Le sort de Robert Vertenueil est donc scellé. Mais celui de la FGTB est plus incertain. Au moment où s’annoncent les pires catastrophes pour le monde du travail en Belgique, une de ses grandes organisations syndicales, la FGTB, est en proie à des guerres fratricides entre différentes couches de la bureaucratie syndicale.

La photo controversée

Si on en croit les récits de la presse bourgeoise, tout aurait commencé par cette rencontre assez peu banale, entre G-L Bouchez et le président de la FGTB, à sa demande (mercredi). Nous verrons par après que « l’affaire Vertenueil » couvait depuis des mois mais attardons-nous un instant sur la photo qui aurait pu immortaliser le « moment historique » (selon Vertenueil) : GLB affiche son plus beau sourire, tout émoustillé du bon coup médiatique qu’il vient de faire en prenant le patron de la FGTB à son propre piège… Lequel est pourtant lui aussi en extase. N’entonnent-ils pas ensemble un vibrant plaidoyer pour la conclusion d’un pacte social… « Que faire pour aider le monde des entreprises et le monde des travailleurs ? Nous devrons trouver les points d’équilibre pour dégager des solutions. Avec, au bout, un nouveau Pacte social (…) avec plus de flexibilité de la part des travailleurs » lance le président de la FGTB. En deux coups de cuillère à pot la presse s’en empare. On ne sait pas qui a dompté qui, peu importe, on nous vend du « renouveau syndical » et de « l’avancée positive dans le débat démocratique », ça change du syndicat Carapils non ? La photo, les sourires, les petites phrases font le tour de la planète syndicale. Dans l’appareil certains attrapent des boutons. Et des mots pas gentils s’échangent, à l’intérieur et bien vite à l’extérieur de l’organisation syndicale.

Le lendemain (jeudi) le service Presse de Vertenueil diffuse un communiqué qui est sensé remettre chacun à sa place :  Vertenueil se dit « inquiet et remonté. Le monde de demain souhaité par le MR ressemble furieusement au monde d’un passé lointain que l’on pensait révolu ». Il admet que la rencontre était certes cordiale, mais ajoute aussi que « Mr Bouchez est effectivement à la botte du patronat ». Normalement à la rue Haute, un communiqué (rarement répercuté ailleurs que sur le site de la FGTB) ça doit suffire à calmer le jeu, mais là plus personne ne comprend rien à rien. Enfin, si : Vertenueil est sur une mauvaise pente. Ses excuses très limitées (« une erreur de communication ») ne convainquent personne, il sent que certains « ont préparé la corde » et considère avoir été « lynché » au cours du Bureau de l’Interrégionale wallonne du vendredi.

Embrouilles bureaucratiques…

En fait Vertenueil connait bien les pratiques de ses collègues, pour les avoir utilisées tout au long de son ascension vers le Top de la FGTB. Le débat ne vient jamais sur le fond. Les apparatchiks ont tous besoin d’autres apparatchiks pour faire des majorités, pour se faire élire, pour faire passer une ligne, un projet, une promotion. On collabore mais on se hait chaleureusement. On a l’art de faire des compromis. On conclut des pactes, comme les actionnaires des entreprises. Et on les rompt à la première occasion.

Il faut analyser tous ces comportements bureaucratiques comme des comportements politiques.

Dans ce cas-ci en l’occurrence deux conceptions politiques de l’organisation syndicale s’affrontent depuis des mois, des années même. D’un côté les politiques d’austérité des gouvernements successifs demanderaient à être combattues au plus haut niveau, c’est-à-dire de manière interprofessionnelle et il faudrait donc que ça se marque en concentrant au maximum les ressources (humaines, financières, techniques…) sur le niveau interprofessionnel. Mais le pouvoir politique dans l’organisation syndicale est concentré autour de quelques grandes centrales professionnelles car ce sont elles qui perçoivent les cotisations des membres et décident ce que doivent être, à leurs yeux, les priorités. Bien plus qu’au Bureau Fédéral ou au Comité Fédéral, c’est dans une instance informelle, la réunion des Président.e.s de Centrales, que se prennent les décisions stratégiques. Bien malgré lui, Vertenueil est en train de faire l’expérience (vécue par d’autres à d’autres niveaux) de ces tensions dans l’appareil. Les difficultés financières bien connues des syndicats l’ont forcé à demander un effort financier aux Centrales ce qui n’allait pas sans des frictions…

Téléguidages politiques ?

Certains ont cru voir tantôt la patte du PS, dans la rencontre avec Bouchez, tantôt les griffes du PTB, dans le lynchage du camarade-président.

Je ne crois pas à ces versions de l’histoire.

Le PS, occupé à négocier en coulisses la formation d’un gouvernement aurait-il demandé à Vertenueil (dont la liaison avec le PS est connue) de lancer un ballon d’essai auprès du Président du MR ? Dans le style « vous lâchez un peu de pouvoir d’achat (sur le compte de la sécu ou des finances publiques), ça va relancer la consommation et la machine capitaliste va repartir, on colle là-dessus une pub Nouveau Pacte Social et ça marche » ? C’est peu probable. Car le PS doit convaincre son électorat que c’est dans l’intérêt général qu’il consentirait à monter au gouvernement avec le MR et la NVA mais il ne peut pas laisser un espace trop large au MR sur la scène politique. On chuchote d’ailleurs que le PS mène parallèlement des tractations pour modifier la majorité en Wallonie… sans le MR !

Donc la réception de GLB à la rue Haute, c’est lui donner trop d’importance.

Quant au rôle que la presse attribue au PTB dans la fragilisation de Vertenueil, cela me semble fort peu probable. Certes que des militants syndicaux, par ailleurs affilié.e.s au PTB, se soient sentis trahis par les honneurs faits à GLB dans leur maison c’est une réalité et ils l’ont fait savoir avec raison. Mais le projet politique du PTB n’est pas de combattre la bureaucratie syndicale, plutôt d’y prendre des places comme la social-démocratie le fait depuis des années. Je pense plutôt que ça arrange bien la presse qui voit les « gauchistes » partout, une autre manière d’invisibiliser les syndicalistes critiques, affilié.e.s, délégué.e.s et même permanent.e.s qui veulent remettre leurs syndicats sur les rails pour entamer les combats nécessaires.

Indépendance et Démocratie syndicale

Autre thème favori des journalistes : dénoncer les tendances « obscurantistes » des syndicats où on se permet de limoger les chefs… « Par son attitude sectaire, la nouvelle FGTB semble vouloir instaurer un climat semblable à celui de la Terreur. Les « ennemis du peuple », c’est-à-dire le MR, la N-VA et le patronat doivent être privés d’avocats et comme du temps de la Terreur, de simples « preuves morales » devraient suffire à les envoyer à l’échafaud » (dans l’éditorial de Trends -Tendances ce lundi). Un thème qui plait bien à GLB (encore lui) qui s’est fendu d’un tweet pour exprimer son soutien à Vertenueil.

En fait tout ce petit monde profite de l’occasion pour mener campagne contre les travailleurs organisés en syndicats. La faute principale du Président de la FGTB c’est d’avoir outrepassé les décisions de son organisation sur la question du Pacte Social et de l’avoir impliquée dans le champ politique, ce qui ne garantit plus son indépendance. Certes le fonctionnement interne est largement imparfait, certes s’y déroulent les complots et les règlements de comptes expliqués plus haut dans cet article, mais une organisation syndicale a le droit de sanctionner les dirigeant.e.s qui ont entrepris des actions ou démarches pour lesquelles iels n’avaient pas un mandat de leurs instances.

Les décisions des instances devraient être précédées de larges débats ou chacun peut développer son point de vue. C’est même comme ça que devraient fonctionner en permanence les organisations syndicales. Plutôt que des méthodes expéditives entre bureaucrates c’est dans la transparence et la démocratie la plus étendue que ce débat devrait se dérouler. En particulier à propos du thème d’un éventuel Pacte Social.

En effet le fond et les formes sont liés. Les affilié.e.s ont en souvenir ce qui s’est passé en décembre 2014 quand les directions syndicales ont imposé une trêve dans le plan d’actions syndicales contre le gouvernement de Mr Patate(1)Charles Michel. On a arrêté le combat pour « laisser une chance à la négociation ». On voit où cela nous a mené. Aujourd’hui on va directement à la case « Pacte » – un pacte qui prévoyait, entre autres, plus de flexibilité de la part des travailleurs – sans même avoir commencé le combat. Or, chacun sait que le camp patronal est déjà sur pied de guerre et profite du volet « Corona » d’une crise plus vaste (financière, écologique, systémique) pour reprendre du terrain aux travailleurs et leur faire payer l’addition.

Il est souhaitable que les syndicalistes sortent de cette spirale défaitiste et retrouvent le chemin du combat. Cela passe par la définition d’un plan syndical d’urgence pour combattre les licenciements, restructurations et fermetures qui commencent à tomber, pour empêcher un nouvel appauvrissement des classes populaires, pour stopper la précarisation, la flexibilité et l’exclusion galopantes. Et surtout pour refinancer la Sécurité Sociale, le seul vrai rempart notamment en matière de soins de santé. On pourrait utilement s’inspirer de « l’Opération Vérité » lancée par la FGTB au cours de l’année 1960 autour de son Plan de Réformes de Structures Anticapitalistes et qui avait débouché sur la grève du siècle.

« Il n’est pas de pacte loyal entre les hommes et les lions. »

L’Iliade HOMÈRE (IXe s. avant J.-C.)
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