Nous publions ci-dessous un hommage à notre camarade Azur Korsbaek, décédé le 3 janvier dernier à l’âge de 30 ans des suites d’une maladie. La Gauche anticapitaliste tient à exprimer tout son soutien et toute sa solidarité à ses proches, camarades, ami·e·s et famille.

Azur n’avait pas une vie facile.

Il semblerait évident que cette difficulté puisse être imputée à la maladie et uniquement à la maladie. 

Après avoir répété tant de fois le chapelet de ses afflictions aux urgences, je pourrais les réciter de tête.

Maladie de Crohn, syndrome d’Ehlers-Danlos, arthrite psoriasique, dépression, troubles anxieux généralisés et des problèmes cardiaques qui n’avaient pas encore été diagnostiqués clairement.

Pourtant, Azur avait pris son parti de ses difficultés et on savait très bien, comme il l’avait démontré avec brio cette année, qu’il était possible de vivre heureux malgré tout ça.

Ce n’était pas une question de volonté comme certains pourraient banalement le croire.

Azur était quelqu’un d’extrêmement pessimiste et mes tâches en tant qu’infirmier du cœur, c’était de lui rappeler qu’il y avait un espoir et que si la nuit était longue, on savait que le soleil s’était déjà levé et qu’il se lèverait à nouveau.

Azur pouvait être heureux quand le monde ne lui envoyait pas ses coups de boutoir dans la gueule deux fois par semaine, quand un bureaucrate n’inventait pas une nouvelle manière de ne pas faire son travail de manière correcte, quand une angoisse ne survenait pas sur la précarité de notre situation matérielle, quand une facture ne venait pas grever les maigres économies qu’il tentait de constituer pour ses projets futurs, quand une personne n’essayait pas de gonfler son ego en jouant les médecins amateurs, quand un médecin cédait à la facilité de croire que les homo sapiens sont toustes sorti·e·s du même moule plutôt que de l’écouter.

Azur pouvait être heureux et il m’a fait comprendre que ce n’était pas une question de volonté mais une question de soutien.

Azur avait une grande soif de vie, il voulait beaucoup faire et souvent trop : dès que ses douleurs étaient supportables et que son esprit n’était pas alourdi du fardeau de quelque problème arbitraire, il était capable de dessiner pendant des heures sur sa tablette, il était capable de jouer à des jeux vidéos avec son compagnon et ses amis, il était capable d’apprendre des langues, de lire des livres et des articles, d’écrire. 

Souvent, il payait le prix de simplement s’asseoir quelques heures par jour en se retrouvant cloué au lit par ses douleurs le lendemain.

Ce qui le minait, c’était bien davantage d’être empêché si souvent de faire tant de choses plutôt que la douleur elle-même.

L’ennui est une chose affreuse dès qu’il dure plus longtemps qu’un trajet en train.

Aujourd’hui, on vend par quintaux des livres et autres médias supposés vous donner la clé du bonheur ; si seulement vous adoptiez la bonne perspective, si seulement vous régliez votre esprit sur le bon métronome, alors vous seriez enfin heureux.

Je ne sais pas si j’ai moi même le secret du bonheur, mais pour Azur, ce qui a vraiment compté, c’est le soutien parfois trop rare qu’il a reçu. 

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Durant son adolescence, alors que les autres enseignants voulaient l’empêcher de finir son année pour des questions administratives probablement cruciales à l’équilibre de leur petit monde, il a pu compter sur le soutien d’Eugénie Fano, sa professeure de français, pour sortir d’une institution scolaire qui lui avait fait subir beaucoup de violences.

Il a ensuite fait la rencontre de sa médecin généraliste, Marie-Julie Schellens, sans qui il aurait sans doute abandonné tout espoir de se faire soigner correctement. Le Dr Schellens a tout fait pour son patient en étant réellement à l’écoute, en ne renâclant pas à l’idée de donner des antidouleurs à une personne souffrant de douleurs chroniques et en jouant de sa légitimité de médecin auprès de spécialistes pour leur faire comprendre qu’Azur avait des problèmes complexes et interconnecté, à l’image d’une intersectionnalité médicale où avoir des douleurs chroniques et problèmes gastriques ne s’additionnent pas simplement mais se conjuguent.

Quand il a dû faire un procès au SPF sécurité sociale, il a également été suivi par feu maître Virginie Dodion qui l’a défendu contre une administration tout simplement sadique qui force des personnes dépourvues de ressources à constituer des dossiers kilométriques pour les confronter à des agents avec un arbitraire total. Elle s’est éteinte peu après la fin du procès.

Il a également pu compter sur le soutien d’une assistante sociale qui a fait le maximum pour être à l’écoute de ses besoins tout en l’encourageant à ajouter du changement là où il en fallait, Jessica Mwenda et l’équipe de Transition ASBL.

Enfin, il a bénéficié de l’expertise importante du Dr Geneviève Simenon pour diagnostiquer et encadrer son syndrome d’Ehlers-Danlos, syndrome souvent méconnu et caricaturé par une grande partie du monde médical.

J’aimerais remercier ces personnes (bizarrement, uniquement des femmes) qui ont pu montrer qu’il était possible de faire mieux pour qui en a le pouvoir, que l’aide proposée aux personnes en difficulté n’est pas uniquement là pour les fliquer et leur faire la morale et qu’il y a de la place pour une véritable écoute de personne à personne qui ne se résume pas à remplir des cases dans un formulaire. 

Merci également à toutes celles et tous ceux qui ont pu l’aider à hauteur de leurs moyens et de leurs disponibilités, que ce soit en venant à la maison, en étant à son écoute, en me soulageant de tâches ménagères ou en l’aidant financièrement. Ces remerciements incluent bien évidemment toutes les merveilleuses personnes qu’il a rencontré sur Internet.

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Azur était conscient du caractère révélateur de sa biographie qui a été marquée par les violences institutionnelles et médicales, qu’elles soient dues à son autisme, son identité queer ou ses handicaps.

Il aurait aimé raconter sa vie mais les douleurs et la médication lourde l’en empêchaient et les rares moments où il aurait eu l’énergie de le faire, il préférait davantage profiter de ces petites fenêtres pour faire des choses qui le rendaient heureux. 

Ces obstacles ont commencé dès son enfance, avec un grave retard de diagnostic et de prise en charge parce qu’on n’avait pas daigné écouter sa mère qui expliquait qu’il avait une grave infection au nez.

Je ne connais pas bien son enfance mais je sais qu’elle a été difficile comme le reste de sa vie.

Il a bataillé pour finir ses études. Bataillé pour être reconnu dans son identité de genre non-binaire. Bataillé contre la dépression. Bataillé pour avoir un diagnostic. Bataillé pour avoir un logement. Bataillé pour avoir une allocation handicap.

Pour avoir cette allocation (qui limitait la somme de mon revenu et du sien à 2400€, soit moins que le seuil de pauvreté), il a dû passer un entretien avec un soi-disant médecin expert du SPF sécurité sociale. La connaissance des troubles du spectre autistiques du monsieur s’arrêtait visiblement au film Rain Man, puisque selon lui Azur ne pouvait pas être autiste étant donné qu’il l’avait regardé dans les yeux et qu’il ne faisait pas la suite de Fibonacci dans sa tête.

Ce médecin a conservé sa place.

Bref, il a bataillé.

Il a sûrement plus bataillé que ces gosses de riches qui pensent s’être faits tout seuls, simplement pour devenir ce que ces gens appelleraient un assisté.

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Il a dû batailler à un niveau personnel contre énormément d’obstacles mais il savait que tous ces obstacles n’étaient pas là juste parce qu’il avait la poisse.

Il était conscient que la plupart de ses problèmes découlaient de systèmes prédateurs : capitalisme, validisme, patriarcat. Il savait qu’il n’aurait jamais une vie sereine sans s’attaquer à ces puissances invisibles aux effets bien concrets.

Il était en particulier conscient du danger de l’extrême-droite, étant donné qu’il était à presque tout point de vue l’épouvantail qu’agite à longueur de journée une droite de moins en moins libérale et des extrêmes-droites de plus en plus arrogantes, de plus en plus puissantes, de plus en plus banales à travers le globe.

Azur était pour le dire rapidement un « woke » handicapé, non binaire, sur le spectre autistique, communiste, obèse, aux cheveux souvent teints dans des couleurs flash, ressemblant trait pour trait à certaines caricatures haineuses de l’extrême droite circulant sur la toile.

Il était conscient que le « plus jamais ça » avait été fragilisé par l’opportunisme politique cynique d’irresponsables politiques qui, dans la lutte des places, n’avaient aucun remords à sacrifier les plus faibles sur l’autel de la course à l’audimat.

Et que si les maigres digues encore restantes venaient à céder, il serait en première ligne face au déchaînement de violences d’extrême droite.

On parlait sous le Troisième Reich de « judéo-bolcheviks » et de « bolchévisme culturel ».

On entend aujourd’hui dans des partis prétendument démocratiques la même rhétorique, à peine grimée, de la menace « islamo-gauchiste » de Dominique Vidal au « marxisme culturel » cher à Théo Francken.

Azur était probablement, aux yeux de ces grands démocrates, un islamo-gauchiste en charge de répandre le poison du marxisme culturel, poison qui consiste à montrer les effets concrets des systèmes d’oppression qui n’ont pas disparu avec les quelques lois anti-discrimination.

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« La vie est belle. Que les générations futures la nettoient de tout mal, de toute oppression et de toute violence, et en jouissent pleinement. »

Cette citation de Lev Davidovitch Bronstein, alias Léon Trotsky, vient de son testament, écrit durant les derniers mois de sa vie avant son assassinat par un agent stalinien.

Mon camarade Denis rappelait que « Les générations futures c’est nous, et le futur c’est maintenant. »

Des centaines de millions d’Azur Korsbaek bataillent à travers le monde pour leur part légitime de bonheur. À nous d’améliorer cette Terre pour qu’elle offre à toustes la plus grande part de vie possible, quitte à l’arracher aux accapareurs et accapareuses de tout poil.

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