Le gouvernement le plus à droite de toute l’histoire de l’État d’Israël

Pour la cinquième fois en moins de quatre ans, les Israélien·ne·s ont à nouveau voté le 1er novembre 2022. Le verdict des urnes a rendu possible le retour au poste de premier ministre, pour la sixième fois, de Benyamin Netanyahu, malgré sa triple inculpation pour corruption, fraude et abus de confiance. Son parti, le Likoud, a en effet obtenu le plus grand nombre de sièges (32 sur 120) et s’est allié avec les partis ultra- orthodoxes Shas (11 sièges) et Judaïsme unifié de la Torah (7 sièges) ainsi qu’avec trois partis de la droite sioniste religieuse la plus extrême (Force juiveSionisme religieux et Noam) qui avaient présenté une liste commune dénommée Parti sioniste religieux lors de ces élections et obtenu 14 sièges. Ainsi, fort d’une majorité absolue de 64 sièges, Netanyahu vient de former le gouvernement le plus à droite et le plus religieux de toute l’histoire de l’État d’Israël. Ce succès va sans doute lui permettre d’échapper, au moins pour un temps, à des condamnations judiciaires.

Itamar Ben Gvir, de Force juive (6 députés), obtient le « Ministère de la sécurité nationale » (nouveau nom, choisi par lui du « Ministère de la sécurité publique »), ce qui signifie qu’il dirigera la police. Il a de plus obtenu le contrôle de la « police des frontières » qui dépendait  jusqu’ici du Ministère de la Défense, ce qui étendra son pouvoir de police aux territoires occupés. Ben Gvir est un admirateur de feu le rabbin Kahane qui professait la haine des Arabes et prônait leur expulsion de la « Terre d’Israël ». Le parti Kach, que celui-ci avait fondé, fut interdit en 1994 car considéré comme terroriste par le gouvernement israélien. Ben Gvir prône lui-même le transfert d’une partie de la population arabe israélienne, jugée déloyale, vers les pays voisins.

Bezalel Smotrich, le dirigeant de « Sionisme religieux » (7 députés), qui voudrait que les lois israéliennes soient basées sur la Torah et qui souhaite l’interdiction des partis « arabes » israéliens qui ne font pas allégeance à l’« État juif », reçoit le Ministère des finances mais aussi  le contrôle de l’«administration civile » (en réalité militaire) de la Cisjordanie.

Ces deux hommes, qui sont eux-mêmes des colons installés en Cisjordanie, sont partisans de l’annexion à Israël de l’ensemble de ce territoire. Pour ces sionistes religieux, la « Judée-Samarie » fait partie de la « Terre d’Israël » (qui comprend au moins tout le territoire de la Palestine dans ses frontières d’avant 1948), donnée par Dieu au « peuple d’Israël ». Les Juifs y auraient donc seuls le droit de s’y installer, les « Arabes » n’y étant « tolérés » qu’à condition d’accepter la suprématie juive.

Voici la première des vingt  « lignes directrices » de ce nouveau gouvernement, rendues publiques le 28 décembre 2022 : « Le peuple juif a un droit exclusif et inaliénable sur toutes les parties de la Terre d’Israël. Le gouvernement encouragera et développera l’expansion de la présence juive dans toutes les parties de la Terre d’Israël – en Galilée, dans le Néguev, dans le Golan et en Judée-Samarie ». Voilà qui est clair. 

Avigdor Maoz, du parti Noam (1 député) devient vice-ministre et chef d’une nouvelle agence gouvernementale de l' »identité juive nationale » au sein du bureau du Premier ministre. Il sera responsable de l’immigration, des ONGs étrangères et aura un droit de regard sur les programmes scolaires. Il partage avec Smotrich et Ben Gvir un virulent racisme anti-arabe et le rejet de l’homosexualité. La lutte contre les droits des personnes LGBTQI est pour lui une priorité.

Pour s’imposer, cette coalition a profité de la faiblesse des partis dits de la « gauche sioniste » et de la division des partis dits « arabes ». Le Meretz, seul parti sioniste opposé à l’occupation et à la colonisation des territoires conquis en 1967, n’a pas réussi à atteindre le seuil électoral de 3.25 %, nécessaire pour obtenir des élus. Il en a été de même pour le Balad (« Ligue démocratique nationale »), parti antisioniste dont la majorité des électeurs sont des Palestiniens.

Depuis des dizaines d’années, d’élection en élection, de plus en plus nombreux sont les Juifs israéliens qui votent pour les partis les plus favorables à la poursuite de la colonisation des territoires occupés depuis 1967 ou pour les partis ultra-orthodoxes, qui ne s’y opposent pas.   

Le nombre grandit de ceux d’entre eux qui adhèrent à la vision simpliste mais cohérente des sionistes religieux pour lesquels la « Terre d’Israël » a été donnée par Dieu aux Juifs et à eux seuls. Parmi les Juifs israéliens moins ou non religieux, le mythe du retour sur la terre de leurs ancêtres qui en auraient été chassés il y a plus de deux mille ans est généralement accepté comme une vérité historique légitimant la « recréation » d’un « État juif » sur la « Terre d’Israël ». Et ils sont de plus en plus nombreux à considérer que le maintien de l’occupation militaire et l’augmentation du peuplement juif de la Cisjordanie et de Jérusalem-est sont indispensables à la sécurité de la population juive israélienne.  

Pourquoi les électeurs juifs israéliens portent-ils au pouvoir des politiciens de plus en plus intransigeants à l’égard des Palestiniens ?

Depuis sa création, en 1948, l’État d’Israël empêche le retour des exilés palestiniens et de leurs descendants et discrimine fortement la minorité des Palestinien·ne·s qui détiennent la citoyenneté israélienne. Depuis 1967, il maintient sous le contrôle de son armée les territoires occupés de Gaza, de la Cisjordanie et de Jérusalem-est. Dans ces deux derniers, le nombre de colons juifs n’a cessé d’augmenter ; ils sont aujourd’hui plus de 700.000. Ils y ont tous les droits des citoyens israéliens alors que les Palestiniens habitant ces territoires, qui sont aujourd’hui plus de 3.000.000, privés de tout droit politique, sont à la merci de l’arbitraire militaire israélien.     

Ces Palestiniens, pourtant impitoyablement réprimés, n’ont jamais cessé de résister, de multiples manières, aux spoliations et aux discriminations dont ils sont les victimes.

Le système éducatif israélien et les médias dominants entretiennent continuellement auprès de la population juive la peur de ces  « Arabes » qui n’acceptent décidément pas leur sort, en réussissant à en convaincre la majorité que c’est parce qu’ils sont ataviquement antisémites. Pour une majorité d’entre eux, ne devraient être tolérés dans l’« État juif » que les Palestiniens qui acceptent de se soumettre à la volonté des Juifs, seuls occupants « légitimes » de ce pays. Les autres sont des « terroristes » potentiels contre lesquels toute mesure répressive est permise y compris l’emprisonnement sans jugement, la torture, les punitions collectives (telles que les destructions de maisons), voire l’expulsion définitive du pays.     

Que reste-t-il de la démocratie israélienne ?                 

Sur l’ensemble de la Palestine historique, entièrement sous le contrôle d’Israël depuis 1967, la population juive est aujourd’hui redevenue légèrement minoritaire. Si l’ensemble des habitants de ce territoire en âge de voter avait pu participer à l’élection, il est évident qu’une telle coalition n’aurait pu voir le jour. Mais seuls les Palestiniens détenteurs de la citoyenneté israélienne (environ 2.000.000 de personnes), qui ne constituent qu’un peu plus d’un quart des Palestiniens vivant sous la domination israélienne, possèdent ce droit. Les 5.500.000 Palestiniens vivant dans les territoires occupés (Cisjordanie, Gaza, Jérusalem-est) en sont privés et n’ont donc pas pu participer au vote le 1er novembre. Il en est évidemment de même pour les Palestiniens exilés et descendants d’exilés (plus de 6.000.000 de personnes).

L’État d’Israël n’est une démocratie que pour ses citoyens juifs. Selon la définition juridique internationalement acceptée de ce terme (1)« Convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid », adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU le 30 novembre 1973., c’est un État d’apartheid. C’est ce que la CESAO (Commission économique et sociale des Nations unies pour l’Asie occidentale) a établi dans un rapport officiel publié en mars 2017. (2)A la suite de pressions exercées par les représentants des États-Unis et d’Israël, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a fait déclassifier ce rapport. Ce qui a entraîné la démission de la secrétaire exécutive de la CESAO, Rima Khalaf.  C’est aussi la conclusion à laquelle sont parvenues, en 2021, deux organisations non gouvernementales ayant pour objet la défense des droits humains, l’israélienne B’Tselem, et l’internationale Human Rights Watch. En février 2022, Amnesty International a publié un rapport qui parvient à la même conclusion. A l’occasion de sa publication, Agnès Callamard, la secrétaire générale de cette association déclarait : « absolument rien ne justifie un système reposant sur l’oppression raciste institutionnalisée et prolongée de millions de personnes. (…) Les gouvernements qui continuent à livrer des armes à Israël et à lui éviter l’obligation de rendre des comptes à l’ONU soutiennent un système d’apartheid, sapent la législation internationale et exacerbent les souffrances de la population palestinienne. La communauté internationale doit reconnaître la réalité de l’apartheid imposé par Israël et étudier les nombreuses pistes judiciaires qui restent honteusement inexplorées ». (3)B. LOOS, « Amnesty accuse à son tour Israël d’apartheid et demande des actes », article publié sur le site Internet du quotidien Le Soir le 1/2/2022.

Mais cette « démocratie pour les Juifs » est elle-même de plus en plus attaquée par la droite sioniste.

À cet égard, l’assassinat, en novembre 1995, d’Yitzhak Rabin, alors Premier ministre d’Israël, témoignait  d’une fracture profonde, et déjà ancienne, dans la société juive israélienne. Yigal Amir, son assassin était un jeune sioniste religieux, admirateur, comme Itamar Ben Gvir, de Baruch Goldstein, ce médecin juif originaire de New York qui avait massacré 29 musulmans en prière et en avait blessé 125 en février 1994. Il était de ceux qui considéraient que le « Processus d’Oslo », qui avait commencé en 1993, était contraire à la volonté de Dieu et que ceux qui le promouvaient, même juifs, méritaient la mort. Ces « fous de Dieu » pour lesquels la « volonté divine » telle qu’ils la concevaient devait prévaloir sur les choix démocratiques des citoyens israéliens, étaient déjà nombreux à l’époque. Leur poids numérique et politique a considérablement augmenté depuis.

Les Juifs opposés à l’occupation, à la colonisation des territoires occupés et au blocus de Gaza se sentent de moins en moins en sécurité en Israël. Les militant·e·s des ONGs israéliennes qui défendent les droits des Palestiniens sont non seulement menacé·e·s physiquement par les membres des partis sionistes les plus extrémistes mais encore, victimes de mesures légales décidées par le Parlement où la droite sioniste domine désormais. C’est ainsi qu’en 2016 fut votée une loi dont le but était de diminuer les ressources financières de telles associations sous prétexte que leurs subsides provenaient pour plus de moitié de l’étranger. C’était le cas, entre autres de B’Tselem, le centre israélien d’information pour les droits de l’Homme dans les territoires occupés.

En Israël, la Cour suprême a le pouvoir d’empêcher l’entrée en vigueur d’une loi, pourtant votée par le Parlement, qui serait contraire aux Lois fondamentales de l’État d’Israël faisant office de constitution. La nouvelle majorité veut mettre fin à ce pouvoir en imposant une « clause dérogatoire » permettant de revoter une loi refusée par la Cour suprême sans que celle-ci puisse cette fois s’y opposer.

Ainsi, par exemple, le nouveau parlement vient de voter en urgence une loi autorisant une personne reconnue coupable d’un crime, mais pas condamnée à la prison ferme, à obtenir un portefeuille ministériel,  ceci pour permettre à Aryeh Deri, chef du parti ultra-orthodoxe Shas, de redevenir ministre alors qu’il a été récemment condamné avec sursis pour fraude fiscale. (4)En 2000 déjà, reconnu coupable de corruption, il avait purgé près de deux ans de prison. Celle-ci pourrait être invalidée par la Cour suprême… mais entrer tout de même en vigueur grâce à la « clause dérogatoire ».

Autre exemple : si les députés votaient l’annulation du procès de M. Netanyahu pour corruption, et que la Cour suprême invalidait ensuite ce vote, l’introduction de la « clause dérogatoire » permettrait de ne pas tenir compte de cette décision de justice.

Pour le quotidien israélien Haaretz, le mandat de Yariv Levin, le nouveau ministre de la Justice (membre du Likoud) est clair : « détruire l’État de droit, les institutions et tout le système » en donnant le droit au Parlement d’outrepasser la justice.

Et maintenant ?

Avec un tel gouvernement, il ne fait guère de doute que la situation des Palestiniens va encore empirer, non seulement celle de ceux qui vivent en territoire occupé et sont soumis à l’arbitraire de l’armée israélienne mais aussi celle de ceux qui disposent de la citoyenneté israélienne. Et il est certain qu’Iels résisteront à ce nouveau « tour de vis ». Ce qui engendrera une répression toujours plus féroce de la part de ceux qui restent les plus forts. Pour la majorité des Juifs israéliens, la peur engendrant le rejet  des « Arabes » ne fera que grandir. Un cycle infernal.

Seules de fortes pressions extérieures sur les dirigeants israéliens rendraient possible une sortie de cette impasse. Face à ce gouvernement d’extrême droite, les États qui, depuis la création de l’État d’Israël, ont été d’une complaisance extrême avec ses dirigeants malgré leur non-respect systématique du droit international vont-ils enfin changer leur fusil d’épaule ? Rien n’est moins sûr. Tout dépendra de la mobilisation de leurs opinions publiques. De nous tou·tes, donc.        


Article initialement publié sur le blog de Michel Staszewski.

Photo: le sixième gouvernment Netanyahu. Crédit photo: Wikimedia Commons.

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