Qui est responsable de l’explosion des prix et de la destruction des écosystèmes ? Le capital fossile.
Qui protège le capital fossile ? La police.
Qu’est-ce qui peut déborder la police ? Le nombre.

Ce week-end, un coup de tonnerre a résonné dans le mouvement climat belge : la coalition Code Rouge, dont font partie la Gauche anticapitaliste et les Jeunes anticapitalistes, a réalisé sa première action avec succès. Samedi matin, à l’aube, 1200 personnes ont marché sur les sites de TotalEnergies à Feluy et à Wandre, entraînant, grâce au renfort des Gilets jaunes qui ont bloqué également le site de Namur, la fermeture de tous les dépôts de l’entreprise sur le territoire belge. S’enchaînant aux grilles ici, aux rails là, les activistes ont tenu les lieux jusqu’au dimanche midi, malgré le froid et l’humidité de la nuit.

Un bond en avant pour prendre conscience de notre force

Jamais encore une action de désobéissance civile d’une telle ampleur n’avait été organisée en Belgique. Si une leçon doit en être tirée, c’est celle de la puissance du nombre : la police peut faire beaucoup de choses, mais pas arrêter 1200 personnes qui ont annoncé publiquement leur intention de franchir n’importe quel obstacle placé sur leur chemin. Elle s’est donc contentée de tentatives d’intimidation un brin puériles, en tentant de montrer les gros bras : les canons à eau, la police montée, le bateau de la brigade fluviale, les drones, et même un hélicoptère qui vrombissait en permanence au-dessus de nos têtes. Mais à l’évidence, ils avaient plus peur de nous que nous d’eux.

Arriver à ce résultat n’a pas été facile : il a fallu faire travailler ensemble des organisations aussi diverses que Greenpeace, Extinction Rebellion, Youth for Climate, les Grands-parents pour le climat, Dégaze, Stop Alibaba, le réseau Ades, et nous… Inutile de le cacher : certaines discussions ont été longues. Mais le résultat valait le coup. Les participant·e·s à l’action étaient à l’image de la coalition : profondément différent·e·s, avec une bonne moitié de néo-militant·e·s, mais aussi des activistes chevronné·e·s ; bruxellois·e·s, wallon·ne·s, flamand·e·s ou internationaux/ales (merci aux camarades venu·e·s des sections espagnole et française de la Quatrième internationale !) ; et chantant des slogans allant de « On est plus chauds que le climat » à « À bas Total, l’État et le capital » – en passant par « Fin du monde, fin du mois : même système, même combat », « Burn patriarchy, not fossil fuel » et « One solution: revolution! » 

Au sein de l’action, cette diversité a été gérée d’une manière particulièrement intelligente, en répartissant les activistes dans des fingers (des groupes de plusieurs dizaines ou centaines de personnes, envoyés à différents endroits) en fonction d’une ambiance recherchée, qui correspondait aussi à des nuances politiques ; les messages les plus radicaux ont été portés par le finger vert, où était annoncée une ambiance « queer-féministe ». Une idée qui peut nous inspirer pour l’avenir.

Cette convergence est une excellente nouvelle, d’autant qu’elle ne s’arrête pas au mouvement climat : le collectif des Gilets jaunes de Belgique a mené sa propre action en solidarité avec la nôtre, et plusieurs de ses membres sont venu·e·s nous rendre visite à Feluy, entraînant des discussions que nous aurions dû avoir longtemps auparavant. Par un heureux hasard, l’action s’est faite au même moment que la grève des travailleurs/euses de Total en France ; après une longue discussion, les participant·e·s à l’un des fingers ont décidé d’écrire un texte de soutien aux grévistes [que nous reproduisons à la fin de cet article], appelant à la solidarité entre tou·te·s les exploité·e·s et les opprimé·e·s pour la justice sociale et climatique (1)Lu en direct sur les réseaux sociaux : https://fb.watch/g3WYRixcp_/. Quant à la manifestation de soutien qui a eu lieu le dimanche, elle a été l’occasion de nombreuses prises de paroles qui dénonçaient la responsabilité de Total dans la crise sociale que provoque l’augmentation des prix de l’énergie, et bien sûr son projet criminel de pipeline en Ouganda et en Tanzanie, sur le point de provoquer le déplacement forcé de plusieurs dizaines de milliers de personnes. La prise de parole de la CNE a de son côté été particulièrement combative, appelant à un front commun écologique et social. On peut remercier Total : en fournissant un ennemi commun aussi évident et caricatural aux luttes contre le changement climatique, contre la pauvreté et contre le néo-colonialisme, la multinationale a permis une véritable convergence, en paroles et en actes. À nous de la renforcer encore.

Et maintenant ?

Cette action a fait rentrer le mouvement climat dans une nouvelle phase : les possibilités ouvertes sont désormais immenses. Le rapport de forces a changé, et la notion même de rapport de forces a fait la preuve de sa pertinence. Des liens se sont créés qu’il va falloir faire fructifier. De nombreuses personnes ont goûté à l’action directe, et vont vouloir récidiver. Et bien sûr, la coalition Code Rouge est amenée à perdurer dans le temps : elle a acquis une structure et une expérience que l’on ne doit en aucun cas laisser dépérir. Avec la Gauche anticapitaliste et les Jeunes anticapitalistes, nous défendrons donc sa pérennisation.

Il faudra réfléchir au champ de nos prochaines actions et à leur articulation : tout le défi est de ne pas tomber dans l’action pour l’action, en passant d’un sujet à l’autre sans réelle cohérence. Dans la période, renforcer le rapport de forces qui a été instauré avec le capital fossile en général, et avec Total en particulier, est déjà un objectif sensé. Mais la coalition peut également devenir un outil au service des idées d’action venues de sa base militante, en mettant à leur disposition des moyens logistiques, juridiques et communicationnels qu’aucune des organisations membres ne peut fournir seule. De ce point de vue, il est fondamental que son mode de fonctionnement laisse une large place à la diversité des idées et des modes d’action, sans s’enfermer dans l’idée que la désobéissance civile non-violente est l’unique façon de mener des luttes. Le consensus d’action(2)Dans une action directe, le consensus d’action est le texte qui définit ce que les activistes peuvent faire et ne pas faire (notamment en termes de dégradation matérielle, d’attitude vis-à-vis de la police…). Ce ne sont pas des règles imposées, mais plutôt un ensemble de critères pour dire qu’un acte se situe dans ou en-dehors de l’action. Le consensus d’action du week-end des 8 et 9 octobre peut être trouvé ici : https://code-rouge.be/consensus-d-action/, par exemple, doit de notre point de vue être redéfini à chaque action, sans devenir un texte permanent.

Mais surtout, nous soutiendrons bec et ongles la poursuite des convergences amorcées avec les luttes sociales et syndicales, comme avec les luttes antiracistes, anti-impérialistes, féministes, queer ou antifascistes. La solidarité qui s’est construite dans l’action avec les Gilets jaunes et les grévistes français est une occasion énorme pour la lutte écologique : celle de faire classe, c’est-à-dire de s’ancrer dans le rapport de forces entre la classe sociale qui vit les conséquences désastreuses, économiques et écologiques, de l’extractivisme fossile, et celle qui en tire profit et qui continue à l’imposer à l’échelle mondiale. Celle, aussi, de prendre conscience de notre force, non plus seulement en tant qu’activistes et que collectifs, mais précisément en tant que classe : nous travaillons, nous produisons. Nous sommes la masse. Nous pouvons tout. Et nous voulons tout, parce que nos vies en dépendent.


Déclaration des activistes du Golden finger en solidarité avec les travailleurs en grève à Nantes

Aujourd’hui, nous avons bloqué Total,
et nous n’étions pas les seul·e·s.

À Nantes, les travailleurs sont en grève depuis 11 jours déjà. Leur revendication est claire : « nous voulons la justice sociale », concrètement une augmentation de salaire. Mais au lieu de respecter leurs revendications, Total prévoit de distribuer 15 milliards d’euros aux actionnaires. C’est une insulte pour tous les travailleurs du monde.

Pour cette raison, et en réponse à notre blocage de TotalEnergies ici à Feluy, des personnes ont bloqué les sites de Total à Liège, Namur et Bruxelles. Conjointement à nos actions, nous voulons exprimer notre solidarité aux travailleurs.

La CGT, le syndicat à l’origine de la grève, a déclaré : « Il n’y a pas de justice sociale, sans justice climatique ! » Nous sommes ici pour dire que l’inverse est tout aussi vrai.

Les compétences et les connaissances du secteur de l’énergie seront nécessaires pour une transition juste vers une économie sans carbone.

Nous revendiquons le droit à une vie décente, et non à une vie de pauvreté imposée. Nous revendiquons le droit de vivre sur une planète vivable. Cette transition nécessite les efforts combinés de tous les exploité·e·s et opprimé·e·s pour détruire leur ennemi commun, le capital fossile.

Nos actions s’inscrivent dans la continuité historique de la lutte pour la justice sociale et climatique.

Nous exprimons une nouvelle fois notre solidarité aux grévistes de Nantes, à tous les travailleurs opprimés dans le monde. Et à ceux pour qui la crise climatique est déjà une réalité.

Et nous le répétons, « pas de justice climatique sans justice sociale ».

Photo : Code Rouge

Print Friendly, PDF & Email

Notes[+]