À Tenerife se déroule actuellement une lutte écologique et sociale mettant en cause un projet destructeur de l’environnement dont les promoteurs sont deux entreprises belges.

Le lancement des travaux de « Cuna del Alma » à El Puerito (dans la municipalité d’Adeje), a été l’étincelle qui a déclenché les protestations sur l’Île : mobilisations populaires, avec une manifestation de plusieurs milliers de personnes le 11 juin et d’autres protestations, notamment devant le siège du Cabildo Insular de Tenerife (Conseil de l’Île de Tenerife) (1)Le « Cabildo Insular de Tenerife » ou Conseil de l’Île de Tenerife est l’autorité administrative qui, dans le cadre du Statut d’Autonomie des Îles Canaries, est compétente pour certaines matières concernant l’île, notamment l’environnement, la promotion du tourisme insulaire et son contrôle. (Wikipedia et NDT). et devant l’Hôtel de Ville d’Adeje. Les deux entités sont aux mains de coalitions dirigées par le PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol, social-démocrate). Ce sont eux les responsables du maintien du projet. Par ailleurs une ZAD, sous forme d’un campement de résistance pour bloquer les travaux, s’est installée sur le terrain de la construction. Des dizaines de personnes, des jeunes en majorité, y défendent physiquement la biodiversité de ces écosystèmes uniques ainsi que l’héritage de sites archéologiques indigènes.

Deux entreprises belges sont responsables de la destruction environnementale et archéologique à Tenerife

Dans le sud de Tenerife viennent de débuter les travaux de construction du mégaprojet urbanistique de luxe Cuna del Alma. À sa tête on trouve deux familles de la bourgeoisie belge, les Vandermarliere et les Van Biervliet. Le projet devra comprendre un hôtel et plus de 400 maisons privées de luxe avec piscines, là où actuellement existent quelques maisons d’un hameau côtier. Les alentours sont occupés par un grand espace non urbanisé, un des rares qui subsistent sur l’île après l’explosion urbanistique de ces dernières décennies, à Tenerife et dans l’ensemble des Canaries.

La presse belge, tant néerlandophone que francophone, a déjà rendu compte de cette atteinte à l’environnement à El Puertito de Adeje : « deux entreprises belges vont détruire les dernières zones naturelles au sud de Tenerife », « un méga projet touristique belge met en péril les dernières enclaves intactes de Tenerife, au petit port d’Adeje, et butte contre une forte opposition … » et « des familles d’entrepreneurs flamands injectent 350 millions d’euros dans un énorme resort luxueux à Tenerife, mais le projet selon la presse est sous le feu de critiques locales ».

En Flandre, la VRT s’est fait l’écho des mouvements de protestation contre le projet de Cuna del Alma en indiquant qu’il est l’initiative de deux entreprises belges bénéficiant de l’indispensable complicité de la municipalité d’Adeje, du Conseil de Tenerife et du gouvernement de la région autonome des Canaries. L’ensemble du projet est une horreur et il faut l’étouffer dans l’œuf ! Sur place il y a un campement d’activistes, une ZAD, qui avec les mobilisations populaires dans la rue exige que soit mis fin aux travaux d’infrastructure routière et ceux du resort de Cuna del Alma lui-même, en clair de tout le projet.

Faire pression, en diffusant l’info sur ce type de projet dans les pays d’origine du tourisme est une nécessité. Car pour dénoncer les plans spéculatifs et destructeurs du capital, dans ce cas-ci détenu par des éléments de la bourgeoisie belge, il faut une solidarité internationaliste face au silence complice des milieux insulaires, tant privés que publics.

Face au développementisme incontrôlé : « il ne s’agit pas seulement d’El Puertito, mais de toutes les Canaries »

Les Îles Canaries ont été transformées en un territoire avec une densité de population des plus élevées de l’Union européenne. En 2019 elles ont accueillies 13 millions de touristes, presque 17 millions en 2017. Les autorités, à la solde des pouvoirs économiques, y mènent une politique du tout béton et asphalte. L’administration parie sur un modèle de tourisme dont il est avéré qu’il a mené la population à la pauvreté et en a fait une des plus marquées de l’État espagnol, avec des indices de chômage élevés et un recours important au travail précaire.

Le sud et le sud-ouest de l’île de Tenerife ont été convertis en centres physiques de l’accumulation capitaliste dans l’île, avec une croissance exponentielle depuis la construction de l’autoroute et de l’aéroport de Tenerife-Sud. La première de ces infrastructures, l’autoroute, a pu compter sur une main d’œuvre originaire du reste de l’île. L’aéroport international quant à lui a rapproché cette destination des visiteurs en provenance de toute l’Europe, voire du monde. Il est devenu une référence internationale dans son domaine.

On a assisté à l’ouverture aux investissements touristiques avec une croissance urbanistique débridée le long des côtes, l’apparition de nouvelles villes là où il y n’y avait que quelques villages de pêcheurs, une offre pléthorique de loisirs et en même temps des possibilités nouvelle pour le capital d’augmenter ses profits.

Un plan mis en avant par une bourgeoisie canarienne liée au capital international – des liens qui ne datent pas d’hier – jette les bases de cette nouvelle industrie. C’est précisément dans cet environnement qu’elle a flairé de nouvelles opportunités pour arrondir ses bénéfices.

Tout cela a coïncidé avec le fait qu’à partir de la décennie des années 60, l’expansion économique européenne a favorisé le développement du tourisme dans les îles. Cette première prise d’assaut du nouveau modèle de production à Tenerife s’est concentré d’abord sur El Puerto de la Cruz, au Nord. Mais durant les trois dernières décennies, c’est au Sud que s’est opéré le changement le plus radical pour les raisons déjà expliquées, mais aussi parce que la zone compte plus de plages et bénéficie d’un meilleur ensoleillement. Avec la croissance galopante de l’occupation du territoire côtier, la municipalité d’Adeje où se situe El Puertito est un modèle du genre. Son maire, par ailleurs président du PSOE canarien, s’est appliqué tout au long d’un mandat de 35 ans à favoriser l’occupation urbanistique suicidaire du territoire.

En même temps, le bien-être de la majorité sociale de la population canarienne a été négligé. Car les politiques sociales sont insuffisantes : pénurie de logements sociaux abordables, manque criant de centres d’accueil publics pour la petite enfance (de 0 à 3 ans), déficience des aides aux personnes dépendantes, etc. À cela s’ajoute la nécessité d’un hôpital public dans le sud de l’Île, indispensable pour la population de cette partie du territoire.

Une biodiversité unique et un patrimoine archéologique indigène menacés

Les intérêts économiques particuliers bénéficiant de la complaisance des autorités ont décidé qu’il était temps d’en finir avec une des zones côtières de Tenerife encore vierge de toute urbanisation. La construction, sur une surface de presque 450.000 m², de villas de luxe, piscines, hôtels, restaurants, etc. répond à cette volonté. Mais l’endroit jouxte deux zones protégées, l’une terrestre et l’autre maritime. D’après les plans du projet publiés par les promoteurs on déduit que les zones d’intérêt scientifique de la réserve naturelle protégée d’Adeje seront impactées.

En effet le terrain de Cuna del Alma est entouré d’espaces protégés. La bande côtière délimite une zone maritime, celle de Teno-Rasca, qui intègre différents types de protections, dont l’une s’étend à une réserve de cétacés classée dans le trio du top mondial. Quant à l’espace terrestre protégé, il abrite une végétation qui va de la côte jusqu’à des altitudes moyennes, constituant un écosystème particulier des Canaries qu’on a qualifié de cardonal-tabaibal. Un écosystème dont deux euphorbes, « cardón » (Euphorbia canariensis) et « tabaiba » (Euphorbia balsamifera) sont les représentants emblématiques.

Ajoutons à cela que les scientifiques insistent que sur le terrain même où on projette la constructions des 420 villas de luxe, il existe des euphorbes « cardón » centenaires, dont certains individus occupent une surface de près de 50 mètres carrés au sol. Malgré l’importance qu’on leur accorde, des vidéos tournées par les activistes et les voisins ont montré que les pelles mécaniques en ont arraché de nombreux exemplaires, en même temps que des « tabaiba », l’autre espèce d’euphorbe. Le Conseil de l’île de Tenerife se justifie en affirmant son intention de transplanter les « cardones », espèce endémique, et de les utiliser comme décoration de ronds-points routiers. Mais cette euphorbe partage un écosystème avec de nombreuses autres plantes, dont sept d’une valeur élevée, alors que dans son communiqué l’administration persiste à n’en considérer qu’une seule. Sur le site on trouve également de nombreuses espèces animales, dont des oiseaux endémiques en danger d’extinction. (2)D’après l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), Chlamydotis undulata, une outarde, et Streptopeliaturtur, une tourterelle, sont considérées comme vulnérables tandis que Neophron percnopterus, un petit vautour, est considéré comme étant en danger d’extinction. L’UICN est un organisme international regroupant des organisations gouvernementales et issues de la société civile. Elle réalise un suivi des espèces et des écosystèmes et guide les politiques et les actions visant à protéger et restaurer le monde naturel. Parmi ses missions on compte le recensement des espèces menacées. NDT

Mais il y a plus. Sur le terrain prévu pour le projet Cuna del Alma se trouvent des vestiges archéologiques, témoins de l’occupation des lieux par les population guanche, des primo-occupants de l’île. Un dossier avait été déposé par Tegūico, une association de défense du patrimoine, dans lequel celle-ci informe les autorités de l’importance de ces gisements. Elle y décrit la présence de fonds de cabanes, de céramiques, gravures, dépôts de coquillages et obsidiennes appartenant à la société guanche. Sur cette base, le Conseil de l’île, le « Cabildo », aurait eu la possibilité d’arrêter définitivement le projet ou du moins d’en maintenir la suspension par précaution archéologique, comme il l’avait initialement décrété. Il avait d’autant plus de raisons de le faire quand on sait que le maître d’ouvrage avait omis d’informer le Conseil de l’existence d’un patrimoine archéologique, en contravention aux exigences de la loi.

Alors que le dossier archéologique de Tegüico avait déjà été déposé, le Conseil de l’île n’a pas jugé utile de suspendre le chantier dès qu’il a su que l’entreprise responsable des travaux de terrassement s’est mise à détruire une partie des sites en question. Le « Cabildo » s’est contenté de considérer « comme un fait grave la destruction de quelques gisements d’importance spéciale. »

Il y a des alternatives au modèle économique actuel

En premier lieu il faut que les espaces naturels soient maintenus et étendus, avec comme postulat que la nature est également une richesse. Elle permet la création d’emplois pour sa protection, sa restauration et sa revalorisation sociale. Nous devons favoriser la souveraineté alimentaire en interdisant l’urbanisation des terres agricoles. Dans ce cadre, il faut récupérer la propriété et le contrôle public des eaux souterraines pour les mette au service d’une agriculture qui limite son empreint écologique et favoriser la production d’aliments dans des circuits courts. Il est également nécessaire d’implanter un modèle économique social qui ait comme base la diversification économique et la création d’entreprises publiques dans des secteurs stratégiques comme l’énergie, le transport, le secteur primaire…

Nous devons exiger la fin des occupation du territoire, que ce soit par des urbanisations touristiques ou par de grandes infrastructures destinées à attirer des millions de touristes supplémentaires dans les îles. Presque 17 millions ont fait le voyage en 2017, ce qui représente une croissance de 20% par rapport à 2014. L’emploi, lui s’est limité à une croissance de 4% !

L’espace naturel autour de El Puertito de Adeje doit être protégé. Les autorités locales, celles de Tenerife et du gouvernement autonome des Canaries doivent répondre favorablement aux revendications. Aujourd’hui il s’agit de maintenir l’exigence d’un arrêt total et définitif du projet de Cuna del Alma. Il est également nécessaire de miser sur des formules de décroissance face au modèle économique actuel, en exigeant pour Adeje, pour Tenerife et pour l’ensemble des Canaries la fin des occupations du territoire : assez d’hôtels à Adeje, à Ténériffe et aux Canaries !

Il faut maintenir le soutien social à la lutte menée dans le campement pour sauver El Puertito de Adeje et, d’une manière générale, à la lutte éco-sociale dans toutes les Îles Canaries pour sauver le territoire, ses valeurs écologiques, ses paysages, ainsi que ses valeurs ethnographiques et archéologiques.

Photo : Manuel de la Rosa Hernández / CC BY-NC-SA 4.0

Traduction : Pierre Dupong pour la Gauche anticapitaliste.

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