés à l’orientation sexuelle, des victimes de massacres liés à des extrémismes religieux, des victimes de racisme ; et puis des personnes qui ne reçoivent plus de salaire à cause de l’effondrement des services publics dans leur pays, qui ont perdu leur terre ; des parents qui ne veulent plus que leurs enfants soient des esclaves, etc., etc., la liste serait longue…

Ces personnes n’ont pu obtenir un séjour légal ici ; après avoir reçu un OQT, beaucoup d’entre elles sont restées, pas d’autre choix ! Tout comme d’autres qui sont arrivées ici pour étudier et ont perdu le titre de séjour. Il y a aussi les personnes qui demandent un regroupement familial avec leur conjoint, leurs parents, leurs enfants, et ne l’obtiennent pas, car les conditions sont drastiques, notamment la condition de revenu (2048 euros). Ou encore celles qui arrivent ici simplement pour travailler, parce que cela n’est plus possible chez elles, et qui ont des compétences à nous offrir.

Après de longues années de séjour, de formations, de scolarisation des enfants, de travail aussi – clandestin, avec souvent une surexploitation -, une participation à la vie citoyenne… elles introduisent une demande de régularisation. Et là, quels que soient les éléments mis en avant dans la demande, le couperet tombe. En 2022, il y a eu seulement 31% de décisions favorables pour les demandes introduites sur base de l’article 9bis (demande de régularisation humanitaire pour circonstances exceptionnelles). (3)Office des Étrangers, Rapport 2022, page 26.

Le nouveau projet de loi de Nicole de Moor : l’obligation de coopérer à un retour « volontaire » !

Le 22 novembre 2023, le projet de loi de la secrétaire d’État à l’Asile et la Migration, Nicole de Moor, « pour une politique de retour proactive », a été adopté en Commission de l’Intérieur. Il sera bientôt proposé en séance plénière au Parlement.

Il s’agit de mesures scandaleuses dont le seul objectif est d’augmenter le nombre d’éloignements du territoire. Les personnes qui ont reçu un ordre de quitter le territoire, et peu importe qu’elles aient introduit un recours, devront collaborer à leur retour. Depuis 2021, on connaît les coachs ICAM (Individual Case Management) de l’Office des Étrangers : ils convoquent les personnes afin de les convaincre d’accepter un retour volontaire. Aujourd’hui il est clairement indiqué dans ce projet de loi, que si la personne ne coopère pas, elle présente un « risque de fuite » et qu’elle doit être placée en détention administrative dans un centre fermé, ou encore assignée à domicile !

Les coachs ICAM pourraient conserver les documents de voyage afin de s’assurer que les personnes prennent bien un vol réservé. Des examens médicaux peuvent être réalisés sous la contrainte dans le cadre de la mesure d’éloignement si le pays de destination ou le transporteur l’exigent (4)Pour rappel, des personnes ont pu échapper à un rapatriement parce qu’elles refusaient le test covid. : contrainte physique, clef de bras, menottes aux mains et aux pieds. (5)https://www.lesoir.be/550938/article/2023-11-22/migration-malaise-dans-la-majorite-autour-dune-mesure-de-la-loi-retour Il s’agit d’une grave atteinte à la vie privée et à l’intégrité physique. (6)Avis de Move, pour en finir avec la détention des migrants, page 5. En outre, les escortes pour les expulsions seront renforcées par des agents de l’Office des Étrangers et de Frontex.

Hervé Rigot (membre PS de la Commission de l’Intérieur) et Simon Moutquin (Membre Ecolo) ont expliqué avoir accepté ce projet (voté en Commission ce 11 janvier) parce qu’enfin on allait adopter l’arrêté royal interdisant l’enfermement des familles, et que les visites domiciliaires n’y figuraient pas. Ces deux députés ont marqué leur soutien à plusieurs reprises à la lutte contre les centres fermés et à la régularisation des sans-papiers. Comment peuvent-ils ratifier de tels projets ? Pour ne pas mettre en cause la coalition Vivaldi ? De plus, la secrétaire d’État a toujours les visites domiciliaires dans ses projets !

Par ailleurs, de nouveaux centres fermés seront mis en place : Jumet, Zandvliet (près d’Anvers) et Jabbeke (remplaçant le centre fermé de Bruges devenu vétuste), ainsi qu’un nouveau centre de retour à côté du 127 bis à Zaventem. C’est en fait ce qui est déjà dans l’accord de gouvernement Vivaldi, l’application du Master Plan élaboré précédemment par Theo Francken. Le tout vise à augmenter la capacité de détention en centres fermés qui passerait à 1145 personnes, et à augmenter le nombre d’expulsions. Cet accord date donc de 2020. On pouvait se réjouir du fait que ce Master Plan n’avait pu être mis en œuvre jusqu’à présent ; nous devons nous mobiliser dans les mois qui viennent pour empêcher tout début de réalisation !

En même temps Nicole de Moor tente d’obtenir un maximum d’accords de réadmission de la part des pays d’origine, ou pays tiers.

Le Pacte européen sur la migration et l’asile : NOT IN MY NAME !

Ce Pacte, en discussion depuis 2020, est proposé par la Commission européenne. Un accord est intervenu le 20 décembre entre la Commission et les négociateurs du Parlement et du Conseil européen. Le texte doit être finalisé et approuvé par le Conseil et le Parlement avant les élections, soit sous la Présidence belge.

Comme le déclare François Gemenne (entretien avec Joëlle Meskens et Ugo Santkin dans Le Soir) (7)https://www.lesoir.be/557244/article/2023-12-22/francois-gemenne-les-democrates-se-couchent-de-plus-en-plus-devant-lextreme, en France et en Europe « les démocrates se couchent devant l’extrême droite ». En effet ce pacte a comme objectif principal le refoulement, l’éloignement des personnes qui cherchent à trouver une protection, un accueil dans l’Union européenne.

Le contenu du plan :

  • La délivrance de visa vers les différents pays de l’UE sera liée à la délivrance de laissez-passer pour les expulsions.
  • La coopération au développement est conditionnée par la politique migratoire menée par les pays « bénéficiaires »
  • L’UE veut multiplier les accords de réadmission avec les pays d’origine, il y en a déjà beaucoup, pour expulser encore plus.
  • Une augmentation des forces de FRONTEX et des refoulements aux frontières des pays de transit : exemples Lybie, Tunisie, Egypte, Niger et dans les pays situés sur la route des Balkans.
  • Le développement des « Hot Spots » , actuellement camps à ciel ouvert, en Grèce, en Italie, etc. Il s’agit d’un « tri aux frontières » de l’UE. Cette procédure accélérée concernera toutes celles et ceux qui ont franchi les frontières illégalement, ou ont été secourus en mer ! Certains seront directement refoulés et expulsés, par exemple des demandeurs d’asile déjà déboutés auparavant. Elle concernera aussi les personnes qui proviennent d’un pays dont les ressortissants obtiennent dans l’Union Européenne un taux de reconnaissance de moins de 20% : il y en a beaucoup, la plupart de ceux qui ne proviennent pas d’un pays en guerre. Et il est prévu de créer 30.000 places dans des centres fermés aux frontières qui détiendront y compris des familles avec enfants . Seuls quelques heureux élus pourront mener une procédure normale d’asile. (8)Pour ceci et tout le reste : https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2023/12/20/the-counsiand-the-european-parliament-reach-breakthrough-in-reform-of-
  • L’enjeu de ce Pacte européen était une solidarité entre les États membres pour l’accueil des demandeur·euses d’asile. Qu’en est-il ?
    Tout d’abord, les accords de Dublin restent en vigueur : le premier pays d’arrivée reste le pays responsable de la demande d’asile, même si des exceptions sont possibles dans certains cas : un diplôme acquis dans un pays ou une possibilité de rejoindre de la famille en ordre de séjour, mais à condition que l’État concerné l’accepte. On augmente même le délai durant lequel l’État membre de première entrée est responsable à 20 mois.
  • Il doit y avoir une solidarité entre États, objectif de relocalisation de 30.000 personnes vers les États moins concernés par les arrivées de demandeurs d’asile. Cependant les États peuvent se soustraire à cette obligation par une contribution financière, logistique ou matérielle. Nul doute que par exemple la Hongrie de Victor Orban, gouvernement d’extrême-droite raciste et xénophobe, sautera sur l’occasion ; mais bien d’autres aussi…
  • En cas de « crise », c-à-d d’importants flux migratoires, les États pourront déroger au droit d’asile, notamment suspendre l’enregistrement des demandes pendant un mois, ou modifier les critères dans le cadre de la procédure à la frontière, par exemple en relevant le taux pour les procédures accélérées pour celles et ceux dont le taux de reconnaissance serait en dessous de 50%. On a connu les refoulements de la Grèce vers la Turquie en 2020, de la Pologne vers la Biélorussie. On pourrait même réintroduire des contrôles aux frontières intérieures de l’UE. Cela a déjà eu lieu, entre la France et la Belgique (entre Calais et la côte belge), ou entre la France et l’Italie (Vintimille).
  • Partout, on va développer la politique de retour volontaire, sous contrainte !

Ce pacte ne va pas mettre fin aux migrations, parce qu’elles sont inéluctables. Pour échapper aux contrôles, aux identifications, aux refoulements, etc., d’autres routes, des traversées plus dangereuses encore seront tentées. Et en limitant le droit d’asile et de déplacement entre les États de l’UE, on continue à fabriquer des « sans-papiers » qui alimentent toute une série de secteurs de l’économie européenne, dans l’agriculture, la construction, l’Horeca, les services aux personnes, le nettoyage, etc., surexploités, dont profitent toute une série de patrons. Et dans la précarité les rejoignent toutes celles et ceux à la rue, sans logement, sans droits.

L’Union européenne, c’est la libre circulation des marchandises, des capitaux, pas des personnes qui cherchent un accueil, suite à toutes les insécurités dans leurs pays d’origine (voir au début de l’article) dont cette même Union européenne est responsable ou complice. Ces personnes en migration veulent contribuer au bien-être commun ! Nous sommes parmi les soutiens de tous les mouvements et associations de sans-papiers pour la régularisation, l’obtention d’un titre de séjour et d’une égalité des droits !

Plus que jamais, face à toutes ces politiques migratoires à la fois mortifères et générant la surexploitation des personnes migrantes, nous réaffirmons les droits d’asile, de liberté de circulation et d’installation.

Photo : Occupation de l’église du Béguinage à Bruxelles par des personnes sans-papier, novembre 2021. (Dominique Botte / Gauche anticapitaliste / CC BY-NC-SA 4.0)

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