En Belgique, en juin 2024, s’est ouverte une opportunité historique pour les partis de droite. Ceux-ci ont obtenu un votation majoritaire, non plus seulement en Flandre mais à l’échelle nationale, pour des programmes assumés de casse sociale, dissimulés sous des slogans trompeurs appelant à « récompenser le travail et le mérite » et de fausses promesses telles que celle des 500 euros nets en plus par mois. Derrière leurs vociférations sur « la fin de l’Etat Mister Cash », ce ne sont pas les rentiers et les grandes entreprises, abreuvées de subsides, qui sont visées. Ce sont toujours les mêmes personnes qui servent de bouc émissaire : les chômeurs, les malades, les personnes d’origine étrangère, les migrants, stigmatisés comme étant des « profiteurs » ; ainsi que les fonctionnaires, les enseignants, les cheminots, les artistes, présentés comme des « privilégiés ». Ces idées, malheureusement, semblent s’insinuer de plus en plus dans notre camp social, contribuant à la droitisation du champ politique.

Le succès de cette campagne populiste de droite, en lui-même gravissime, a fait naitre plusieurs gouvernements (fédéral et régionaux), sans aucun doute les plus à droite depuis la fin de la guerre. Ils s’appliquent à accélérer radicalement le démantèlement social largement engagé par les gouvernements austéritaires depuis 45 ans. Au-delà de la gravité des attaques sociales, il faut tenir compte de l’objectif sous-jacent : ces gouvernements cherchent délibérément la confrontation avec le monde du travail pour lui imposer une défaite profonde et durable. Leur victoire éventuelle, après un demi-siècle de reculs accumulés du monde du travail, pourrait fortement réduire la capacité de résistance de la classe ouvrière. Et ce d’autant plus qu’ils sont en train de se doter d’un arsenal répressif clairement destiné à criminaliser l’ensemble des mouvements sociaux.

Tout le monde déteste l’Arizona

A l’échelle modeste de la Belgique où vit encore un syndicalisme de masse, il est nécessaire de construire plus qu’une résistance, mais une force capable de casser cette offensive. Le 14 octobre, à l’appel du front commun syndical, une manifestation réunissant plus de 140.000 personnes a eu lieu à Bruxelles : un chiffre sans précédent depuis des dizaines d’années.

Aux côtés des rangs syndicaux, la mobilisation s’est fortement étendue aux secteurs associatifs et culturels, menacés de coupes budgétaires, avec un bloc massif de travailleurs des secteurs social-santé-culture, mais aussi à une jeunesse nombreuse, très féminine, issues des écoles et des universités. L’impression générale au soir du 14 octobre était qu’une véritable colère populaire s’était manifestée contre l’ensemble du projet de société dessiné par l’Arizona : un projet non seulement ennemi des travailleurs (avec ou sans emploi), mais aussi sexiste, raciste, autoritaire, réactionnaire, militariste, climato-sceptique, etc… Au-delà de la dénonciation des mesures politiques les plus choquantes, la volonté de faire tomber le gouvernement s’entendait partout avec force. Le mot – d‘ordre « à bas l’Arizona » était le fil conducteur de toutes les revendications sectorielles et sous-sectorielles.    

Au cours des derniers mois, nous avons assisté à une croissance rapide des mobilisations dénonçant la complicité du gouvernement et de l’UE dans le génocide perpétré à Gaza. Ces actions et manifestations massives et multiformes ont amené de nombreuses personnes à rejoindre la manifestation syndicale. Le 5 octobre, une marche pour le climat avait également réuni 30.000 personnes, en parallèle des actions de désobéissance civile menées par les coalitions « Code Rouge » et « Stop Arming Israël ». Nous sommes véritablement en train de vivre un réveil très significatif de la conscience de la population et une convergence objective des mouvements sociaux, associatifs et politiques à l’occasion de mobilisations syndicales massives et historiques.

L’appel de novembre des syndicats

Sans surprise, la manifestation historique du 14 octobre a été immédiatement dénigrée et méprisée par les principales figures du gouvernement. Mais le message envoyé par les travailleurs était clair. L’enthousiasme est très élevé pour construire un plan d’action crescendo. Les directions syndicales devaient y donner suite. Quelques jours plus tard, le front commun syndical interprofessionnel a lancé « l’appel de novembre » : un appel à participer à la manifestation nationale contre les violences faites aux femmes le 23 novembre, puis à mener 3 jours de grève : le 24 novembre dans les transports (en particulier sur le rail), le 25 novembre dans tous les services publics et le 26 novembre dans tous les secteurs, publics et privés. Ce plan tombe malheureusement un peu tardivement, mais ce n’est pas l’essentiel. Les centrales de l’enseignement appellent à la grève le 10 novembre. D’autres organisations syndicales sectorielles pourraient appeler à d’autres actions supplémentaires, sectorielles ou d’entreprise, en novembre. Il faut s’appuyer sur toutes ces dates relais pour sensibiliser, organiser, mobiliser et converger vers la grève générale du 26 novembre !

Notre meilleur outil pour construire la grève active à la base est la discussion collective, idéalement sous forme d’assemblées participatives et délibératives, et, partout où c’est possible, sur les lieux de travail et dans les heures de travail. L’objectif est d’impliquer un maximum de travailleurs dans l’organisation et l’action. Le front commun doit se construire d’abord par le bas. Autant que possible, il faut aller au-delà des bastions syndicaux pour se diriger vers les travailleurs précaires ou plus fragiles, dans les entreprises sans présence syndicale, dans la sous-traitance, dans la franchise, dans l’intérim…

Et après la grève générale ?

Les centrales de la chimie appellent d’ores et déjà à la grève le 5 décembre. D’autres actions sectorielles ou interprofessionnelles pourraient être décidées en décembre. Il faut continuer d’exiger un vrai plan d’action, qui pourrait comprendre des grèves tournantes provinciales, mais, surtout, qui ne s’arrête pas au milieu du gué : qui monte en puissance, qui priorise l’approche interprofessionnelle et qui vise à avoir un impact économique et social réel sur le patronat et, donc, par ricochet, sur le gouvernement ! Seul un plan d’action de ce type, construit de manière déterminée jusqu’à la grève générale reconductible, peut nous assurer de vraies victoires. Les collectifs locaux Commune Colère montrent le chemin de l’auto-organisation de notre camp social : soyons nombreux aux assemblées pour y construire l’unité dans l’action.

Dégager l’Arizona, c’est possible !

Les coalitions fédérales et régionales sont construites autour des partis les plus conservateurs, le MR et la NVA, mais pour gouverner, ceux-ci ont eu besoin de l’appoint numérique des forces de droite plus modérées : les Engagés, Vooruit, et CD&V. La brutalité des mesures et des sorties médiatiques des figures d’extrême-droite présentes au sein de ces partis, comme Bouchez ou Clarinval, les met en difficulté par rapport à une partie croissante de leur électorat. Le monde du travail ne peut pas compter sur une possible défection de « l’extrême-centre », mais toutes les actions qui peuvent mettre en évidence la trahison des valeurs que ces partis prétendent incarner sont les bienvenues.

Le gouvernement Arizona et ses satellites font courir à la classe travailleuse un risque de défaite existentielle. Devant une telle urgence, nous ne pouvons pas nous contenter de « négocier la longueur de la chaîne » et d’obtenir des « victoires » qui ne seraient que de faibles limitations de reculs sociaux. Soyons clairs : la concertation sociale a atteint ses limites, et cela depuis longtemps ! Le retrait des attaques principales contre les pensions, les revenus, le temps de travail, la sécurité sociale et les services publics et non marchands ne peut être obtenu que par la chute du gouvernement. Il n’y a donc qu’un seul objectif crédible : ces gouvernements doivent tomber et toutes les forces mobilisables dans la société doivent y collaborer.

Parallèlement, plus la pression augmente, plus il devient nécessaire d’ouvrir le débat sur l’alternative politique. Car une chose semble claire : aucune alternative socialement, écologiquement et démocratiquement satisfaisante ne pourra se concrétiser à travers une simple redistribution des cartes entre les partis politiques dans le cadre institutionnel existant (belge et européen). Au-delà des revendications défensives, contre les contre-réformes qui sont sur la tables, nous avons besoin de revendications sociales, écologiques et démocratiques radicales, qui alimentent une mobilisation de longue haleine et qui visent à créer les conditions politiques d’un gouvernement aussi fidèle au monde du travail, aux opprimés et au vivant que les gouvernements jusqu’ici ont été fidèles au patronat.


Photo : Manifestation contre le gouvernement Arizona, le 14 octobre 2025. Crédit : Gauche anticapitaliste / CC BY-NC-SA 4.0