« Restez chez vous ! », ce mot d’ordre essentiel pour prévenir la propagation de la pandémie est loin d’être un gage de sécurité pour les femmes victimes de violence conjugale ou intrafamiliale. Les échappatoires et les possibilités d’appeler à l’aide sont encore plus limitées que d’habitude. Les violences augmentent car les victimes sont plus exposées et les auteurs peuvent être encore plus violents. Les insultes, les violences physiques ou sexuelles, le harcèlement psychologique, la séquestration, le contrôle, tous ces types de violences peuvent instaurer une relation d’emprise et de domination qui peut en elle-même porter atteinte à la capacité d’agir des victimes. Les contraintes matérielles (logements, revenus, aides sociales, titre de séjour), la garde des enfants et la mobilité (autonomie et facilité des déplacements) sont aussi des obstacles majeurs.

Dans ce contexte, l’existence d’une ligne d’écoute (0800/30.030) et de chats spécifiques (arrete.be et we-access.eu) est essentielle mais absolument pas suffisante. Tout d’abord, parce que cela suppose d’avoir un téléphone à soi ou un moyen d’accéder à internet et de pouvoir s’isoler pour appeler. Mais aussi, parce que les infrastructures d’aide comme les maisons d’accueils sont trop peu nombreuses, ont trop peu de moyens et fonctionnent en circuit fermé étant donné la pandémie. Il est crucial de réquisitionner des chambres d’hôtel, des maisons d’hôtes ou les nombreux logements vides, de les restaurer si nécessaire et de les aménager, pour augmenter les capacités de mise à l’abri des femmes victimes de violence domestique, des personnes LGBTQI+ et des enfants victimes de violence intrafamiliale, tout comme des personnes sans logement (avec et sans papiers). Il est aussi primordial de mettre en place des services d’assistance (équipés face à la pandémie) pour les déplacements. Enfin, il est nécessaire d’assurer l’existence ou le maintien de droits sociaux qui garantissent à toutes une autonomie et une protection matérielle (en particulier aux femmes exilées, sans-papier et aux travailleuses du secteur informel) .

Le 101, le numéro de la police, circule beaucoup en ce moment. S’il y a des situations où une intervention policière est nécessaire, nous n’avons pas toutes la possibilité de faire appel à la police et c’est particulièrement le cas pour les personnes en situation de séjour précaire ou fréquemment soumises aux contrôles policiers. Par ailleurs, la police est trop peu formée et les délais d’intervention sont bien trop longs. Il n’existe pour le moment aucune mesure de précaution juridique (ex : mesure d’éloignement du conjoint violent le temps de la procédure) qui permette aux femmes qui portent plainte d’être protégées d’éventuelles représailles. Il n’existe pas non plus de protection contre les conséquences financières que cela occasionne (perte de revenu, déménagement, chômage, maladie).

La situation de crise sanitaire met à nu, s’il le fallait encore, le manque criant de moyens investis par les pouvoirs publics dans la prévention et la lutte contre les violences dans une perspective structurelle et globale et non pas avec de petites interventions ponctuelles. Ces manques sont déjà mis en évidence dans le rapport alternatif de la convention d’Istanbul(1)Lire ici : https://www.amazone.be/wpcontent/uploads/2019/02/19rapportalternatif.pdf (ratifiée en 2016 par la Belgique) rédigé par de nombreuses associations de terrain avec 10 revendications clés. Les deux ministres des droits des femmes (région Wallonne et Fédération Wallonie-Bruxelles) ainsi que la ministre de l’Egalité des chances de la région Bruxelloise se sont concertées avec des associations de terrain dans le cadre d’une task force « Violences conjugales et intrafamiliales ». Pour le moment, les actions et les moyens que cette initiative a favorisé restent très faibles : diffusion des numéros d’écoute et d’urgence sur le web, ouverture de quelques places d’urgence supplémentaires à Liège et La Louvière, contacts en cours avec la justice et la police, … Aujourd’hui a lieu une réunion préparatoire à la conférence interministérielle sur les droits des femmes pour faire le point et dégager des pistes d’actions sur les violences conjugales et intrafamiliales. Cette réunion rassemble 12 ministres de tous les niveaux de pouvoir, notamment le niveau fédéral qui n’a pris aucune initiative en la matière jusqu’à présent. Plusieurs organisations féministes et services spécialisés ont adressé aux Ministres une lettre ouverte(2)Lire ici : https://www.rtbf.be/info/dossier/les-grenades/detail_confinement-et-violences-faites-aux-femmes-quelles-mesures-adopter?id=10473104 soulignant des mesures incontournables et la nécessité d’inscrire cette démarche dans le cadre d’une politique globale, cohérente et coordonnée de lutte contre les violences machistes avec un financement en conséquence.

Dans ce contexte, la solidarité est notre meilleure arme. Soyons attentif.ve.s à nos proches et à nos voisines.

  • Maintenons un contact régulier. Malgré les mesures de distanciation physique, rien n’empêche de se saluer, d’appeler et de prendre des nouvelles.
  • Offrons une écoute qui valide les ressentis et renforce la personne dans son estime d’elle-même et ses capacités d’actions. Une écoute où l’on n’assomme pas la personne d’injonction à agir de telle ou telle façon, où l’on n’envahit pas l’espace de ses propres expériences et ressentis.
  • Prenons toujours la situation au sérieux. Tenons-nous, par exemple, disponibles pour penser à des stratégies de protection et d’autodéfense en fonction du contexte et des possibilités de la personne.
  • Faisons « avec » et non « à la place de ». Soyons attentives à ne pas prendre un rôle de « sauveuse » qui dépossède la personne de sa propre histoire et de ses capacités d’actions. Agir « à la place de », en inadéquation avec la situation ou de façon précipitée peut déclencher une série de violences en cascade à éviter.
  • Renseignons-nous et préparons-nous. Le site ecouteviolencesconjugales.be est une mine d’or d’informations pour comprendre les mécanismes de violence, s’informer des différents services existant et penser aux stratégies. Il est constitué de différentes rubriques : pour les victimes, pour les auteurs, pour les témoins, pour les professionnel.les.
  • Participons à la responsabilisons des auteurs. Refusons de cautionner leurs actes, refusons la banalisation des violences et contribuons à la transformation de leurs comportements.

Menons également un combat au niveau systémique. Seul un changement radical de la société permettra de combattre les violences systémiques à la racine. C’est une nécessité vitale : l’urgence, c’est le sauvetage de nos vies, pas le sauvetage des marchés. Profitions de la crise sanitaire pour définir démocratiquement et d’un point de vue féministe, antiractiste et écologique les fameuses « activités essentielles ». Aujourd’hui et demain, comptons sur notre force pour imposer une autre logique : celle de la vie, pas des profits !

  • L’investissement de moyens publics pérennes dans la lutte contre les violences systémiques plutôt que dans les F16, la militarisation de la société ou le sauvetage de banques et de multinationales.
  • Régularisation immédiate de toutes les personnes demandeuses d’asile, sans-papier et en situation de séjour précaire plutôt que le soutien aux fraudeurs fiscaux.
  • Réquisition de tous les logements vides pour en faire de véritables logements sociaux et à destination des personnes dans le besoin plutôt que destruction des espaces urbains par les promoteurs immobiliers et la démultiplication de bureaux.
  • Taxation des grandes fortunes et des grandes entreprises pour défendre une sécurité sociale plutôt que cadeaux fiscaux et coupes budgétaires dans les soins de santé, la culture, l’enseignement, ….
  • Individualisation des droits sociaux sans perte de revenu plutôt que des droits déterminés en fonction de la composition familiale et le statut d’habitant.

Ressources

  • La ligne d’écoute 0800/30.030 est gérée par des professionnelles en semaine de 9h à 19h qui peuvent conseiller des stratégies adaptées à chaque situation. Cette ligne est aussi accessible par tchat via arrete.be, en direct les mardi et jeudis entre 16h et 17h (par messages le reste du temps)
  • Les centres de prise en charge des victimes de violences sexuelles (Liège, Bruxelles, Gand) restent ouverts : violencessexuelles.be/centres-prise-charge-violences-sexuelles
  • Concernant les stratégies d’autodéfense en tant que victime et les possibilités d’agir en tant que témoin : consulter le site de la ligne d’écoute ecouteviolencesconjugales.be, le site arrete.be, le site de Garance asbl, les permanences juridiques de Vie Féminine.
  • Concernant les auteurs : consulter le site de l’asbl Praxis.
  • Pour obtenir du soutien psychologique : consulter le site de la Ligue bruxelloise francophone pour la santé mentale : lbfsm.be).
  • L’ASBL le Refuge offre l’asile aux jeunes LGBTQI+ de 18 à 25 ans : refugeopvanghuis.be.
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