Alors que les pilotes de Ryanair prévoient une nouvelle grève à l’aéroport de Charleroi ces 14 et 15 août, nous publions ci-dessous un entretien réalisé par le journal solidaritéS en Suisse, suite à la première grève du personnel en 104 ans d’existence pour l’Aéroport international de Genève. Cette confrontation a permis de faire reculer le projet inique de la direction. Les passagers·ères, loin d’avoir l’impression d’être pris·es en otages, ont exprimé au moins leur empathie si ce n’est leur solidarité avec les grévistes dans la presse locale. Retour sur cette lutte inédite avec Jamshid Pouranpir, secrétaire au Syndicat des services publics.

Quels sont les projets de la direction à l’Aéroport ?

Après avoir introduit et développé la concurrence de boîtes privées notamment dans la sécurité aéroportuaire (métiers de la surveillance de la piste et de la sûreté des passagers·ères), le patronat avait l’intention d’en finir avec le statut du personnel inspiré de la fonction publique. Celui des sapeurs-pompiers et ambulancier·e·s, des contrôleurs·euses au sol et de la partie mécanique et technique qui restent dans le giron du droit public.

Le projet de rémunération vise à ériger les « prix du marché » comme valeur salariale de référence avec en plus l’arbitraire total de la hiérarchie. Toute progression salariale dépendrait du « comportement » de l’employé·e et des « objectifs » à atteindre, excluant de fait la reconnaissance des années d’expérience des collègues.

Si la nouvelle grille salariale est connue, la collocation des postes reste un mystère. On sait la classe qu’on a, sans avoir la moindre idée de l’atterrissage dans la case d’arrivée. La direction entendait expliquer sa nouvelle situation individuellement à chaque employé·e par une lettre.

Tenter d’écarter le SSP [Syndicat des services publics], seul syndicat présent, pour éviter un obstacle majeur, illustre l’autoritarisme d’un management de type étasunien. Sans un contre-pouvoir, la Direction informe voire manipule ses employé·e·s alors que le Statut du personnel dans une entité de droit public prévoit un devoir de négociation, voire de codécision. 

Le profil du directeur est emblématique d’une farouche opposition aux services publics : du Forum économique de Davos aux Panama papers, André Schneider a été nommé sous l’ère de Pierre Maudet. La « culture d’entreprise » a subi des changements vertigineux. L’arbitraire de la hiérarchie, le copinage, les scandales de corruption, de nombreuses dénonciations de comportements sexistes, voire racistes ont terni l’image de l’institution.

Dans ce contexte la négociation collective n’a pas de sens pour cette direction.

Tout à fait. Elle voulait notre blanc-seing sur un projet obscur, tout en tentant de semer la division entre la commission du personnel et le SSP. Alors qu’elle s’emmêlait les pinceaux en permanence avec des chiffres et estimations peu convaincants, des mois de négociations alibi ont conduit à un durcissement des fronts et la tentative de conciliation devant la Chambre des relations collectives de travail a échoué. Il ne restait plus que la grève pour faire plier le patron.

Et donc cette grève ?

Pour nous, la grève devait avoir un impact décisif en paralysant la production. Il s’agissait d’éviter l’effet d’usure des travailleuses et travailleurs dans une grève de longue durée, tout en composant avec un personnel peu syndiqué sans un passé de mobilisation pouvant servir d’exemple. Le travail de terrain du noyau de militant·e·s du SSP a débouché sur un mouvement en crescendo. Des individus ont rejoint un collectif de collègues uni·e·s pour faire échouer les plans de la direction.  

La transparence des décisions syndicales dans des assemblées démocratiques s’opposait au fonctionnement de la direction, fait de chiffres assénés sur powerpoint qui ne persuadaient personne. 

La puissance de cette grève a surpris les « hautes sphères » déconnectées du terrain. Pour nous, il s’agissait de revenir aux fondements du syndicalisme. La solidarité s’est installée parmi le personnel, non par une grève minoritaire passant inaperçue, mais par une paralysie totale de la production. Plus de 160 vols ont été annulés, causant des millions de francs de pertes aux compagnies aériennes. Somme qui dépasse largement les économies que la direction voulait réaliser avec sa réforme du système salarial.

La paralysie a pareillement touché toutes les entreprises sous-traitantes. Nous avons attiré la solidarité des acteurs·trices politiques et celle du public via les médias et les réseaux sociaux. Par définition, un aéroport international est relié à des dizaines de pays et l’écho de cette grève a retenti partout.

Et maintenant ?

Nous sommes prêt·e·s à discuter mais avant cela, il fallait nous reconnaître comme un partenaire incontournable. Avec cette lutte, c’est chose faite. Ayant doublé le nombre de ses membres, notre syndicat en sort grandi. Nous allons réserver à cette réforme salariale le même sort que nos camarades de la fonction publique l’ont fait avec le projet Score du Conseil d’État. Le monde de l’aérien évolue, des solutions existent pour affronter les défis futurs. Il faut penser à la reconversion des emplois, au lieu d’attiser la haine contre tout changement lié aux défis climatiques.

Article publié sur le site solidarites.ch le 14 juillet 2023.
Photo : Point presse durant la grève, vendredi 30 juin 2023.
(Éric Roset pour solidarites.ch)

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