Ce 25 novembre 2020, l’icône du football mondial s’est éteinte à l’âge de 60 ans dans sa maison sur la rivière du Tigre en Argentine(1)Le titre est tiré de la célèbre phrase « vedi Napoli e poi muori » (“Siehe Neapel und stirb”, Voir Naples et mourir), prononcée par l’auteur allemand Johann Wolfgang von Goethe qui, après avoir visité la ville, fut obligé de retourner en Allemagne..

Les journaux du monde entier lui dédient des couvertures épiques. On pourrait penser que cela n’est pas une nouvelle qui peut intéresser la presse anticapitaliste.

Mais cette nuit, en compagnie des émotions, des souvenirs d’enfance et d’une nostalgie toute argentine, nous ne pouvons pas rester silencieux. Peut-on lire le récit et les exploits de Diego Armando Maradona sous le prisme de la lutte des classes ? Peut-on penser le football, ses stades, son ambiance, ses chants, comme une pièce maitresse de la culture populaire, de son esprit collectif, de sa solidarité ?

Cela pourrait sembler hasardeux, certes inattendu pour les lecteurs de l’Anticapitaliste, mais nous sommes disposés à prendre ce risque sans remords car, en citant les mots de Negro Fontanarrosa (un célèbre illustrateur et humoriste argentin), « peu importe ce que Maradona a fait avec sa vie, ce qui compte est ce que Maradona a fait à la mienne », à la nôtre.

« Villa Fiorito », sa classe, son monde

D’extraction très modeste, Diego a grandi dans un bidonville, « villa Fiorito », où il y avait des maisons en carton, des problèmes avec l’électricité, la nourriture et l’eau courante.

Depuis tout petit, à l’école, il a développé une passion pour le football. Enfant, il rêvait d’être un champion et de jouer pour la selección. Mais contrairement à ce qu’on pourrait croire, il n’a jamais rêvé d’être quelqu’un d’autre, il n’a jamais voulu quitter sa « villa ». Quand il est devenu célèbre, il a choisi de bâtir une maison dans son quartier d’enfance pour garder un lien et rester chez lui. Le football n’était pas une façon d’échapper de sa vie et de ses racines mais il était plutôt un moyen pour améliorer l’existence de ses proches et de sa classe d’appartenance.

Ce récit est peut-être méconnu pour une grande majorité de ses supporters qui gardent le souvenir du « pibe de oro » pour sa fantaisie, son instinct du but, sa capacité à créer du jeu d’une façon inattendue et à entrainer ses coéquipiers dans l’harmonie de l’action collective.

Ce n’est pas seulement pour ses qualités extraordinaires de joueur qu’il est tant aimé mais précisément pour avoir réussi à rester toujours soi-même.    

Maradona, un héros populaire

Malgré toutes ses contradictions, il a su garder le bon côté, celui des plus faibles, des exploités, tout en ayant eu affaire toute sa vie avec le pouvoir. La FIFA, l’argent, le grand capital qui tient les ficelles du football n’a pas réussi à spolier le monde du ballon de ce qu’il a de plus beau, son côté populaire et fraternel.

Ainsi, quand la FIFA a voulu interdire le jeu à 2500 mètres alors qu’elle n’a jamais eu de problèmes à faire jouer les équipes à 45° à l’ombre, il s’est rendu en Bolivie (4000 m) pour jouer aux côtés d’Evo Morales en déclarant : « On joue là où on est né ».

En 1985, quand son coéquipier, Pietro Puzone, lui demande de jouer un match pour aider un enfant malade, il se rend jouer dans la boue au milieu d’un terrain amateur à Acerra. Il s’habille dans un parking derrière une Fiat Argenta: dribbling, course rapide, feinte et but. Ces images feront le tour du monde.

Maradona a su transformer en centre les périphéries. Il a su donner de l’espoir à plusieurs générations de passionnéEs et de désespéréEs. Non pas l’espoir de réussir à la manière des plus riches mais celui de pouvoir ériger le monde et les principes des plus démunis en une catégorie de justice universelle. Il a toujours cru en la capacité des plus pauvres de se révolter, de penser et façonner un monde meilleur.

L’idylle avec la ville de Naples

C’est dans cet esprit que s’est consommé l’idylle entre Maradona et la ville de Naples. Tandis que dans les stades du Nord on criait « Lavez-vous, napolitains », Maradona voulait devenir le héros des jeunes des quartiers populaires de la ville partenopée dans lesquels il se revoyait. Il a réussi à incarner parfaitement l’esprit de cette ville y compris ses controverses. Il a fait du « Napoli » une équipe légendaire. La ville le remercie encore, elle l’a transformé en son propre symbole en ornant chaque rue, chaque salon et jusqu’aux endroits les plus obscurs, avec les traces de sa personne, de ses exploits et des récits, véridiques ou mensongers, des ceux et celles qui l’ont rencontré ou qui prétendent l’avoir fait. Dans les discours, dans les rêves, dans les murs, dans les écrans, Maradona restera le symbole de la riposte joyeuse et victorieuse du peuple. Il a offert à cette ville le premier scudetto en 60 ans. À ce propos, il déclara qu’il s’est agi d’une victoire unique – différente de n’importe quelle autre victoire, même de celle de la coupe du monde avec la selección en 1986 : « Parce que l’équipe de Naples on l’avait faite nous-mêmes, en partant du bas, en tant qu’ouvriers ».

Avec toutes les contradictions, les forces et les faiblesses, Maradona n’est certainement pas un grand révolutionnaire, il est et il restera toujours un footballeur incroyablement talentueux qui a su incarner toute la puissance et la vitalité des milieux populaires.

C’est précisément avec et grâce à ce camp social que la révolution reste pensable et toujours possible.

Article publié sur l’Anticapitaliste.

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