Que faire ?

Démultiplier l’action des Comités d’urgence et mobiliser toutes les potentialités de la société et de l’État pour répondre aux besoins de la population par le biais des Comités d’urgence, mettre les potentialités locales à la disposition des Comités d’urgence et établir une coordination avec les Comités d’urgence des autres quartiers pour gagner en efficacité et offrir de meilleurs services.

Premièrement : Le cadre théorique

Dans le contexte de la guerre et face à la paralysie des institutions de service public, dont la police, ont émergé des noyaux d’institutions dirigées par les gens eux-mêmes et leur permettant de subvenir à leurs besoins, à savoir les Comités d’urgence, qui sont désormais le seul outil possible pour protéger les quartiers, enterrer les cadavres et faciliter l’accès à des services médicaux. Il ne s’agit pas d’une initiative visant à répondre aux besoins des personnes afin d’améliorer la qualité de  la vie, mais d’une nécessité vitale, sans laquelle la vie tout court n’existerait plus. C’est pourquoi nous devons la soutenir et la développer pour qu’elle soit plus efficace, d’autant plus que son concept n’est pas étranger aux sociétés soudanaises.

La disparition des services publics-, déjà médiocres- a imposé l’existence des Comités d’urgence : la disparition de la police a rendu nécessaire la protection des quartiers, la disparition du ministère de la Santé a rendu impérative de faire fonctionner les hôpitaux,  d’autres nécessités sont apparues et d’autres vont apparaître encore.

Tout cela a été imposé par les circonstances de la guerre, qui rendent le mode de vie d’avant-guerre impossible et contraire à l’intérêt collectif. Celui qui manque de vivres se retrouve affamé ou devient voleur. Celui qui dispose de stocks de vivres se retrouve la cible des pillages au vu du chaos ambiant. Donc l’intérêt général réside dans la coopération, le travail collectif et le partage des efforts et des biens matériels pour assurer la sécurité, les vivres et les services.
Même si la guerre s’arrêtait maintenant, elle laisserait des millions de personnes sans possibilité de d’être approvisionnés en électricité moyennant de l’argent, en eau ou en gaz contre de l’argent, et en nourriture contre de l’argent. Tout simplement, les besoins seront supérieurs à la capacité du mode de vie d’avant guerre à maintenir la vie et à convaincre les gens de la nécessité d’accepter ce mode de vie, parce que les conditions ne sont plus civilisées. La société se décomposera et se se tournera vers le pillage et le pillage de masse sous la pression des besoins, mais en aucun cas le pillage de masse ne résoudra quoi que ce soit car bientôt il n’y aura plus rien à piller.

Le modèle des Comités d’urgence, basé sur la coopération et le partage de tout, est donc le seul moyen de maintenir la société en vie et de la protéger de la décomposition et de sa transformation en une société de pillage et de banditisme. Cette méthode protège celui qui dispose d’un surplus du pillage et de la perte de ce qu’il possède, et celui qui n’a rien, de devenir voleur et criminel. La coopération rend la sécurité à la portée de tous. Le médecin fournit des services  gratuitement. Le technicien fournit gratuitement les services d’électricité. Les services techniques fournissent gratuitement de l’eau. Celui qui a une voiture la met au service des personnes gratuitement. Celui qui peut participe gratuitement aux rondes de sécurité, tout le monde peut contribuer, fournir gratuitement et recevoir les contributions des autres en retour en cas de besoin.

Il faut obtenir la neutralité des individus armés des forces régulières, soit en adressant à ces corps  un message mettant en exergue la nécessité de ne pas attaquer les Comités d’urgence lorsqu’ils se déplacent sur le terrain afin de mettre en œuvre leurs projets, soit en leur adressant un message affirmant qu’ils font partie de la société, car eux-mêmes et leurs familles vivent dans les quartiers et  leurs familles auront besoin des services d’urgence. L’action des Comités d’urgence n’est en aucun cas dirigée contre eux en tant qu’individus. Ils doivent donc faciliter les déplacements des Comités et coopérer avec ces derniers pour le bénéfice de l’ensemble de la société, pour leur propre bénéfice et dans l’intérêt de leurs familles.

Deuxièmement : la pratique du terrain

Toute autorité se met en place et tire sa légitimité de l’acceptation ou du soutien du peuple à son égard. Toute personne faisant un retour sur l’histoire est bien consciente et sait parfaitement qu’aucun système socio-politique ne pourra perdurer et survivre s’il perd de vue l’objectif le plus important et qui conditionne sa survie, à savoir la satisfaction des gens.

Deux jours seulement après le déclenchement des hostilités, une initiative a été prise par l’un des Comités de Kalakla (le Comité Kalakla Sanqat). Les membres de ce Comité se sont réunis et ont décidé de créer une structure d’urgence pour atténuer les effets des dommages de guerre. Immédiatement, une réunion a été convoquée , à laquelle assistaient des membres du Comité et des personnes qui lui étaient extérieures qui ont décidé de participer à ce projet. La réunion a abouti à la création de la  structure d’urgence Al-Kalakla Sanqat, dont la structure est la suivante :

– Un cabinet de consultation médicale.

– Un espace social destiné à quantifier les besoins en eau, gaz, fours et alimentation.

– Un espace médias dont la mission sera  de partager des informations avec les gens et de s’assurer qu’ils en soient dépositaires.

– Un espace de sécurité dont la mission est de repérer les mouvements anormaux autour des zones d’habitation.
– Un secteur financier pour les dons.

Le Comité a mené son activité en utilisant la page Facebook du Comité de Résistance et il a également créé un groupe  WhatsApp spécialement pour la structure d’urgence. Les jeunes du Comité d’urgence ont pu aider l’Hôpital Turc, l’un des plus grands hôpitaux de la région, à faire face à ses besoins et répercuter ses appels par le biais de médias. Le Comité a contacté la direction de la police de la région qui a promis d’aider le Comité en lui fournissant de l’essence en cas de besoin. Le service de police s’est également engagé à communiquer directement avec le Comité en cas de menace sécuritaire dans la zone.  De plus, le Comité est entré en contact avec  le directeur exécutif de la localité de Jabal Awlia dans le but d’obtenir une citerne pour faire face à la pénurie d’eau dans la région, mais les  autorités locales n’ont pas fourni de citerne et ont proposé une solution alternative : un camion avec chauffeur autorisé à transporter l’eau d’un puits de la zone et à la distribuer au reste des zones.

Ce Comité a été actif pendant deux semaines avant de s’arrêter quasi totalement. Les plus grands obstacles qui ont mené à cet arrêt peuvent être résumés comme suit :

– Il est difficile d’agir compte tenu de la situation sécuritaire dangereuse et des tirs constants à proximité et à l’intérieur des zones résidentielles.

– Il y a des besoins auxquels on peut répondre par l’engagement personnel, et c’est facile car à la disposition de tout un chacun. Quant aux besoins qui nécessitaient de grandes capacités financières, vivres, médicaments et équipements de l’Hôpital Turc, c’est à ce niveau que se sont situées les difficultés du Comité.

– L’absence d’une source fixe de financement autre que les dons, très peu nombreux par rapport à l’ampleur du besoin.

Les leçons à tirer de cette expérience :

La difficulté ou l’impossibilité de répondre à tous ces besoins uniquement par l’effort et l’entraide car avant cette guerre, les gens souffraient déjà de la pauvreté et du manque de ressources.

La question est : où sont ces ressources ?

La réponse est simple, ces ressources se trouvent dans les localités. Dans toutes les localités de Khartoum, il y a un bureau de santé, un bureau de protection sociale, des bureaux de la zakât et d’autres secteurs au sein de cette localité.

Comment pouvons-nous accéder à ces ressources ?

Vous pouvez le faire de deux manières : l’action politique et l’action organisationnelle.

L’action organisationnelle :

La nécessité de l’action organisationnelle implique de se mettre en réseau avec toutes les organisations syndicales, professionnelles et ouvrières de la région, telles que les Comités de pharmaciens, de médecins, d’enseignants et autres,-et de créer d’autres mouvements de revendication s’ils n’existent pas-, et de se coordonner avec les structures fournissant le soutien d’organisations et celles qui distribuent l’aide aux nécessiteux d’une manière sûre et efficace.

Retirer les médicaments des entrepôts exposés au danger et les acheminer vers des centres plus sûrs, qu’il s’agisse de bureaux locaux ou d’autres centres médicaux.

Utiliser les différents sièges, locaux gouvernementaux, maisons ou écoles pour abriter la population dans les zones d’affrontements, dans la capitale ou dans les différents Etats.

L’action politique :

Les comités doivent essayer d’appeler et d’impliquer un plus large éventail de personnes dans les Comités d’urgence,  par le biais d’un discours politique à travers les discussions dans les marchés et les quartiers, des cercles de discussion quotidiens et de s’impliquer davantage avec les gens. Tout cela va certainement créer un véritable élan vers la transformation révolutionnaire de la société.
L’expérience que nous avons citée et les points que nous avons mentionnés ne l’ont été que pour rapprocher le concept de la réalité. Nous sommes conscients des conditions différentes dans chaque région et nous faisons confiance à la capacité créative du peuple soudanais pour proposer ce qui convient à chaque région.


Elaboration commune : Magazine Al-Darb et Tribune Qiddam.

Texte initialement sorti le 16 mai 2023. Source : الدرب | Facebook.

Traduction de l’arabe: Luiza Toscane.

Source photo: CIA World Factbook / French Wikipedia; disponible sur Wikimedia Commons.

Print Friendly, PDF & Email