Les crises politiques de plus en plus longues et inextricables en Belgique font couler beaucoup d’encre et de salive dans les médias. « Pourquoi ces blocages ? Pourquoi le CDV, la NVA, le PS, les Verts, n’abandonnent-ils pas leurs exclusives ? Est-ce le régime politique qui est inadapté ? Ne faut-il pas introduire une circonscription électorale nationale, re-nationaliser des compétences ? » Etc.

Ces questions restent dans la sphère politique-institutionnelle, elles n’abordent pas le fond du problème. Celui-ci est pourtant assez simple :

1. Comme partout, le patronat veut intensifier et accélérer les politiques néolibérales d’austérité, de démantèlement de la sécu et du bien public et de désagrégation/neutralisation du mouvement ouvrier organisé;

2. Tant sur le plan social que sur le plan politique, le champ pour cette offensive est plus libre en Flandre qu’en Wallonie et à Bruxelles. La FGTB est faible et plus droitière qu’au Sud et l’ACW (le MOC flamand) reste composante du CD&V, l’ACV étant en fait restée à peu près sur la ligne collaborationniste de Jef Houthuys, de sinistre mémoire;

3. Pourtant, le patronat flamand (VOKA) ne peut pas profiter de ce champ libre autant qu’il le voudrait. Il est freiné par l’existence de mécanismes (les conventions collectives nationales et la sécurité sociale nationale) qui font peser en Flandre le fait que le syndicalisme au Sud du pays (pas seulement la FGTB, aussi la CSC-MOC) n’est pas aussi « souple » qu’au Nord;

4. Ces différences Nord-Sud sur le plan social se répercutent évidemment sur le plan politique. Les paysages politiques du Nord et du Sud le montrent de façon évidente : majorité d’extrême-droite possible en Flandre, majorité de (centre-) gauche possible en Wallonie;

5. La NVA pratique un chantage : soit on lui laisse imposer la politique du VOKA au niveau fédéral, soit elle menace de torpiller l’Etat belge. La droite francophone et le patronat wallon sont bien conscients du fait que cette politique renforce leur propre croisade néolibérale. Comme le disait en substance Reynders il y a quelques années: «si le gouvernement mène une politique de rigueur, il n’y a pas besoin de réforme de l’Etat »;

6. La monarchie intervient dans le même sens mais avec ses intérêts spécifiques de clique parasitaire : comme sa survie dépend de celle de l’Etat « fédéral », elle veut à la fois la NVA et le PS au gouvernement. Si ce n’est pas possible, elle pourrait être tentée de mettre en piste un gouvernement de « techniciens » ou « d’experts », soi-disant « non politiques » (comme en Italie il y a quelques années). Ce serait une solution anti-démocratique (et, n’en doutons pas, anti-sociale!), mais la monarchie (et d’autres) la présenteraient comme nécessaire pour « sauver le pays et la Sécu ».

7. Que découle-t-il de tout cela ? Que dans la coulisse du balais politicien autour du Palais royal, il y a de vrais enjeux sociaux et politiques extrêmement importants pour la population et pour le monde du travail en particulier. Un de ces enjeux est de savoir « qui portera le chapeau » : la NVA et le VOKA avec leur programme à la Thatcher, ou la FGTB qui pousse le PS à ne pas aller encore plus loin dans le social-libéralisme ? Cet enjeu, et d’autres, doit être éclairé et expliqué, afin d’aider le mouvement ouvrier à s’orienter. Parler de « cirque », renvoyer les protagonistes dos à dos en les accusant de « diviser le peuple » pour défendre leurs gros traitements est une grossière erreur. Cela sème la confusion, favorise les sentiments anti-politiques et risque même – qui sait? – de faire le jeu d’une solution autoritaire autour du palais;

8. On le voit bien dans l’affaire du déficit de 12 milliards. Paul Magnette veut un audit du tax-shift et dit que le PS n’entrera pas dans un gouvernement pour boucher le trou creusé par Mr Patate(1)Charles Michel. Il a raison. Il fait cette déclaration parce qu’il a peur, en continuant la politique social-libérale de Di Rupo, de perdre encore plus de voix au PTB et d’influence dans la FGTB. (En plus, il n’a pas vraiment d’alternative à cette politique de Di Rupo.) Mais… il a raison quand même. Il faut un audit du tax shift, et de tout ce qui a creusé ce trou (les baisses de « charges patronales », par exemple, et les intérêts sur la dette publique aux banques!). Il faut identifier les responsables de ce trou gigantesque, creusé en dépit du fait que tous les gouvernements, depuis quarante ans (et particulièrement celui de Mr Patate), prétendent agir pour « l’équilibre budgétaire »;

Conclusion : Les classes populaires sont « en grande colère », oui. Mais il faut éclairer cette colère pour favoriser l’unité de combat du monde du travail contre le monde du capital. L’idée d’un audit de la dette publique est une idée excellente, propagée depuis des années par des ONG militantes. Dire en substance « tous pourris », « à bas les élites » au moment où le président du PS sort cette carte de sa manche pour ne pas se retrouver avec le « valet puant » n’est, à mon humble avis, pas vraiment la meilleure chose à faire (c’est un euphémisme) quand on est de gauche.

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