Le samedi 27 mai à Bruxelles, le Café Laïque devait accueillir Marguerite Stern, figure de proue, avec Dora Moutot, de l’offensive transphobe qui provient des États-Unis et se développe désormais largement au sein des frontières françaises. À quelques jours de la Pride et de la journée internationale contre les violences homo- et transphobes, cette invitation ne relève pas d’une coïncidence, mais témoigne de la volonté du Café Laïque d’importer au sein des frontières belges les rhétoriques réactionnaires et transphobes dont Marguerite Stern représente la face émergée.

Bien que l’ex-femen ait finalement annulé sa venue (1)https://twitter.com/Margueritestern/status/1656926509452390400?s=20, c’était pour des raisons personnelles et non le résultat d’une pression de la société civile. Il est ainsi probable que ce ne soit que partie remise, ce qui justifie qu’on revienne ici sur la figure de Stern et sur les milieux de droite et d’extrême-droite grâce auxquels Stern propage ses idées.

Café Laïque et transphobie

Créé en février 2022, le Café Laïque se fait immédiatement l’écho des voix de droite et d’extrême-droite, développant un agenda conservateur obsédé par la question de l’Islam, mais également par la « lutte contre le wokisme » qui prendra notamment la forme d’attaques récurrentes contre les personnes trans, avec l’invitation le 15 décembre 2022 de Caroline Eliacheff et Céline Masson, psychanalystes de l’Observatoire de la petite sirène (2)Dont les activités et les liens avec l’extrême-droite sont notamment rappelés ici : http://petitesirene.org/, organisme fondé dans le sillage de la Manif pour tous en France, et qui centre l’essentiel de son activité d’une part sur la propagation d’idées transphobes, et d’autre part sur un travail de lobbying parlementaire qui cherche à entraver l’élaboration de lois facilitant la vie des personnes trans (3)L’organisme s’est notamment fait connaitre fin 2021, lors du vote d’une loi qui devait interdire les thérapies de conversion en France, ces pratiques qui consistent à chercher à modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne. L’observatoire avait alors envoyé une lettre à chaque parlementaire, afin de les convaincre de ne pas voter l’interdiction, sous le prétexte que le concept d’identité de genre serait trop vague : https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/therapies-de-conversion-ce-point-de-la-loi-qui-ne-fait-pas-l-unanimite_187524.html. Ce 18 mai, le Café Laïque accueillera en outre Marie-Jo Bonnet pour présenter son ouvrage Quand les filles deviennent des garçons, qui tente de produire une panique morale autour du phénomène de transition masculinisante, en agitant le foulard d’un pseudo scandale sanitaire pour nier leur autonomie aux personnes en demande de transition.

Recomposition des idéologies fascistes

L’émergence et la pérennisation d’une figure comme celle de Stern n’a rien d’anodin, mais témoigne d’une sensible recomposition idéologique du segment politique qui va de la droite la plus réactionnaire, souvent catholique, à l’extrême-droite : sans abandonner ses fondements racistes, cette nouvelle rhétorique s’empare depuis quelques années des existences trans pour en faire les épouvantails des « dérives progressistes » auxquelles ces groupuscules opposent les valeurs familiales et patriarcales traditionnelles. Cette stratégie, même si elle est encore hésitante dans la sphère francophone (4)https://toutesdesfemmes.fr/comment-la-droite-reactionnaire-construit-une-question-trans/, témoigne d’une tentative de semer un vent de panique et d’en récolter les fruits, en surfant sur la visibilisation accrues des personnes trans ces dernières années pour développer leur discours haineux.

Si Stern se défend régulièrement d’appartenir à l’extrême-droite, ses interventions pour Valeurs Actuelles (5)https://www.youtube.com/watch?v=-kmdgUqr9b4 (avec Dora Moutot), ses discussions avec le masculiniste Julien Rochedy (6)Voir ce threat sur Twitter., ou encore le fait que ses propos soient régulièrement repris parmi les journaux les plus réactionnaires (Causeur, Le Figaro, Marianne) devraient dissiper le moindre doute. S’il en faut plus, on notera que la française adopte également les procédés rhétoriques de l’extrême-droite : constitution et essentialisation d’un groupe ennemi (les personnes trans, en particulier les femmes), volonté de dénier l’existence des membres dudit groupe (en s’attaquant aux possibilité de transitionner, Stern et ses allié·e·s cherchent tout simplement à supprimer l’existence de ces personnes), référence à un puissant « lobby transactiviste » qui tirerait secrètement les ficelles du monde et chercherait à la faire taire, etc.

Marguerite Stern occupe cependant une place particulière au sein de cette nébuleuse fascisante, puisqu’elle fonde son propos sur sa lutte prétendument « féministe », alors que l’extrême-droite s’est historiquement largement constituée en opposition aux mouvements de libération des femmes. Sa position évoque forcément la constitution durant les années 2000 d’un nouveau bloc raciste à travers une stratégie que Sara R. Farris a nommé « fémonationalisme » (7)Stratégie que Françoise Vergès date déjà du début des années 1960, cf. https://www.cairn.info/un-feminisme-decolonial–9782358721745-page-67.htm, et qui consistait à instrumentaliser les luttes féministes à des fins de stigmatisation des populations migrantes et/ou racisées, en présentant notamment les hommes racisés comme la source de l’oppression des femmes, et en niant l’autonomie des femmes racisées, notamment musulmanes, dans une posture paternaliste (8)En France, les débats sur le port du voile ont été particulièrement représentatifs de cette nouvelle stratégie.. Si le fémonationalisme et son racisme décomplexé existent toujours bel et bien, il nous semble qu’on assiste à un phénomène parallèle avec des figures comme Stern ou Moutot, qui instrumentalisent les luttes féministes, mais à des fins transphobes. Ces deux logiques sont par ailleurs pleinement compatibles, comme en témoignent les quelques sorties de Stern contre l’Islam (9)https://www.lexpress.fr/idees-et-debats/marguerite-stern-on-a-le-droit-de-critiquer-des-ideologies-comme-l-islam-ou-le-transactivisme_2164248.html, ou encore le fait que le Café Laïque se fasse l’écho aussi bien des voix racistes que transphobes.

État des lieux et rapports de force

Depuis plusieurs années, on observe partout dans le monde une montée généralisée de la transphobie, que ce soit en France avec une obsession de la presse réactionnaire (10)Voir notamment cette étude de l’Association des journalistes LGBTI : http://transidentites.ajlgbt.info/ pour les questions trans, au Royaume-Uni où les groupes transphobes se sont organisé afin d’empêcher une loi permettant le changement de genre à 16 ans et ont obtenu gain de cause (11)https://www.liberation.fr/international/europe/londres-bloque-une-loi-ecossaise-sur-le-changement-de-genre-et-fache-lecosse-20230116_2ISUCHFMBFHBXEVG7MD3LNLIWY/, ou pire aux États-Unis où les lois antitrans se multiplient dans certains États, à travers des interdictions pour les personnes trans de faire du sport, de changer d’état civil, de devenir prof, etc. (12)https://www.washingtonpost.com/lifestyle/2022/10/14/anti-trans-bills/

Si nous avons pu être relativement épargné·e·s en Belgique, notamment en raison d’une extrême-droite désorganisée et d’un important travail antifasciste, la situation évolue sensiblement mais dramatiquement. En Wallonie, par exemple, on observe l’ascension de « Chez nous », groupe fascisant obsédé par l’immigration, et qui s’est également emparé de la rhétorique fémonationaliste, ce dont témoigne d’ailleurs l’invitation le 30 mars dernier d’Alice Cordier (13)https://www.dhnet.be/regions/charleroi/2023/02/03/un-rassemblement-dextreme-droite-interdit-a-charleroi-5BY2VMQ25FDQFNCX5KEWJVBP7U/, « féministe » identitaire à la tête du collectif Némésis, et il n’est pas exclus qu’on observe progressivement l’introduction de discours transphobes au sein de leur rhétorique.

C’est donc dans ce contexte qu’intervient l’invitation de Stern par le Café Laïque, témoignant de la volonté de la structure bruxelloise d’importer ces débats et ces idéologies au sein de nos frontières. Si Marguerite Stern bénéficie d’une relative méconnaissance de ses idées au sein des groupes antifascistes, profitant d’une rhétorique pseudo-féministe afin de propager ses idées nauséabondes, nous avons néanmoins tenté de montrer d’où provenaient ses propos, son vocabulaire et ses allié·e·s : Stern est une émanation des nouvelles forces fascistes. Si les idées d’extrême-droite se reconfigurent, il importe que les luttes antifascistes intègrent ces changements en affirmant que le TERFisme (14)L’acronyme TERF signifie « trans-exclusionnary radical feminist », et désigne les personnes qui se réclament du féminisme afin de développer une idéologie transmisogyne, c’est-à-dire qui s’attaque en priorité aux femmes trans. est un fascisme, et en le combattant comme tel. Une mobilisation est parvenue en avril dernier à empêcher Stern d’intervenir à Nantes (15)https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/04/05/a-nantes-la-venue-de-marguerite-stern-a-un-colloque-annulee-apres-des-menaces_6168322_3224.html, il importe qu’ici aussi l’union des forces antifascistes puissent s’emparer de ces questions et combattre ses propos.

Photo : Trans rights are Human rights (Ted Eytan / Creative Commons Attribution-ShareAlike 4.0 International License)

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