Ian Buruma, redacteur du New York Times Review of Books, compare les relations de Hitler et de Trump avec leurs entrepreneurs milliardaires respectifs. Le terme socialiste dans le nom du parti nazi aurait effrayé les entrepreneurs. Mais en 1933 Hitler promettait, à Fritz von Opel, Gustave Krupp, Friedrich Flick et autres capitalistes du Herrenclub, qu’il ne toucherait pas à leurs richesses. Par la suite le Herrenclub vint financièrement au secours de Hitler. Donald Trump lui aussi peut compter sur le soutien des milliardaires. Mais, remarque Buruma, on n’est pas en 1933.

Les partis communistes d’alors prétendaient que le fascisme était l’expression directe du capitalisme dans sa forme la plus brutale et débridée. Buruma conteste cette thèse. « Ni le fascisme, ni le national-socialisme s’enthousiasmèrent pour le capitalisme, en tout cas pas dans sa forme libérale. Et pas tout dans le Troisième Reich ou dans l’Italie de Mussolini était au service d’une oligarchie de milliardaires. (…) En réalité c’est Hitler qui a acheté en 1933 le Herrenclub, ainsi que les officiers supérieurs de la Wehrmacht. Son régime n’était pas le terminus du capitalisme. Il a utilisé les capitalistes pour ses propres fins criminelles. »

Je crois que c’est plutôt le contraire, que le grand capital a choisi Hitler, afin de sauver le pays du socialisme ou en tout cas de leurs profits. On ne peut certainement pas nier que la politique et l’économique possèdent une certaine autonomie. Si j’ai bien compris Ian Buruma les capitalistes allemands ont été les dupes de la politique de Hitler. Mais comment expliquer alors pourquoi les gens du Herrenclub et leurs entreprises ont-ils survécu à la guerre? Les capitalistes américains, dont le sympathisant nazi Henry Ford, ont par contre préféré ne pas livrer leur pays à une guerre dévastatrice. Cela me semble une interprétation unidimensionnelle de la 2e guerre mondiale. Les capitalistes allemands non plus ne voulaient pas la destruction matérielle et morale de leur pays. Ils ont simplement misé sur le mauvais cheval. Ils ne voyaient pas d’autre issue à leur problèmes que la dictature, en l’occurrence celle des nazis.

Rappelons quelques faits historiques. Dans la crise qui frappait l’Allemagne, deux grand partis, le SPD social-démocrate et le KPD communiste menaçaient le régime bourgeois et le pouvoir des entrepreneurs. La démocratie parlementaire n’était pas en mesure d’écarter ce danger. Hitler n’est pas parvenu au pouvoir par des élections mais a été nommé chancelier par le maréchal Hindenburg sur les insistances de la bourgeoisie. Le taux de profit avait retrouvé sa vigueur suite à la politique économique du NSDAP. Le régime fut accueilli par la bourgeoisie européenne entière. Il n’était d’aucune manière anticapitaliste. En réalité il fustigeait démagogiquement le soi-disant “mauvais” capital, supposé celui des Juifs et des autres financiers, tout cela pour attirer une petite bourgeoisie déclassée et les autres victimes de la crise, gens qui se faisaient des illusions sur les remèdes proposés par les nazis. Une fois au pouvoir Hitler liquidait le SA, l’organisation soi-disant prolétaire du parti sous la direction de Röhm, qui fut assassiné.

Il est exact que les capitalistes dans leur grande majorité n’exerçaient pas le pouvoir en Allemagne nazie. Mais le régime était incontestablement un régime capitaliste. On ne peut attendre d’un parti nationaliste qui a ses origines dans une petite bourgeoisie déclassée, liée à des éléments bourgeois et aristocratiques imbus d’une idéologie populiste-ethnique (Volkstumlich), qu’il se prononce clairement en faveur du capitalisme. Le « Capital » ne règne pas, il utilise pour se maintenir au pouvoir des politiciens professionnels, qui tiennent compte des rapports de forces entre les différents groupes et classes sociales. Si la démocratie parlementaire ne suffit pas, on passe à une forme de dictature et les entrepreneurs sont obligés d’utiliser pour cela ce qui est disponible. En 1933 c’était le NSDAP et ses organisation paramilitaires SA et SS. Si on isole les fascistes du régime de la libre entreprise on dispense le capitalisme de sa responsabilité dans la montée du fascisme. C’est l’illusion de démocrates qui croient que le régime parlementaire est la seule alternative pour garantir une société juste.

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