Le 21 mai 2021 a eu lieu en Suisse une journée d’actions et de mobilisations à l’occasion de la Grève pour l’Avenir. Plus de 75 actions se sont déroulées dans tout le pays rassemblant diverses mouvements écologistes, féministes, syndicaux et paysans afin de souligner l’urgence climatique et sociale. Trois jours auparavant, la Commission écosocialiste de la Gauche anticapitaliste en collaboration avec la Formation Léon Lesoil avait organisé une conférence(1)À revoir ici : https://fb.watch/5THOGmqw_D/ avec quatre militant.e.s impliqué.e.s dans la Grève pour l’Avenir afin de comprendre les dessous de cette grande mobilisation dont les revendications appellent à la convergences des luttes écologiques et sociales. 

D’où vient le mouvement pour le climat ?

La Grève pour le Climat est une antenne du mouvement Fridays for Future, grève scolaire pour le climat lancée en Suède par Greta Thunberg en août 2018. Selon Steven Tamburini (militant de la Grève du Climat et solidaritéS Vaud, membre du Syndicat des Services Publics (SSP) et engagé au sein de la Grève pour l’Avenir), une série d’événements a amené les jeunes à prendre conscience de l’urgence climatique : l’année 2018 caniculaire, le rapport du GIEC sur le réchauffement de 1,5°C(2)https://www.ipcc.ch/languages-2/francais/ et l’échec de la révision de la loi sur le CO2 en Suisse(3)https://www.uvek.admin.ch/uvek/fr/home/detec/votations/loi-sur-le-co2.html. Cette prise de conscience a lancé la réflexion stratégique ; en d’autres mots, le mouvement a réalisé que, pour avoir un impact réel, une organisation au niveau national était nécessaire. Des réunions nationales ont donc été organisées et, d’après Steven Tamburini, c’est lors de la quatrième réunion en juillet 2019 que deux orientations stratégiques se sont démarquées au sein du mouvement. La première soutenait qu’il fallait continuer le travail institutionnel tout en le reliant à des actions de désobéissance civile de masse. La seconde orientation se concentrait plutôt sur le rapport de force dans lequel le Mouvement pour le climat évolue. Cette dernière a fini par prendre le dessus et un constat s’en est dégagé : pour avoir un impact en tant qu’acteur social et ainsi renverser le rapport de force, le Mouvement pour le climat devait promouvoir la convergence des différentes luttes écologiques, féministes, syndicales et paysannes et mettre de l’avant l’idée d’une grève générale. C’est donc ainsi qu’émergea l’idée d’une Grève pour l’Avenir.

Le travail sur le terrain a débuté avec les militant.e.s pour le climat qui sont allé.e.s chercher dans un premier temps des appuis chez les féministes, les syndicalistes et le monde paysan. L’objectif était de dépasser le clivage et les stéréotypes pour favoriser la discussion entre les mouvements. L’organisation s’est faite de manière décentralisée au niveau local, régional et national tout en coordonnant les différents mouvements pour qu’ils avancent ensemble et élaborent un programme de transition pour sortir du capitalisme et proposer des alternatives. Le Mouvement pour le climat a ainsi élaboré un plan d’action pour la neutralité carbone en 2030 revendiquant entre autres la reconnaissance de l’urgence climatique et un changement de système.

Le rôle de la Grève féministe

Pour Léa Ziegler (syndicaliste au Syndicat des Services Publics (SSP), militante de la Grève féministe à Neuchâtel et engagée au sein de la Grève pour l’Avenir), le Mouvement pour le climat en Suisse a été grandement influencé par la Grève féministe. Cette influence prend racine dans la grève des femmes du 14 juin 1991 qui avait pour objectif de faire appliquer l’article constitutionnel sur l’égalité homme-femme adopté 10 ans auparavant. Les femmes revendiquaient entre autres l’égalité salariale, le droit à l’avortement, un meilleur partage du travail rémunéré et non rémunéré ainsi que la reconnaissance du travail non rémunéré dans l’assurance sociale. Malgré quelques victoires, le mouvement s’est essoufflé notamment en raison des politiques néolibérales des années 1990.

Selon Léa Ziegler, le mouvement a tout de même persisté grâce aux associations féministes. Et en 2018, dans un contexte de dégradation des conditions de travail des femmes, une Grève féministe s’est organisée sous l’impulsion des syndicats et du mouvement #MeToo. Des collectifs régionaux sont mis en place pour créer un rapport de force et sensibiliser la population aux enjeux féministes, que ce soient les discriminations salariales, le système de retraite égalitaire, le partage du travail rémunéré et non rémunéré ou encore les luttes antiracistes. Le mouvement a adopté ainsi un manifeste en 14 revendications avec pour objectif d’inclure le plus de mouvements féministes possible.

C’est le 14 juin 2019(4)https://2019-2020.14juin.ch/grevedesfemmes/ que tous ces efforts se sont matérialisés. D’après Léa Ziegler, la mobilisation a provoqué « une onde de choc avec 500 000 personnes dans la rue ». Il y a non seulement eu une grève du travail rémunéré mais aussi une grève du travail reproductif et du travail du soin. Comme le mouvement était très large, il a continué à vivre et à maintenir des liens avec les collectifs. Il y a eu un impact fort sur la société et cela a permis de politiser beaucoup de jeunes femmes qui ont par la suite apporté une dimension féministe à la Grève pour l’Avenir.   

Écoféminisme et convergence des luttes

L’apport de cette nouvelle dimension à la Grève pour l’Avenir met l’emphase sur le courant écoféministe. Selon Natalia Luque (militante dans la Grève féministe et la Grève pour l’Avenir), l’écoféminisme représente une pluralité de mouvements avec diverses revendications selon le contexte, comme l’opposition au nucléaire, à l’extractivisme minier, à la déforestation. 

L’idée au centre de cette pluralité de mouvement est de repenser la place de l’humanité sur la Terre tout en combinant justice pour les humains et écologie sociale. L’écoféminisme représente aussi un enrichissement de l’écologie par les enjeux féministes et vice versa un enrichissement du féminisme par la compréhension de l’urgence climatique. L’écoféminisme vise à comprendre l’articulation entre l’exploitation de la nature et l’oppression des femmes et des minorités. Le constat écoféministe étant que le patriarcat, le capitalisme et le colonialisme sont des mécanismes de contrôle des terres, des êtres vivants et des humain pour conserver le pouvoir. 

Pour Natalia Luque, la convergence des luttes se traduit dans la Grève pour l’Avenir par l’entrée des mouvements féministes. Au niveau local et régional, les assises, organe de décision qui oriente les revendications féministes, ont pris la décision d’entrer dans le Mouvement pour le climat et la Grève pour l’Avenir. Cela a contribué à la convergence des luttes car les membres des groupes écoféministes étaient impliqué.e.s localement dans plusieurs autres collectifs (luttes paysannes, climat, syndicat). Cela a favorisé la constitution de grands réseaux d’opposition aux systèmes d’oppression. Ce qui a permis, selon Natalia Luque, « de vivre cette intersectionnalité d’oppression ». Les revendications sont donc très larges : réduction du temps de travail, repenser et revaloriser les tâches productives et reproductives, interdire la finance toxique, luttes paysannes et souveraineté alimentaire. Ce large réseau permet ainsi une présence dans beaucoup de luttes. Par contre, cette force constitue en même temps une faiblesse puisque le mouvement se trouve ainsi très éparpillé.

L’implication du secteur agricole et paysan

Selon Ella-Mona Chevalley (militante de la Grève du Climat et Jeunes Vert.exs, conseillère communale à Yverdon, engagée au sein d’Agriculture du Futur et de la Grève pour l’Avenir), c’est au niveau national que le mouvement pour le climat a abordé le sujet de l’agriculture, car en Suisse, 13 % des émissions de CO2 proviennent de l’élevage. L’idée est de dépasser la critique de l’agriculture et de voir cela plutôt comme une opportunité pour répondre au changement climatique, et proposer un changement de système. Il y a donc une volonté de lier la problématique du climat à l’agriculture et d’ouvrir un dialogue avec le monde agricole pour casser le clivage entre la ville et la campagne et chercher des revendications communes. Ce dialogue a permis de centrer les revendications contre les accords de libre-échange, opposés au monde agricole et à l’urgence climatique. 

Concrètement, ce dialogue avec le monde agricole a débuté avec une manifestation appelée « l’alimentation est politique ». Cette action était centrée sur l’articulation de trois thèmes – agriculture paysanne, agriculture sociale et agriculture écologique – dans le but de repenser le monde agricole. L’Union des Syndicats Agricoles ainsi que des petits agriculteurs bio y ont participé. L’idée était de sortir de l’agriculture en « silo » et de penser l’agriculture globalement, dans un circuit agriculteur-consommateur.   

Sur le terrain, la convergence a commencé avec le monde viticole et le mouvement des « Raisins de la colère ». Ce mouvement représente des jeunes agriculteurs qui réalisent qu’ils ne peuvent plus cultiver la terre comme leurs parents le faisaient. Ils voient les effets du changement climatique et sentent les pressions liées aux accords de libre-échange. Le mouvement des « Raisins de la colère » a été contacté par le Mouvement pour le climat pour les aider à organiser leur manifestation. Cependant, la convergence avec le monde agricole a ses limites dans le sens où ce secteur est très puissant en Suisse. Il est par ailleurs surtout représenté par le l’USP, qui promeut une agriculture d’exportation, autrement dit à l’opposé de la vision de la Grève pour le Climat et de leurs revendications paysannes.  

Syndicat : implication et revendications

Selon Léa Ziegler, suite au Mouvement pour le climat, plusieurs syndicats, dont l’Union syndicale suisse se sont engagés dans la Grève pour le Climat. Le Syndicat des Services Publics au niveau des communes et des cantons s’est lui aussi impliqué, justement au moment où se tenait un congrès du syndicat. Une résolution a été adopté: le syndicat s’est engagé à participer à la Grève pour le Climat et celle pour Avenir.

Sur le terrain, l’objectif était de mobiliser les travailleurs pour le 21 mai 2021. Bien que l’organisation n’ait pas été facile, des militants antérieurs, ainsi que plusieurs syndicats se sont  mobilisés. Cependant, certains secteurs sont restés en retrait, comme celui de l’aviation et de l’aéroport dont les travailleurs ont eu peur des implications de la Grève pour le Climat sur leur travail. A l’inverse, pour le Syndicat des Services Publics, la mobilisation a été plus facile puisque leurs revendications rentrent plus dans celles de la Grève pour l’Avenir. On pense notamment à la diminution du temps de travail sans réduction de salaire, la meilleure répartition du travail reproductif homme-femme, la reconnaissance de l’urgence climatique avec des mesures socialement plus justes.

Perspectives

La mobilisation des militant.e.s suisses de la Grève pour l’Avenir a démontré l’importance d’inclure tous les secteurs de travail dans les luttes écosocialistes et écoféministes, d’étendre les revendications syndicales et de faire de l’urgence climatique un enjeu syndical. La mobilisation repose aussi sur une bonne compréhension et diffusion des enjeux écologiques et sociaux entre les différents mouvements et collectifs. Que se soit en Suisse, en Belgique ou ailleurs dans le monde, un constat s’impose : il n’y aura pas de justice climatique sans justice sociale. Face à l’urgence climatique, au capitalisme et au patriarcat, il y a des alternatives écosocialistes et écoféministes !

En Belgique, la mobilisation commence le dimanche 20 juin 2021, 15h à la Gare de Manage pour « Enterrer le nucléaire et dire non au gaz »(5)L’événement Facebook : https://fb.me/e/Szjth5Q3 et se poursuit le dimanche 10 octobre 2021 à Bruxelles pour la Grande marche pour le climat.

Photo solidaritéS Vaud.

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