On aurait pu penser vu de l’extérieur, en écoutant les grands médias, que depuis l’indépendance déclarée et aussitôt reportée – une indépendance que Rajoy risque de déclarer malgré lui, jeudi – qu’après cet épisode très institutionnel, le mouvement de masse est divisé, désorienté et en recul. On aurait pu penser également que le jeu institutionnel avait pris le dessus et que tout se déroulerait entre Rajoy, qui veut défaire la révolution démocratique en Catalogne et Puigdemont, qui s’appuie sur le mouvement de masse pour le canaliser dans un mouvement institutionnel et éventuellement aboutir à un pacte, un compromis, avec Rajoy.

Mais en réalité, le mouvement de masse n’est pas du tout démobilisé, il a su comprendre très bien et réagir à ce qui se passe en haut. Il tente d’obtenir d’avancer par étapes, avec le référendum, les manifestations et la confrontation à la répression. Celle-ci peut d’ailleurs devenir encore plus dure, et l’armée est susceptible d’être utilisée comme réponse du gouvernent pour maintenir le régime de 1978. Ce dernier est en crise mais il possède des ressorts très fort, entre le Parti Populaire, Ciudadanos et le PSOE. Le PP dispose du pouvoir judiciaire hérité du franquisme. C’est d’ailleurs une des raisons de la mobilisation des catalans, qui veulent tourner la page de cette époque et passer à une époque où on les écoute davantage, où les revendications sociales sont prises en compte.

De nouvelles manifestations de masse

Face à la répression du gouvernement, le mouvement s’organise pour la libération des « deux Jordi ». Les manifestations réclament « leur retour à la maison ». Les slogans tournent autour de la démocratie, de la liberté d’expression (« Libertat ! ») et de l’écoute du peuple de Catalogne. Plus de 500 000 personnes se sont mobilisées en quelques heures. Des dizaines de milliers ont manifesté dans de nombreuses villes d’Espagne. Le mouvement de solidarité est en train de se construire et de reprendre le dessus.

Après l’apparente réussite des manifestations de soutien au pouvoir du week-end dernier, très spectaculaires, on pouvait penser que la droite avait repris le dessus. Mais elles n’étaient pas si massives que ça au regard des manifestations d’hier soir. N’hésitez pas à regarder TV3, la télévision catalane, pour voir davantage la réalité de la mobilisation.

La menace de l’extrême droite

Rajoy a lâché la bride des nombreux groupes fascistes, et d’extrême droite plus généralement, qui existent en Espagne. Même s’ils sont racistes, violents, durs et meurtriers, ils étaient jusqu’ici marginaux, leur base sociale était très réduite. Mais ceux-ci mordent maintenant un peu sur notre classe. Il y a actuellement une discussion en leur sein pour se regrouper et créer un Front national à l’espagnole. On a assisté à Valence à l’impossibilité le 9 octobre pour les mouvements sociaux et la gauche de manifester pour la fête nationale du pays valencien. La manifestation a été empêchée par des centaines de fascistes sous l’œil attendri de la police, qui les a laissés faire avant d’être débordée et contrainte de s’y confronter. Heureusement, dans l’après-midi, le mouvement social a repris le dessus avec une manifestation, qui a été attaquée par des fascistes. Depuis, ces derniers paradent à Valence. La mobilisation actuelle combine donc la lutte contre le fascisme, pour la démocratie et pour la liberté d’expression en Catalogne et la libération des prisonniers.

Le réveil des mouvements sociaux dans l’État espagnol

Mardi soir, les mobilisations ont aidé à réveiller les mouvements sociaux. Depuis un mois à Murcia, plusieurs milliers de personnes occupent les voies de chemin de fer pour empêcher la voie de couper la ville en deux et d’isoler le quartier populaire. Une victoire partielle a été obtenue : les travaux ont été suspendus et le gouvernement et la mairie discutent de la revendication de la population d’enterrer la voie. Il y a aussi en Andalousie des mobilisations pour les hôpitaux et pour l’école publique.

Il y a eu également des incendies très graves en Galice, avec une impréparation évidente du pouvoir qui provoque une colère dans la population, d’autant que 500 postes de pompiers ont été supprimés ces derniers mois. Des dizaines de milliers de personnes ont manifesté mardi soir. La population fait le lien entre les milliers de « Piolin »1 envoyés en Catalogne alors qu’en Galice on envoie un seul oiseau avec un tuyau percé par l’austérité.

Le pouvoir fait face à d’autres, des mobilisations sociales qui mettent en grande difficulté le pouvoir. Celui-ci ne se maintient d’ailleurs que grâce à l’aide du PSOE.

Jeudi prochain Rajoy risque de mettre en route l’article 155 pour mettre sous contrôle économique la Generalitat et renforcer le contrôle judiciaire et policier. Le 19 sera une journée de mobilisation impressionnante. L’auto-organisation se renforce et la détermination également. Elle commence à faire face à la répression. Tant que le mouvement de masse ne faiblit pas, il contraint les partis de Catalogne à discuter et à agir. Il y a des tensions très fortes entre elles. La CUP vient de déclarer être pour un « indépendantisme sans frontière », ce qui fait beaucoup discuter en Espagne et offre une perspective indépendantiste et internationaliste intéressante.

De Valence, Miguel Segui

Une vidéo de Omnium, un courant nationaliste, dont le dirigeant Jordi Cuixart a été emprisonné.

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